Pascal Delwit

Nouveaux défis du syndicalisme en Belgique

Pascal Delwit Professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB)

Il y a dix-huit mois à peine, quelques responsables de la FGTB et certains de la CSC annonçaient un tournant. D’aucuns se réjouissaient même de la perspective d’un gouvernement des droites. On allait voir ce qu’on allait voir. Anne Demelenne au poteau, la  » lutte des classes  » pouvait revenir. Fini de  » ramasser les miettes « . L’heure était à la grande  » (re)conquête « . La résistance sociale allait frapper. Le monde tremblait.

Le gouvernement des droites est advenu et a adopté – c’est logique – sans coup férir son programme. On a vu.

Les organisations syndicales sont aujourd’hui « sonnées ». Il est vrai qu’il n’est pas bien sûr qu’elles aient saisi le caractère inédit de la conjoncture politique et du rapport des forces social. Curieusement d’ailleurs. Car dans l’histoire sociale belge, le syndicalisme a toujours agencé ses revendications et son action à une lutte extra-institutionnelle et à une démarche institutionnelle. Et cette dernière fut sans doute la plus importante.

Tant la CSC que la CGTB puis la FGTB ont souvent fait pression pour la participation aux affaires qui des sociaux-chrétiens, qui des socialistes. Occasionnellement, certains édiles socialistes s’énervèrent même devant cette forte pression syndicale à la participation gouvernementale. C’est donc peu de dire que le renvoi dans l’opposition fédérale du PS et du SP.a affecte la situation de la FGTB. La situation n’est guère plus simple à la CSC. Celle-ci doit composer avec une situation matérielle des plus délicate, l’envoi dans l’opposition des socialistes, mais aussi du CDH et un CD&V dont l’influence sur les affaires est minimale.

Sous cet angle, la situation contemporaine n’est pas la même que celle qui prévalait sous le gouvernement Martens-Gol. A ce moment, le PSC était au gouvernement avec 20% des suffrages en Wallonie, tandis que le CVP représentait 32% en Flandre et assurait la position pivotale. La famille sociale chrétienne détenait 61 sièges pour 52 aux libéraux. Dans la deuxième législature, le rapport était même de 69 – 46. Aujourd’hui, le CD&V est à 18,5% et fait valoir 18 sièges pour 34 à la famille libérale et 33 à la N-VA, relais inflexible des positions d’un patronat flamand de combat.

Certes, la grève générale et les deux manifestations nationales ont eu un impact et ont forcé un minimum de concertation sociale. Mais le bilan reste maigre et les syndicats sont sur la défensive et dans l’expectative. Qui plus est, malgré la réussite de la grève générale et des manifestations nationales, le front commun syndical s’est fait « voler » ces « succès » par la couverture d’incidents ou les pratiques anecdotiques d’une déléguée syndicale.

Les syndicats ont-ils intégré que le contexte économique nécessite une action très réfléchie? On peut en douter à observer les références au syndicalisme d’une autre époque

A-t-on compris dans les organisations syndicales belges l’importance de l’image et de la communication moderne dans le façonnement des représentations ? A-t-on intégré que le contexte économique, social et politique est singulier et qu’il nécessite une action très réfléchie et très rigoureuse ? On peut en douter à observer les références au syndicalisme d’une autre époque, où les bataillons de métallurgistes ou encore de sidérurgistes intimidaient parfois les gouvernements. On peut en douter à voir des dirigeants syndicaux faire subir leurs relations interpersonnelles.

« Peut-on gouverner contre les deux syndicats ? » était une des questions à l’entame de la législature. Oui « on » peut. Avec certaines limites, bien sûr. Mais, l’Exécutif fédéral en fait la démonstration. Mieux, les partis de la majorité et même certaines formations de l’opposition questionnent désormais ouvertement l’absence de personnalité juridique des syndicats – alors qu’eux-mêmes n’en ont pas – ou le rôle des syndicats comme opérateurs dans le versement des allocations de chômage.

A ne trop y prêter très sérieusement attention, une partie du syndicalisme belge, donc des relations sociales, pourrait substantiellement se modifier dans cette séquence.

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