Nemmouche © Belga

Nemmouche face à ses ex-otages français

Le Vif

« Lorsque je serai sur le banc des accusés, vous viendrez témoigner », leur avait-il prédit à Alep au milieu de l’année 2013. La cour d’assises de Bruxelles sera jeudi le théâtre d’un face-à-face très attendu entre Mehdi Nemmouche et les journalistes français ayant été otages de l’Etat islamique en Syrie.

Edouard Elias, photographe indépendant, et Didier François, d’Europe 1, ont été enlevés le 6 juin 2013 près d’Alep, au nord-ouest de la Syrie. Leurs compatriotes Nicolas Hénin, du Point, et le reporter Pierre Torrès subiront le même sort deux semaines plus tard à Raqqa, alors capitale proclamée de l’EI en Syrie. Mehdi Nemmouche, quant à lui, était entré clandestinement en Syrie au début de la même année. Intégré à la division contre-espionnage de l’Amniyat, soit les services secrets imaginés dès 2012 par le sommet de ce qui ne s’appelait pas encore l’Etat islamique, l’accusé de la tuerie au Musée juif a croisé la route des otages français à l’hôpital ophtalmologique d’Alep. Au sein de ce centre où les détenus portent parfois pendant plusieurs jours des bandeaux imprégnés de gaz lacrymogène sur les yeux, sont suspendus dans le vide, frappés avec des tuyaux et se font arracher les ongles, de nombreux geôliers sont francophones. Parmi les plus tristement célèbres figurent Najim Laachraoui, kamikaze de Brussels Airport, et le principal recruteur de djihadistes français Salim Benghalem, qui a notamment côtoyé les frères Kouachi et Amedy Coulibaly au sein de la filière des « Buttes-Chaumont ». L’accusé était l’un des plus féroces, selon les témoignages des ex-otages, qui l’ont reconnu comme étant leur bourreau mais aussi comme l’auteur des vidéos de revendication de la tuerie.

Devant les enquêteurs, ils ont aussi souligné que Mehdi Nemmouche portait sur lui une ceinture explosive, qu’il était l’un des seuls à toujours avoir une kalachnikov en bandoulière, qu’il ne se masquait pas le visage et qu’il tenait régulièrement des propos antisémites extrêmement violents. Lors d’interrogatoires destinés à leur faire avouer des liens supposés avec la justice française, l’accusé se montre particulièrement zélé. Il se félicite ainsi auprès de Nicolas Hénin des gants qu’il a achetés « spécialement pour (le) frapper » et exhibe des cadavres décapités en menaçant les journalistes de leur faire subir le même sort. Ces derniers se diront par ailleurs frappés par les informations très précises à leur sujet dont disposaient leurs geôliers, comme lorsqu’on a reproché à l’un d’eux d’avoir récemment changé de rédaction. Après sa libération en avril 2014, Pierre Torres décrira Mehdi Nemmouche comme un « sale type, narcissique et paumé, prêt à tout pour avoir son heure de gloire ». Il montrait beaucoup d’intérêt pour les affaires judiciaires et se rêvait au centre d’un grand procès. « Quand je serai sur le banc des accusés, vous viendrez témoigner », avait-il prédit à ses victimes, allant même jusqu’à les questionner sur le choix de son avocat.

Entre ses deux passages par l’hôpital d’Alep, Mehdi Nemmouche avait par ailleurs été sélectionné par sa hiérarchie pour mener, durant l’été, des opérations spéciales qui prévoyaient notamment des enlèvements et des assassinats, ressort-il de l’enquête du site français Mediapart. Fin 2013, sentant l’avancée des groupes rebelles, l’EI fuit avec ses otages vers Raqqa. Les quatre Français se retrouvent avec des confrères tels que l’Américain James Foley – qui sera lui décapité en août – dans un convoi piloté par Najim Laachraoui et Oussama Atar, cousin des frères El Bakraoui et futur cerveau des attentats de Paris et Bruxelles. En février 2014, alors qu’Abdelhamid Abaaoud est filmé souriant en train de tracter des cadavres avec son véhicule, Mehdi Nemmouche a lui pris le chemin de l’Asie, via Istanbul. Un voyage de touriste qui pourrait relever de la « taqiya », cette stratégie utilisée par les djihadistes pour se faire oublier par les renseignements occidentaux, selon les enquêteurs.

Le témoignage des ex-otages, qui avaient été libérés le 18 avril 2014 après dix mois de détention, est très attendu devant la cour d’assises de Bruxelles. Tant pour éclairer le jury sur la personnalité de l’accusé que pour lever une partie du voile sur le fonctionnement de l’Etat islamique et de son service de renseignement qui s’inspirait des méthodes de la CIA et du KGB. Un service si performant qu’il a empêché la DGSI (la Sécurité intérieure française) de prendre la mesure de la menace d’attaque sur le sol français, avait dû reconnaitre son patron au printemps 2016, lors de la commission d’enquête sur les attentats du 13 novembre

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire