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MR :  » C’est quoi, ces compétences de merde ? « 

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La répartition des compétences ministérielles confirme le poids important de la N-VA et récompense les deux autres partis flamands. Les libéraux francophones reçoivent des dossiers  » pourris « . Charles Michel s’est-il fait piéger ? Et sera-t-il miné en interne par des  » reyndersiens  » mécontents ? Le pari devient de plus en plus risqué.

La découverte du casting ministériel du gouvernement Michel Ier a laissé plus d’un francophone pantois ou outré, ce vendredi. « Un déséquilibre inédit », clame-t-on du côté socialiste où l’on estime que le MR « a donné les clés de l’Etat fédéral à la N-VA ». « C’est quoi, ces compétences de merde ? », a lancé par SMS un MR déçu à un collègue. Il y a, il est vrai, de quoi être interloqué. Et si certains réformateurs francophones défendent ces choix, ils auront fort à faire pour être entendu dans un climat de méfiance croissante du côté francophone.

La N-VA emporte incontestablement la palme dans le rapport de forces gouvernemental. C’est logique, après tout : il s’agit du premier parti du gouvernement. Mais le président nationaliste Bart De Wever a surtout joué subtilement le jeu en refusant le Premier ministre – soi-disant parce que le MR ne voulait pas… – afin de rester en retrait à Anvers et de capitaliser sur les compétences. « Elle voulait présenter un virage viril », souligne une source proche des négociations. Ce sera incontestablement le cas avec Jan Jambon à l’Intérieur et Theo Francken à l’Asile et l’Immigration. Avec les Finances, la N-VA tirera les ficelles socio-économiques. Mais ce n’est pas tout : elle capitalise aussi des domaines où l’équilibre linguistique est ultra-sensible, à l’instar de la fonction publique, de la Défense voire de la Régie des bâtiments.

Le CD&V, déjà fragilisé par les attaques frontales venues de son aile gauche contre l’accord de gouvernement, obtient l’Emploi et l’Economie pour Kris Peeters : c’est la priorité affiché de la législature. La Justice, aussi, pour Koen Geens qui outre ses compétences (avocat), y trouvera un levier pour aborder des questions sociales – ne songeons même pas à la délicate affaire Arco, qui va encore connaître des rebondissements devant les tribunaux. Important à signaler : il était globalement de coutume que l’Intérieur et la Justice soient répartis entre Flamands et francophones (lors de la législature passée, Milquet était à l’intérieur, Turtleboom à la Justice), ce n’est plus le cas.

Quant à l’Open VLD, il est de façon surprenante récompensé par un gros portefeuille social (Affaires sociales, Santé) que l’on croyait réservé au CD&V. C’est sans doute là le fruit de la popularité de Maggie De Block, en Flandre, mais aussi en Wallonie. Dans les rangs du PS, on fustige déjà un parti « qui croit que l’on peut payer tous les soins gratuitement avec sa carte DKV ». Alexander De Croo reste vice-Premier, mais pèse somme toute moins que sa collègue.

Cela étant, que reste-il au MR ? Des cacahouètes ? C’est peut-être exagéré de le présenter comme cela, mais la perception dans l’opinion publique sera toutefois que Charles Michel paye très cher son poste de Premier ministre, d’autant plus qu’il est assimilé au rôle linguistique francophone (traditionnellement, le Premier est neutre linguistiquement). Du Seize rue de la Loi, c’est vrai, il pourra diriger la manoeuvre, peser, représenter le pays, mais avec le risque d’être soumis aux diktats permanents des poids lourds flamands. Le MR, on l’a dit à plus d’une reprises, représente au fond la voie médiane au sein de cette coalition. La rupture de centre-droit, si elle mesurée, pourrait lui profiter dans le paysage francophone. Ce sera nettement moins le cas si elle devient sécuritaire et pro-flamande à outrance.

Avec le Budget, les libéraux francophones disposent d’un autre levier important : ce ministre contrôle les cordons de la bourse, il participe souvent aux réunions du Conseil des ministres restreint… Mais dans le déséquilibre du gouvernement, un autre pion inquiète : Didier Reynders. S’il reste vice-Premier ministre, l’autre homme fort du MR poursuivra aux Affaires étrangères une mission qui lui plaît, il l’a répété récemment, qui nourrit son ego, mais qui l’éloigne au fond des enjeux belgo-belges. De là à dire qu’il restera au balcon en laissant son collègue de parti se dépêtrer, il y a un pas que certains franchissent.

Pour le reste, le MR obtient des compétences qui « touchent directement les gens », insiste le sénateur Olivier Destrebecq. Peut-être. Mais que de dossier minés, pour ne pas dire « pourris » ! Les pensions risquent d’être un brulot social avec l’annonce de l’allongement du départ à la retraite. La mobilité est une poudrière marquée par le survol de Bruxelles. L’énergie est un cauchemar avec les risques de black-out. La SNCB est un nid de vipères avec la nécessité de rattraper des retards de plus en plus criants. N’en jetez plus… « Ce sont des dossiers difficiles, mais nous sommes convaincus que nous pourrons imprimer notre marque tant les politiques menées ces dernières années ont été désastreuses », défend-on dans les cercles libéraux. Un pari, un de plus. Le reste – classes moyennes, PME, agriculture… – correspondent bien au « core business » libéral, mais ne sont pas des dossiers qui pèsent.

Charles Michel s’est-il fait piéger par l’euphorie qui règne au sein de son parti ? Ne risque-t-il pas d’être déstabilisé par des « reyndersiens » qui risquent d’afficher leur mécontentement ? En s’engageant comme seul parti francophone face à trois flamand, dont la N-VA, le MR faisait le parti de tourner une nouvelle page dans l’histoire de la Belgique, d’ouvrir un nouveau champ du fédéralisme. Cela suppose beaucoup de confiance en ses partenaires voire… la promesse signée de travailler ensemble sur plusieurs législatures. S’il devait être trahi dans cet engagement-là, le MR risque de passer rapidement de l’euphorie à une vigilance de chaque instant.

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