RADICALISME Le sécuritaire et la répression ne règleront rien sur le long terme. © BART DEWAELE/IMAGEDESK

Molenbeek: comment des départs en Syrie sont évités

Le Vif

« Les attentats de Paris, c’est halal ou pas halal ? » Face aux jeunes, les éducateurs de Molenbeek ont fort à faire. Au-delà de son image exécrable, la commune se bat et se débat pour sauver ses enfants du djihadisme. Avec les moyens du bord.

La déradicalisation est sur toutes les bouches, dans toutes les têtes. Déradicaliser. Mais comment ? Et surtout, comment déradicaliser durablement ? « Depuis les attentats du 13 novembre, je reçois, en moyenne, une offre par jour d’une asbl, d’un particulier ou d’une institution privée pour déradicaliser Molenbeek contre X milliers d’euros », raconte Olivier Vanderhaeghen, le fonctionnaire de prévention de la commune. Ce n’est malheureusement pas si simple. « Nous manquons d’expertise face à un phénomène complexe », reconnaît-il. On ne peut, en effet, établir de profil type du radicaliste. Le seul point commun est générationnel, entre 18 et 35 ans. C’est mince.

« Il n’existe pas de boîte à outils toute prête, on est dans le learning by doing, confirme Hakim Naji qui dirige les travailleurs sociaux de rue à Molenbeek, depuis la mi-2013. Avant, il gérait la maison de quartier du Karreveld qu’ont fréquenté, pour l’école des devoirs, Salah Abdeslam et Mohamed Abrini. La bande de potes d’Abdelhamid Abaaoud, il la connaissait. Molenbeek est un village. La maison de quartier a dû fermer, en avril 2013, pour cause d’insalubrité. Des rats couraient dans les faux plafonds rongés par l’humidité. Le bâtiment devait être reconstruit. Problèmes juridiques, budget communal sous plan de gestion… Le projet n’a jamais vu le jour. Quelques mois plus tard, dans la même rue Stijn, les frères Abdeslam reprenaient le café Les Béguines, vite transformé en un lieu de trafic de drogues.

L’épisode est révélateur. Le bar de voyous a remplacé la maison de quartier qui est devenue un chancre et l’est toujours. Faute de moyens. Le constat est le même un peu partout. On compte vingt éducateurs de rue pour une commune de 30 000 jeunes. Leur boulot est essentiel, car les gamins les plus « cramés », comme on dit à Molenbeek, ne fréquentent plus aucune infrastructure. C’est aussi dans la rue que les recruteurs de Daech harponnent leurs proies.

Un travail mental et corporel

Chez le fonctionnaire de prévention et son adjoint « radicalisme », les idées et initiatives fusent. Ils se sont rendus à Malines, enviée pour la réussite de sa politique antiradicalisation. « Sharia4Belgium est descendu d’Anvers vers Bruxelles, en passant par Vilvorde, mais à Malines, qui a pourtant des points communs sociologiques avec Molenbeek, ça n’a pas pris », expose Olivier Vanderhaeghen. La ville de Bart Somers (VLD) a notamment développé un coaching visant à accroître chez les jeunes la capacité de résistance au discours des recruteurs. Ce travail, à la fois mental et corporel, intéresse énormément les Molenbeekois. Idem avec le secteur jeunesse qui, à Malines, est centralisé autour d’une grosse Maison de jeunes, autonome du politique. En mai dernier, les bourgmestres des deux communes ont décidé de faire collaborer leurs policiers et leurs agents de prévention.

La cellule « radicalisme » envisage aussi de mobiliser davantage de figures légitimes écoutées par les ados. Artistes, sportifs, rappeurs, issus de Molenbeek ou pas. « Si nous voulons leur parler pour aborder la problématique identitaire, nous devons utiliser leurs codes, un peu comme l’a fait Ismaël Saïdi, dans sa pièce Djihad« , poursuit Olivier Vanderhaeghen qui compte réinviter Mourad Benchellali. Ce Lyonnais embrigadé par Al Qaeda, ancien détenu de Guantanamo, veut aujourd’hui donner des outils aux jeunes pour éviter qu’ils s’engagent sur le front syrien.

Car, si le sécuritaire et la répression doivent constituer une réponse immédiate à la violence des djihadistes et au risque de contagion, ils ne régleront rien sur le long terme. Ils ne répondront pas aux questions que les jeunes, avec leur vision binaire du monde, posent encore aux éducateurs, deux mois après les attentats du 13 novembre : « Dis, ce qui s’est passé à Paris, c’est halal ou c’est pas halal ? » Seule la prévention sociale permettra d’obtenir des résultats solides. « Actuellement, c’est en recréant des liens affectifs au sein des familles qu’on parvient le mieux à éviter des départs en Syrie », souligne Olivier Vanderhaeghen. Nos interlocuteurs sont catégoriques : des départs en Syrie, ils en ont évité et en évitent encore.

L’intégralité de l’enquête dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec, notamment :

– l’exemple de Malines

– le modèle danois

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