Guy D'Haeseleer © BELGA

Ninove: « C’est surtout le cordon sanitaire qui n’est pas démocratique »

Kamiel Vermeylen Journaliste Knack.be

Après une victoire électorale retentissante, Forza Ninove se retrouve sur les bancs de l’opposition. Comme la tête de liste la N-VA est prête à soutenir Open VLD et SAMEN, la coalition a rassemblé le nombre de sièges nécessaire. Knack a demandé à deux politologues ce que cela signifiait.

Après une longue impasse, un accord de coalition a été conclu la nuit de mercredi à jeudi pour un nouveau conseil communal à Ninove. Open VLD et Samen bénéficient du soutien de la tête de liste N-VA Joost Arents, qui va à l’encontre de la ligne du parti local. Vendredi matin, Arents a été expulsé du parti et continue en tant qu’indépendant. Le grand vainqueur de l’élection – le parti radical de droite Forza Ninove, dont la tête de liste est Guy D’haeseleer- se retrouve sur les bancs de l’opposition, malgré un score de 40%.

Tant la N-VA que D’haeseleer sont indignés de la manoeuvre d’Arents de soutenir Samen et Open VLD. Pour D’haeseleer, les résultats des élections ne sont pas respectés et c’est un jour noir pour la démocratie. Avec la nouvelle coalition, le cordon sanitaire en Flandre continue d’être respecté. Knack a demandé au professeur Carl Devos (Université de Gand) et à Bart Maddens (KU Leuven) ce que signifie exactement la formation de coalitions et quelles sont les conséquences pour le niveau fédéral.

Une coalition non démocratique?

Forza Ninove et le Vlaams Belang estiment que la coalition actuelle est antidémocratique, malgré le fait qu’elle soit majoritaire.

BART MADDENS : En ce qui me concerne, c’est surtout le cordon sanitaire qui est antidémocratique. Il se peut en effet que Forza Ninove ne puisse pas gouverner parce qu’elle veut mener une politique incompatible avec la législation. Mais il est également possible que le parti soit très raisonnable et disposé aux compromis, parce qu’il a très envie de gouverner. On juge un arbre à ses fruits. C’est précisément le problème majeur du cordon, au niveau local, régional et fédéral. Bien sûr, d’un point de vue formel, les parties ont le droit de ne pas négocier avec les autres partis. Mais d’un point de vue éthique, c’est très problématique. Surtout lorsqu’un parti comme Forza Ninove représente une part aussi importante des électeurs.

CARL DEVOS : Au fond, c’est très simple : dans notre démocratie, il faut obtenir plus de la moitié des sièges. C’est ce qui s’est passé à Ninove : la coalition est légitime parce que légalement, elle a obtenu sa majorité correctement. De plus, il arrive encore que le parti le plus important soit mis à l’écart. Tout cela n’est pas si exceptionnel, même si Forza Ninove a évidemment obtenu 40% des voix. À cet égard, c’est un peu contraire à l’esprit de la démocratie. Mais soyons honnêtes : la majorité des électeurs ne pensent pas comme Forza Ninove et la coalition gouvernera de cette manière.

Une gifle pour l’électeur flamand?

Selon D’haeseleer, la manoeuvre d’Arents est un coup porté au visage de l’électeur flamingant en général. Partagez-vous ce point de vue ?

MADDENS: L’électeur ne remerciera pas monsieur Arents. Cela ne se fait pas d’aller à l’encontre de la ligne du parti. La N-VA a décidé de rejoindre l’opposition après sa défaite électorale. En décidant seul de travailler avec Samen et Open VLD, il ne récoltera que peu de sympathie.

DEVOS: Du point de vue de D’haeseleer, c’est compréhensible. Il a gagné les élections. Je pense que beaucoup de Ninovois se sentent trompés quand tous les autres partis travaillent ensemble pour pousser un parti dans l’opposition. Certainement quand quelqu’un vient d’un parti qui a décidé de rester dans l’opposition.

Responsabilité

La décision de la N-VA d’aller dans l’opposition menaçait de conduire à l’ingouvernabilité de Ninove. Arents n’a-t-il pas choisi la solution la plus responsable ?

