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Mission B-fast au Népal: « une affaire de com’ contre-productive »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

L’équipe B-fast est revenue bredouille du Népal ce 4 mai, elle n’a pas pu venir en aide aux victimes du séisme qui a frappé le pays le 25 avril. Au final, la mission des Belges a tourné au véritable fiasco. Comment peut-on expliquer cette situation de chaos de l’aide internationale en général ? Explications avec Frédéric Thomas, politologue et chercheur au Cetri, centre de recherches sur le développement et les rapports nord-sud et auteur de l’ouvrage L’Echec Humanitaire, Le cas haitien.

Levif : Fallait-il envoyer cette mission B-fast dans l’urgence?

Frédéric Thomas : Envoyer dans l’urgence au Népal cette équipe B-Fast de 42 personnes accompagnée de journalistes était avant tout une grande « affaire de com' ». La Belgique a voulu donner une image spectaculaire de l’aide qu’elle pouvait apporter aux Népalais. Les Belges n’auraient pas compris qu’on n’envoie pas B-fast. Et tant pis si cette prétendue incompréhension passe avant les besoins réels des Népalais. On entretient ici à dessein la confusion entre visibilité et efficacité.

La surmédiatisation a donc joué un rôle important dans l’envoi de cette équipe. Pour les acteurs de l’aide international, il faut être visible, être les premiers sur place alors que ce ne sont pas toujours les premiers arrivés qui sont les plus efficaces. Il y a une vraie survalorisation des acteurs étrangers, il faut arrêter avec cette image héroïque de l’aide internationale.

Ces aides extérieures occultent aussi le travail effectué par les locaux, qui sont plus à même de retrouver des survivants dans les 72 heures après la catastrophe. Ce sont les 2 et 3 premiers jours qui sont les plus importants pour les recherches. Après, il faut passer à une autre sorte d’aide plus structurelle. En arrivant quatre jours après le séisme, la mission de « research and rescue » belge n’avait plus raison d’être et ils sont revenus bredouilles. Sans parler des doublons avec les autres ONG (La Croix Rouge, MSF,…) aussi envoyées sur place. Les équipes d’aide, une cinquantaine, étaient trop nombreuses et ont créé une congestion de l’aéroport de Katmandou. Car il faut stocker le matériel, nourrir, loger et transporter les intervenants.

De nombreux problèmes logistiques se sont alors présentés au gouvernement népalais qui organisait les secours. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’on rencontre cette situation chaotique.Le premier mois qui a suivi le tremblement de terre en Haïti, on a recensé plus de 1 000 ONG sur le terrain. Au final, c’est l’image de la mission B-fast qui est écornée et l’opération de com’ est tout à fait contre-productive alors que l’on savait à l’avance que cela ne servirait à rien !

La population locale peut-elle se débrouiller seule ?

Au lieu de mettre en avant l’action des secours internationaux, il faut plutôt valoriser les acteurs locaux, car ce sont eux qui connaissent le mieux le terrain. De même que les pays frontaliers, comme l’Inde, sont les mieux placés pour apporter leur aide. Ils ont un accès direct avec le pays, connaissent bien mieux la situation, les enjeux géopolitiques de la région, ont de meilleures relations avec les autorités. Ce qui n’est pas le cas de la Belgique, située à 6000 kilomètres. Les acteurs étrangers ont aussi essayé de remettre la faute de ce chaos sur le gouvernement népalais incapable de coordonner l’aide. Dans leur volonté de se dédouaner, ils renvoient une image négative de la population népalaise. La « communauté humanitaire », est d’ailleurs qualifiée par la Croix rouge internationale de la « plus grande industrie non réglementée ».

A l’avenir, comment éviter ce genre de situation ?

