Johan Van Overtveldt © Belga

Nos ministres ne semblent pas vraiment intéressés par la lutte contre la fraude fiscale

Depuis des années, nos ministres responsables réagissent mollement à l’évasion fiscale via les paradis fiscaux tels que les Bermudes et le Panama. Et ils faillent de manière flagrante à la lutte contre la fraude fiscale en Belgique.

« Mettez deux économistes ensemble, et vous aurez trois avis », dit la boutade, mais l’année dernière plus de 350 économistes ont signé une lettre dans laquelle ils affirment que les paradis fiscaux « ne se justifient pas économiquement » et qu’il vaudrait mieux les supprimer parce qu’ils ne servent pas de « but économique utile ». La lettre a été publiée après la publication des Panama Papers. Ces derniers révèlent que de fantomatiques sociétés au Panama ont leurré le fisc pendant des années. Avant, les Offshore Leaks, LuxLeaks et SwissLeaks avaient révélé une duperie fiscale à grande échelle.

La semaine dernière se sont ajoutés les Paradise Papers. « En Belgique, l’investissement en paradis fiscaux est à ce point enraciné que même l’État participe », lisait-on dans Knack qui publie les Papers en collaboration avec De Tijd et Le Soir. Il s’avère que l’entreprise publique Société belge d’Investissement International (SBI) travaille depuis 18 ans avec une société-écran des Îles Vierges pour un projet de port au Vietnam. Et Hans D’Hondt, le président du SPF Finances, a été administrateur du SBI pendant des années alors qu’il n’en savait rien. C’est incompréhensible.

Après, ce n’est pas la première fois qu’on découvre que l’État belge est impliqué dans des pratiques douteuses dans les paradis fiscaux. Les Panama Papers révélaient déjà que la banque Dexia avait aidé les clients fortunés à monter des sociétés-écrans. L’Etat belge était actionnaire de Dexia et y comptait des administrateurs. Du coup, il était co-responsable de l’organisation d’évasion fiscale qui a fait perdre de gros montants au fisc. Un Etat peut-il davantage décevoir la confiance de ses citoyens ?

Pour quelque peu rétablir la confiance en l’Etat, il est urgent que le gouvernement Michel agisse fermement. Il faut immédiatement cesser les magouilles fiscales via les paradis fiscaux dans lequel il est impliqué. Il faut demander des comptes aux administrateurs qui représentent l’Etat dans les sociétés impliquées. Ainsi que les ministres des Finances de ces dernières années, car ils sont au moins politiquement responsables. Il s’agit de Didier Reynders (MR, 1999-2011), Steven Vanackere (CD&V, 2011-2013), Koen Geens (CD&V, 2013-2014) et Johan Van Overtveldt (N-VA, depuis 2014).

En outre, les révélations sur le SBI sont l’occasion de faire un grand nettoyage dans le dédale d’entreprises (semi-)publiques, d’organisations et d’obligations internationales vers lesquelles afflue l’argent du contribuable et dont personne ne connaît l’existence, et encore moins le but. Il y a quelques années, le professeur Herman Matthijs (Université de Gand et VUB) les a énumérées dans Knack : il lui a fallu pas moins de cinq pages.

Le temps est également venu de s’en prendre à un autre excès: les entreprises belges citées dans les Paradise Papers, telles que Janssen Pharmaceutica et Nike, profitent pleinement de subsides d’état. Toute la politique de subsides aux entreprises, qui représente plus de 14 milliards d’euros par an, vaut également la peine d’être étudiée.

Depuis le début de ce siècle, la Belgique dispose d’un secrétaire d’État ou d’un ministre compétent pour la lutte contre la fraude fiscale. Avant cette ère, l’évasion fiscale était un sport national : on se moquait de qui n’avait pas de compte au Luxembourg ou aux Pays-Bas. Durant la première décennie de ce siècle, Hervé Jamar (MR) et Bernard Clerfayt (DéFI/MR) étaient compétents pour la lutte contre la fraude fiscale. Ils travaillaient sous l’oeil vigilant de leur collègue ministre des Finances Didier Reynders, et ils n’ont pas beaucoup fait bouger les choses.

Reynders est d’ailleurs connu comme un maître du sabotage de la lutte contre la fraude fiscale. Comme tant de grands dossiers de fraude fiscale se sont embourbés sous son régime, une commission d’enquête parlementaire a été créée en 2008-2009. Elle a cité trois motifs pour cet échec : manque de connaissances et de capacités, négligence et obstruction. Reynders lui-même a réagi à sa manière cynique : « Je n’ai encore jamais reçu une plainte du contribuable. »

Après 2008, Carl Devlies (CD&V), qui devait seconder le Premier ministre Yves Leterme (CD&V), devait coordonner la lutte contre la fraude fiscale et sociale en tant que Secrétaire d’État, mais ce n’est qu’en 2011, quand John Crombez (sp.a) a décroché le poste sous la houlette de Elio Di Rupo (PS), que la lutte contre la fraude est devenue un sujet sérieux. Crombez a lancé toute une série de mesures antifraude, et les sanctions ont été alourdies.

