Un cours pour les bébés de 12 mois, chez Kids&Us. Un parent accompagne l'enfant, ce qui crée un lien affectif qui favorise l'apprentissage, selon la neurolinguiste Henny Bijleveld (ULB). © Kids&Us

« Mon bébé a 9 mois et apprend l’anglais »

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Apprendre une deuxième langue avant même d’être capable de parler ? Les cours d’anglais (plus rarement de néerlandais) pour bébés se multiplient, s’inspirant du processus d’acquisition naturel du langage. Une méthodologie intéressante, pas une solution miracle.

« What’s this ? Is it a hippo ? A giraffe ?  » Florence agite l’image verte plastifiée sous les yeux de sa petite classe.  » No, of course, it’s a crocodile !  » Aïssa n’est pas d’accord.  » Non, un crocodile !  »  » Yes, Aïssa, it’s a crocodile.  »  » Non, un cro-co-dile !  » L’elephant provoquera moins de divergences de prononciation.  » Have you seen Linda ?  » enchaîne la professeure. Francisco montre du doigt une caisse où est caché le lapin en peluche.  » Do you remember ? Is Linda one ?  » Le garçonnet hoche vigoureusement la tête de gauche à droite.  » No, you’re right, she is two !  » Quand Florence sort le maquillage pour dessiner à chacun un point coloré sur le dos de la main, c’est la fête.  » Which colour do you want ?  »  » Red please « , baragouine Sira.

Les mots restent hésitants, voire inexistants chez ceux qui ne quittent pas leur sucette. Pas la compréhension. Les enfants de la crèche  » Aux amis de Némo « , à Etterbeek, 2 ans et demi grand maximum, n’apprennent l’anglais que depuis septembre dernier. Une demi-heure chaque semaine.  » Un service que nous offrons aux parents. Nous ne voulons pas être une simple halte-garderie « , motive Geneviève Henry, responsable des ressources humaines des Crèches de Belgique.

Toujours plus tôt

Les parents redoutent que l'apprentissage précoce d'une deuxième langue complique la maîtrise du français. Une crainte injustifiée : le cerveau de l'enfant est parfaitement équipé.
Les parents redoutent que l’apprentissage précoce d’une deuxième langue complique la maîtrise du français. Une crainte injustifiée : le cerveau de l’enfant est parfaitement équipé.© Kids&Us

Florence, la jeune professeure, initie encore de plus petits. Kids&Us, son employeur, accepte les élèves dès 12 mois.  » Là, je fais beaucoup de monologues, sourit-elle. Ils ne me répondent pas, puisqu’ils ne parlent pas encore. Mais, petit à petit, je vois qu’ils commencent à me comprendre.  » Qui dit mieux ? Chez Speech Splash, une asbl liégeoise constituée en novembre dernier, les  » bains  » en anglais ou néerlandais débutent dès 9 mois. A l’Académie des langues de Mons, l’âge minimum n’a été fixé  » qu’à  » 2 ans, uniquement pour… ne pas avoir à changer les langes.  » Sinon, on pourrait démarrer plus tôt « , assure sa directrice, Céline Martin, qui propose ces leçons depuis 2015.  » Avant, on commençait à 5 ans, soit à partir de la troisième maternelle.  »

D’ici à 2018, la société française Babylangues compte s’installer en Belgique. Son concept : des ateliers en anglais, dès 12 mois, mais aussi des nounous qui gardent les bébés plusieurs heures par semaine. Pas un banal babysitting dans la langue de Shakespeare. Les gardiennes (majoritairement des étudiantes anglophones) suivent une  » formation spécifique et appliquent un programme éducatif, développé sur la base de ma propre recherche universitaire « , détaille la fondatrice Caroline Benoit-Levy, linguiste de formation. Développé en 2008 à Bordeaux, Babylangues s’est implanté dans dix-sept autres villes. Et pourrait se développer davantage, s’il n’était pas bloqué par le recrutement.  » Des mamans nous contactent dès qu’elles sont enceintes, mais la liste d’attente est longue comme le bras.  » Idem chez Speech Splash, qui a imité le concept.  » Les demandes sont très fortes !  » confirme sa fondatrice, Jennifer Maus.