MADDENS : Je n’ai pas trouvé déraisonnable l’attitude de la N-VA d’opter pour une cure d’opposition. La position nationale du parti stipule qu’en pratique il applique le cordon sanitaire. Le parti a perdu un peu moins de 8% des voix, il n’est donc pas illogique de s’abstenir un moment. En outre, il existait une autre possibilité qui ne devait pas automatiquement conduire à l’absence de contrôle. Si aucune solution n’est trouvée, les échevins sont élus au scrutin secret. Il était possible qu’un échevin Forza Ninove soit élu, ce qui aurait conduit à une situation très difficile, mais intéressante.

DEVOS : Je comprends mieux la cure de l’opposition de la N-VA parce que le parti a subi une lourde défaite électorale. Le parti a bloqué la sortie la plus propre pour sortir de l’impasse en demeurant intraitable. Il aurait été tout à l’honneur de la N-VA si elle avait pris la responsabilité, en tant que parti, de trouver la meilleure solution malgré le mauvais résultat. Arents assume cette responsabilité, mais il reste à voir s’il le fait à des fins purement personnelles ou non.

Une coalition vacillante?

La coalition entre Samen, Open VLD et une demi-N-VA n’a qu’un siège en surplus. De l’autre côté, il y a un parti qui représente 40% des Ninovites et qui veut la majorité. Quelle est la force de cette nouvelle coalition ?

MADDING : Bien entendu, beaucoup dépendra de la cohésion au sein de la nouvelle coalition. En principe, un siège excédentaire suffit à gouverner pendant six ans. Si tous les conseillers sont présents au bon moment pour appuyer sur le bon bouton, tout va bien. Ce qui pourrait être problématique, cependant, c’est qu’Arents prévoit de démissionner après trois ans. Alors quelqu’un d’autre de la N-VA devrait prendre sa place. Si elle n’est pas prête à le faire, la coalition actuelle aura un problème. Si cela n’est pas clarifié à l’avance, c’est le point faible du nouveau conseil.

DEVOS: Ce sera de toute façon un exercice difficile pour la coalition. Vous pouvez dire ce que vous aimez de la coalition, mais elle existe et elle est encore meilleure que l’ingouvernabilité possible de la ville. De plus, il est fort possible que la coalition fasse du bon travail et soit récompensée par les Ninovites dans six ans.

C’est peut-être une comparaison audacieuse, mais à moment donné, Vincent van Quickenborne (Open VLD) a mis Stefaan De Clerck (CD&V) hors-jeu à Courtrai. Au début, de nombreux Courtraisiens n’étaient pas satisfaits, mais après six ans, le CD&V a subi une défaite électorale considérable. Ce n’est pas parce qu’une majorité est née comme une sorte d’anti-coalition qu’elle gouvernera mal et qu’elle sera punie par les électeurs. Tant qu’elle s’occupe de manière créative des problèmes qui ont poussé 40% des habitants à voter Forza Ninove.

Le niveau national?

Dans quelle mesure cela affectera-t-il la N-VA au niveau national ? Arents dit qu’à l’instar du bourgmestre d’Anvers, Bart De Wever, il souhaite « établir des liens ».

MADDENS: Pour la N-VA, ce n’est pas un problème si énorme. Si, par contre, quelqu’un avait décidé de faire le contraire, à savoir soutenir Forza Ninove, le parti aurait eu un plus gros problème. Si la N-VA devait rompre le cordon de cette façon, elle deviendrait persona non grata à la table des négociations fédérales. Le parti francophone serait alors complètement rejeté comme étant radical de droite, et il deviendrait impensable de s’en accommoder. Mais les autres partis flamands pourraient également utiliser une percée du cordon comme alibi pour mettre la N-VA autant que possible hors-jeu.

DEVOS : Arents a péché seul contre la ligne du parti et en subit maintenant les conséquences. Comme le thème a des allures nationales, il est logique que cette question ait été discutée à Bruxelles ou à Anvers. Mais il rend aussi un grand service à la N-VA. Le cordon est maintenu, un vote pour le VB reste perdu, Ninove obtient un gouvernement et le N-VA peut rester dans l’opposition. Mais encore une fois, il reste bizarre que la N-VA ait d’abord voulu garder Ninove gérable, respecter le cordon sanitaire et rester dans l’opposition. La combinaison de ces scénarios était de toute façon impossible.

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