À l’arrivée du gouvernement Michel, Elke Sleurs (N-VA) est devenue responsable de la lutte contre la fraude fiscale. Rarement, un responsable a fait aussi pâle impression. À peine sept mois plus tard, la compétence a été transférée à son collègue de parti Johan Van Overtveldt. Il a lancé la taxe Caïman qui oblige le contribuable à déclarer les constructions exotiques. Même si la taxe Caïman rapporte moins au fisc que prévu, c’est une arme importante dans la lutte contre les sociétés offshore.

Dans d’autres domaines, Van Overtveldt se montre très réticent. La recherche fédérale allemande dispose de tous les documents des Panama Papers, mais le ministre n’a pas pris encore beaucoup d’initiative pour les obtenir. Il traîne aussi à faire passer la liste belge de paradis fiscaux, dont l’élargissement a été approuvé après tout le bruit sur les Panama Papers. C’est important, car pour tout pays qui figure sur cette liste, il y a moyen d’intensifier les contrôles fiscaux. Cependant, l’extension n’a toujours pas été mise en pratique : on attend toujours l’Arrêté royal. Van Overtveldt déclare qu’il attend la liste européenne de paradis fiscaux. Après les Paradise Papers, les ministres européens souhaitent obtenir un accord accéléré en décembre. Enfin.

Évidemment, il vaut mieux lutter au niveau international contre le trafic d’impôts, et de préférence avec le soutien de pays comme les États-Unis. La lutte contre la fraude fiscale internationale n’a vraiment démarré qu’après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New York, quand les États-Unis ont voulu assécher les flux monétaires des terroristes. Là, les Américains se sont heurtés au secret bancaire, de plus en plus critiqué depuis. Le 3 avril 2009 a été une date primordiale : lors d’un sommet des vingt pays les plus riches à Londres, il a été décidé sous l’impulsion de l’OCDE de publier la liste de paradis fiscaux et d’entamer une offensive internationale contre les pays qui ont un secret bancaire.

Ainsi, les paradis fiscaux sont de plus en plus dans une mauvaise posture. Un par un, ils ont été contraints de conclure des accords avec le reste du monde pour échanger des données bancaires. En 2015, même la Suisse a renoncé à son secret bancaire séculaire. Le fisc belge dispose donc de plus en plus de données sur tous les biens financiers que les Belges possèdent à l’étranger, y compris dans des paradis fiscaux comme la Suisse, le Liechtenstein ou les Îles Caïman. L’année prochaine, ce sera au tour de Monaco.

Suicide par le cadastre de fortune

Si les administrations fiscales belges sont de plus en plus au courant de ce que les Belges possèdent sur des comptes étrangers, elles sont nettement moins informées des avoirs financiers et recettes dans leur propre pays. Pourtant, il n’y a pas peu de fraude en Belgique : d’après le professeur Friedrich Schneider (Université Johannes Kepler, Linz), l’économie noire dans notre pays représente 15,6% du produit intérieur brut officiel (PIB). Il s’agit donc de presque 70 milliards d’euros, ce qui signifie que le fisc manque des dizaines de milliards.

Récemment, le professeur Michel Maus (VUB) posait la question pertinente au ministre Van Overtveldt dans les pages de Knack : « Aujourd’hui, les données étrangères sont échangées entre les administrations fiscales. Pourquoi les données bancaires belges ne sont-elles pas déclarées au fisc ? Comptez-vous changer cette situation ? » Le ministre a répondu qu’il ne le ferait pas, car alors « on aboutit à un cadastre des fortunes et je ne suis pas pour ». Peu de politiques ont tendance à instaurer un cadastre de fortunes, de peur qu’il s’agisse d’un suicide électoral. Cette crainte n’est pas injustifiée, mais si nous voulons vraiment lutter contre la fraude fiscale, c’est une étape inévitable.

Si nos ministres concernés veulent vraiment s’en prendre à la fraude fiscale nationale et internationale, il leur reste beaucoup de pain sur la planche. Cependant, nos responsables politiques ne semblent pas vraiment intéressés par la lutte contre la fraude fiscale. Ils sont en tout cas très paresseux. Et cela devient funeste quand le politique responsable de la fraude fiscale se montre bons amis avec les as financiers cités d’un trait avec l’évasion fiscale. C’est exactement ce que John Crombez a fait comme secrétaire d’État en 2013 : le socialiste flamand a posé en riant avec la direction du planificateur financier Optima qui, quelques mois plus tôt, avait reçu la visite de l’Inspection spéciale des impôts (ISI). Les politiciens belges et la fraude fiscale, c’est une association qui reste difficile.

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