Les parents ne se contentent plus des écoles d’immersion, de toute façon prises d’assaut. Toujours plus tôt !  » On satisfait un souhait des familles et, en même temps, on essaie de se différencier, concède Céline Martin. Le secteur est très concurrentiel, on se partage une même clientèle, donc il faut être précurseur. C’est déjà pour cela qu’on avait lancé le chinois, le russe…  »

Plus cher qu’un minerval

Parce qu’eux-mêmes ont galéré pour maîtriser een andere taal, les parents ne lésinent pas sur la dépense. La garde d’enfant Babylangues revient (pour 5 heures par semaine) à un tarif indicatif de 416 euros par mois, bien que les mécanismes français de crédit d’impôts et d’aide de la caisse d’allocations familiales fassent baisser le montant à 55 euros. A l’Académie des langues et chez Speech Splash, comptez respectivement 300 et 350 euros l’année. Mais près de 1 000 euros chez Kids&Us, pour 34 cours par an. Plus cher qu’un minerval universitaire.  » C’est justifié. Contrairement aux autres, nous ne sommes pas une asbl, nous avons nos propres bâtiments, nous payons la TVA, nous répondons au téléphone n’importe quand…  » plaide Laurent Avela, qui développe la franchise belge de cette entreprise espagnole née en 2003, qui accumule aujourd’hui 375 centres dans 8 pays, pour 115 000 enfants inscrits, dont 3 500 chez nous. Quatre implantations vont s’ajouter aux huit actuelles. Toujours dans les beaux endroits : Wavre, Waterloo, Namur, Uccle, Gerpinnes, Beaufays…

On satisfait un souhait des familles et, en même temps, on essaie de se différencier. C’est un secteur très concurrentiel » – Céline Martin, directrice de l’Académie des langues

A ces prix, papa-maman espèrent souvent le bilinguisme. Faut pas rêver.  » Même dans les écoles d’immersion, on ne peut pas dire que l’enfant devient bilingue, bien qu’il acquière un bon niveau de langue seconde « , rappelle Martine Poncelet, professeure de neuropsychologie du langage et des apprentissages à l’ULg. Les écoles privées réfrènent ces ardeurs parentales.  » Les parents veulent que leur enfant soit performant, qu’il gagne du temps dans l’apprentissage, mais je les mets en garde : il n’y a pas de recette miracle « , recadre Caroline Benoit-Levy. A quoi s’attendre, alors ? Kids&Us affirme que le suivi de ses cours dès le plus jeune âge permet d’atteindre, à 17-18 ans, un niveau C2, le plus élevé selon la grille d’évaluation européenne. Aucune analyse scientifique ne peut cependant le confirmer.

De nombreuses études, en revanche, notent un bénéfice majeur chez les tout-petits exposés à une autre langue. Tout se passe dans leur cerveau, capable de distinguer tous les phonèmes (éléments de prononciation) possibles et imaginables. Dès 6 mois, ils vont se concentrer sur les sons de la langue dans laquelle ils baignent et éliminer les autres. L’  » ouverture  » initiale va alors progressivement se refermer. A 6, 7, 8, 12 ans ? La science diverge. En tout cas, à l’adolescence, l’apprentissage d’une autre langue n’aura plus rien de naturel et nécessitera un réel effort.

