© Schild & Vrienden

« Il n’y a rien d’étonnant au reportage sur Schild & Vrienden »

Stavros Kelepouris
Stavros Kelepouris Journaliste pour Knack.be

Pour réaliser que Schild & Vrienden était un groupe en train de radicaliser, personne n’avait besoin d’avoir accès à leurs canaux cachés. C’était visible à leur discours, affirme le chercheur de la VUB Kristof Verfaillie.

Longtemps avant que le club d’étudiants autour de Dries Van Langenhove soit démasqué par le journaliste du magazine Pano comme une association extrémiste prônant racisme, sexisme et violence par les armes, le processus de radicalisation était clair. « Schild & Vrienden » n’a pas mal tourné au moment où l’on a découvert les groupes de chat secrets », déclare Kristof Verfaillie, spécialiste à la VUB en prévention de radicalisation violente.

En mai 2017, des militants de gauche interrompaient une conférence du Secrétaire d’État Theo Francken (N-VA) à la VUB. Une intervention qui a été le catalyseur de la naissance de Schild & Vrienden: quand plus tard Francken est allé à l’Université de Gand, les membres du groupe se sont promis de faire office d’équipe de surveillance et de veiller à ce que la conférence puisse avoir lieu. « Les semaines et les mois après l’incident à la VUB, nous avons analysé le discours de Schild & Vrienden leurs chaînes en ligne. Nous y avons trouvé des éléments qui illustrent des processus naissants de radicalisation. »

Les réalisateurs de Pano constatent que les déclarations les plus graves sont formulées sur des forums masqués. Mais selon vous, les prises de position sur les canaux publics montrent déjà les signes de radicalisation.

Kristof Verfaillie: C’est vrai. Schild & Vrienden tient un discours où les gens ou les groupes qui adoptent un point de vue différent sont systématiquement représentés comme anormaux, dénaturés, incompréhensibles, et moralement inférieurs.

Il y a donc une sclérose idéologique?

Daniel Koehler, le directeur du German Institute on Radicalization and De-radicalization Studies, l’a joliment formulé comme un processus de dépluralisation. Schild & Vrienden donne une interprétation spécifique aux valeurs et idées politiques et ne peut s’imaginer que d’autres interprétations soient souhaitables ou même possibles.

Dans une démocratie ce genre de sclérose n’est pas nécessairement problématique – aujourd’hui, on la voit d’ailleurs apparaître de tous les côtés du spectre politique. La situation devient problématique quand on n’attribue pas de droits égaux ou de libertés aux personnes qui ont d’autres idées, et c’est là que le bât blesse pour Schild & Vrienden. Nous n’étions donc pas vraiment étonnés par le reportage Pano.

Pouvez-vous me donner un exemple?

Pensez à la prétendue vidéo de promotion de Schild & Vrienden. Toutes sortes de membres font des déclarations face caméra à propos du modèle de société flamand et l’importance de normes et valeurs traditionnelles. Ces normes et valeurs sont sous pression, elles sont oubliées et il faut agir contre cette menace. Du coup ils disent : « pour nous, c’est assez » et « je ne veux pas de société qui a oublié nos normes et nos valeurs. »

Cela n’indique pas simplement un différend idéologique comme on en voit entre les partis politiques?

Non, justement parce que les idées politiques alternatives dans le discours de Schild & Vrienden ne sont plus reconnues comme légitimes. Elles en voient l’existence comme le symptôme d’une société malade. Pour eux, il faut assainir cette société, la jeunesse flamande doit se réveiller, être capable de se défendre. L’indifférence n’est plus une option.

Il ne s’agit donc pas d’un différend idéologique qui peut être tranché via un débat politique. Il se pose un problème idéologique urgent contre lequel il faut agir. C’est souvent le moment où la radicalisation risque de devenir problématique dans une démocratie : la nécessité qui se crée d’agir, d’effectivement résoudre ce problème idéologique urgent – la société hyperdiverse.

Par l’utilisation de violence, par exemple. Dans le reportage Pano, on voit que Schild & Vrienden pratique l’entraînement de tir et exalte les armes.

Le véritable danger, le moment où la radicalisation adopte une forme violente, se crée quand les formes alternatives de violence ne sont plus crédibles pour eux – quand les actions ludiques, les mèmes et les débats ne suffisent plus comme manière d’agir.

Ces photos de gens qui exhibent leurs armes indiquent en tout cas une normalisation de la violence, même s’ils ne sont pas encore au point où ils entament la lutte armée. Infiltration, actions publiques, s’exprimer par les réseaux sociaux, ces canaux et options étaient toujours ouverts. Mais dès le moment où ils disparaissent, la violence se dessine plus clairement.

Le processus de radicalisation n’était pas encore complété, mais l’évolution était visible ?

Schild & Vrienden ne tourne pas mal parce que l’on découvre des groupes de chat secrets. Le problème, c’est quand on n’accorde plus de droits égaux ou de libertés aux personnes qui ont un point de vue différent. L’adversaire est déshumanisé, et une aliénation de parties importantes de la société s’installe. On voit le même phénomène parmi les jihadistes : ils ne comprennent sincèrement plus la société.

Dans le reportage Pano, on voit très bien que la réalité sociologique de notre société diverse n’est pas acceptée et comprise par ces garçons, et combien de frustrations et de sentiments d’injustice elle éveille.

Comment inverser ce processus?

En tout cas en désapprouvant leur comportement ou en expliquant que leurs points de vue n’ont rien à faire dans une démocratie. On le voit aussi dans d’autres contextes. Le réflexe classique est de leur servir un contre-récit : si des musulmans radicalisés apprennent à lire le Coran correctement, s’ils apprennent à gérer la religion correctement, si on leur inculque le sens civique et les valeurs démocratiques, ils déradicaliseront. Malheureusement, ce n’est pas ainsi que ça marche.

Dans un processus de radicalisation, les émotions sont très importantes. L’implication dans des thèmes spécifiques, les sentiments intenses d’injustice ont une énorme force motrice et mobilisatrice.

Même si une condamnation ferme est symboliquement très importante pour reconfirmer une série de normes et de valeurs dans la société, quand ces réactions sont trop polarisantes, elles risquent fort d’éveiller de nouveaux sentiments d’injustice qui ne font que renforcer la sensation d’aliénation. Ce genre de groupes ne se sentent tout simplement pas concernés par la société qui les condamne. On ne franchit pas cette distance en leur expliquant rationnellement qu’ils se trompent. Il faut les détacher de cet environnement et faire naître l’option dans leur tête que la solidarité avec leur groupe est néfaste.

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