Le fiasco de la mission B-fast est bien la démonstration par l’absurde de la grande confusion qui règne au niveau européen pour l’organisation de l’aide internationale. Quand le Népal a fait appel à l’ONU pour solliciter une aide globale, l’ONU a relayé cet appel aux autres pays qui se sont tous empressés d’envoyer leurs secours, sans aucune coordination, se profilant chacun comme les « sauveurs » d’une population en danger. Il n’y a eu aucun mécanisme de filtrage, aucune gestion de l’abondance de l’aide, aucune coordination avec les acteurs locaux qui se sont retrouvés submergés. Avec 24 équipes sur place, c’était déjà bien suffisant, selon les autorités népalaises. Mais au final, 53 ont fait le déplacement. Chaque pays a joué sa propre carte et a fait sa propre action de promotion humanitaire. L’ONU, de son côté, n’a pas les moyens, ou la volonté, de limiter l’aide.

A l’avenir, il faut repenser cette aide en amont, en organisant une aide concertée et coordonnée qui vient en appui aux équipes sur place, plutôt que de se substituer à elles de manière spectaculaire. Une réflexion doit être menée sur le long terme au niveau européen afin de ne pas revivre ce type de situation. L’aide « déversée » pour cette mission B-fast – près de 200 000 euros -, trop tardive et mal placée, a été un gâchis; autant d’argent qui n’ira pas à un soutien durable et structurant des acteurs népalais.

« Je ne peux tolérer qu’un fonctionnaire soit montré du doigt »

« Je ne peux pas tolérer qu’un fonctionnaire du SPF Santé publique soit montré du doigt et qu’il soit allégué que des erreurs ont été commises lors de la mission de B-Fast au Népal », a indiqué mercredi la ministre de la Santé publique Maggie De Block, par le biais de sa porte-parole. Elle réagit ainsi à la critique formulée plus tôt mercredi par des médecins urgentistes, dont Luc Beaucourt de l’hôpital universitaire d’Anvers (UZA).

Selon la ministre, tous les départements concernés (Santé publique, Défense, Affaires intérieures et étrangères) doivent analyser la mission menée au Népal afin d’en tirer des leçons. Mais un seul fonctionnaire d’un département ne peut être le bouc émissaire de cette affaire, estime-t-elle.

« Selon nos informations, le fonctionnaire concerné s’est consacré à B-fast 24h sur 24 et est également un responsable opérationnel passionné par la lutte contre EBola », note Els Cleemput, porte-parole de la ministre. Selon la ministre, la critique est facile et les reproches émis par les médecins seraient dus à un conflit d’égos.

Flahaut appelle à replacer B-Fast dans le giron de la Défense

L’ex-ministre de la Défense André Flahaut (PS), aujourd’hui ministre du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, a appelé mercredi à « tirer les leçons » de l’opération menée par B-Fast au Népal et à « revenir à la philosophie initiale » du dispositif qu’il a contribué à mettre sur pied, à savoir « confier les opérations et la conduite des opérations » à la Défense et aux Affairesétrangères.

Il faut à tout prix éviter une « privatisation » de B-Fast, a-t-il indiqué alors que certains médecins urgentistes au nord du pays ont dans la foulée du docteur Luc Beaucourt, de l’hôpital universitaire d’Anvers, pointé du doigt un fonctionnaire du SPF Santé publique accusé d’avoir manipulé le dispositif qui n’a pas pu fonctionner comme prévu au Népal.

André Flahaut avait contribué, avec le ministre des Affaires étrangères Louis Michel (MR), lors du gouvernement Verhofstadt, à mettre sur pied B-Fast après le tremblement de terre qui avait lourdement frappé la Turquie en 1999. Des équipes de secours belges étaient alors parties en ordre dispersé et le gouvernement avait souligné la nécessité de coordonner ce type d’opérations au départ des départements de la Défense et des Affaires étrangères, en coordination avec le Premier ministre.

Au fil des années, la protection civile s’est ajoutée au dispositif ainsi que le département de la Santé publique. Pour André Flahaut, il faut en revenir à la philosophie initiale, avec un rôle central pour la Défense.

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