Fréquence et continuité

Le plus tôt, c’est donc le mieux. Pour que le cerveau n’exclue pas certains phonèmes. Et pour ne pas parler, plus tard, anglais (ou autre) comme une vache espagnole.  » Si on veut un bon accent, il est positif de commencer dès le plus jeune âge, résume Arnaud Szmalec, professeur en acquisition du langage à l’UCL. Vu que la phonologie s’apprend surtout durant la première année de vie, il est important que l’adulte soit un native speaker avec une bonne prononciation.  » Tous les cours pour bébés n’en emploient pas. Pour cause de difficultés de recrutement. Ou de… pédagogie.  » C’est une demande de beaucoup de parents, mais moi je dis : faites-nous confiance pour la sélection. Ce qui est important, c’est le très bon niveau et le contact avec les enfants. Les locuteurs natifs ne sont pas toujours les meilleurs sur cet aspect-là « , justifie Patricia Wallis, directrice du centre Kids&Us Stockel, à Woluwe-Saint-Pierre.

Peu importe par qui ils sont dispensés, les cours pour bébés ne serviront à rien s’ils ne se poursuivent pas tout au long de l’enfance.  » Use it or loose it ! lance Caroline Benoit-Levy. Si on arrête, on perd tout.  » Définitivement. Arnaud Szmalec cite une étude réalisée auprès d’enfants vietnamiens qui avaient été adoptés en France avant leurs 6 ans. A 18 ans, leur cerveau ne reconnaissait plus du tout le vietnamien.  » Peut-être auraient-ils plus facile de le réapprendre ensuite, mais les chances sont minces.  »

Si le cerveau peut oublier une langue maternelle, alors une langue apprise 45 minutes par semaine… Une fréquence qui rend Martine Poncelet sceptique.  » Ce qui fonctionne le mieux, c’est d’être exposé le plus souvent possible. Comme dans les familles bilingues, l’expatriation, la scolarisation très tôt dans une autre communauté ou les écoles d’immersion.  » Un reproche que les écoles privées compensent en fournissant aux parents des pistes audio de quelques minutes à faire écouter chaque jour à leur progéniture. Même scepticisme.  » Ce qui fait qu’on apprend une langue, c’est l’interaction avec quelqu’un « , souligne la spécialiste de l’ULg.  » Seulement l’audio, ça ne marcherait pas, confirme Arnaud Szmalec. Le contact humain est important.  » L’apprentissage passe par le regard, la répétition, la correction, l’interpellation, l’émotion…

Précisément ce qui a séduit Henny Bijleveld, professeure de neurolinguistique à l’ULB, qui a assisté à des cours chez Kids&Us.  » Leur méthode est remarquable « , estime-t-elle, saluant moins l’écoute d’une piste audio quotidienne que le fait qu’un parent soit présent lors de la leçon.  » La maman prend l’enfant sur ses genoux, lui répète la phrase… Cela crée un climat affectif qui stimule l’apprentissage et le plaisir de la langue « , décrit-elle. Regrettant simplement le prix élevé,  » un facteur d’exclusion « .  » Je rêve que cela existe dans toutes les écoles, gratuitement !  »

Dans l’enseignement officiel, l’apprentissage d’une deuxième langue débute en 3e primaire à Bruxelles (néerlandais) et en 5e en Wallonie (néerlandais, allemand ou anglais). Précisément quand le cerveau perd ses capacités  » naturelles  » à les assimiler. Tant qu’il en sera ainsi, les initiatives privées n’auront pas trop à s’inquiéter de leur pérennité. Ni de leurs tarifs.

Deux langues : no problemo pour le jeune cerveau

A chaque fois qu’il reçoit des parents, Laurent Avela (Kids&Us) a droit à la même question : l’apprentissage précoce d’une deuxième langue ne risque-t-il pas de compliquer celui de la langue maternelle ? Les vieilles croyances ont la peau dure. « C’est un argument de psychologues d’il y a cinquante ans ! » s’exclame Henny Bijleveld (ULB). Une multitude d’études scientifiques ont, depuis, cassé le mythe. « Le cerveau d’un enfant est parfaitement équipé pour apprendre deux langues », garantit Arnaud Szmalec (UCL). Le bilinguisme ne crée pas de difficultés. Au contraire. Il a été démontré que les enfants bilingues se révèlent plus performants pour la réalisation de tâches qui nécessitent de l’attention.

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