Derrière cette décision parlementaire, le très efficace et intense travail de lobbying du cercle des anciens mineurs limbourgeois. © VRIENDENKRING KEMPENSE STEENKOLENMIJNEN/FACEBOOK

Mineurs limbourgeois: la coûteuse réparation qui tombe mal, en pleine crise du coronavirus

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Lésés par trente ans de couac légistique, des milliers d’ex-mineurs limbourgeois décrochent subitement plus de 200 millions en pensions. Juste au moment où la saga du corona fait plonger les finances de l’Etat.

Enfin, c’est dans la poche. 25 000 euros d’arriéré (brut) prochainement sur le compte en banque et, à l’avenir, 200 euros brut de plus sur la fiche mensuelle de pension. C’est Byzance au Limbourg. Pour 7 000 à 8 000 de ses mineurs à la retraite, un vrai conte de fées en pleine déprime pour raisons de santé. C’est la Chambre qui régale. Qui vient de trancher en leur faveur un vieux contentieux surgi dans la foulée de la fermeture des derniers charbonnages, à la charnière des décennies 1980 et 1990. Une controverse purement technique à propos d’un supplément de pension qui pâtirait depuis trente ans d’une loi erronément appliquée par un arrêté royal. Faute d’une correction en temps et heure, la petite cause a produit de gros effets.

Embarras à la N-VA, adversaire des régimes particuliers de pension sauf exception pour des mineurs flamands.

Car les gueules noires n’ont jamais lâché le morceau. Bien leur en a pris. Trois décennies de surplace plus tard, une fenêtre de tir s’est présentée. Un Parlement aux coudées franches s’est retrouvé en mesure de profiter de la faiblesse d’un exécutif en affaires courantes et sans majorité pour lui imposer ce qu’un gouvernement de plein exercice, appuyé sur des députés disciplinés, aurait probablement repoussé : la réparation du tort subi, tant passé que présent et à venir. Autrement dit, la rectification de la pension assortie d’une rétroactivité de dix ans et de la liaison au bien-être.

Daniel Bacquelaine (MR), ministre des Pensions en sursis, a été pris de vertige en parcourant l’addition. Jointe à la facture qui avoisinera chaque année les vingt millions d’euros, une ardoise de 190 millions engendrée par le retour en arrière finalement limité à une décennie au lieu des trente ans initialement réclamés qui auraient porté la note à… 400 millions. Ce qui laisse tout de même près de 200 millions à débourser. La moitié du fonds  » Blouses blanches  » ou encore  » l’équivalent pour 7 000 à 8 000 personnes de l’enveloppe bien-être dépensée annuellement pour 2,5 millions de pensionnés « , comme a tenu à le rappeler le ministre avant que la Chambre ne passe à l’acte.

Un dossier tout sauf mineur

Jusqu’au bout, Daniel Bacquelaine a tenté de réfrener les ardeurs réparatrices. A cherché à convaincre les élus de renoncer au  » détournement, légalisé ou pas  » que serait la rétroactivité. Il les a exhortés à bien peser le risque de discrimination à l’égard d’autres catégories de pensionnés, privés d’une telle mesure lorsque le calcul de leur pension est révisé. A ne pas exclure non plus que la Cour constitutionnelle s’en mêle et  » pourrait considérer qu’il faut instaurer la rétroactivité pour toutes les revendications, ce qui provoquerait l’effondrement du système de pensions « , rien que ça. Bref, qu’il vaudrait mieux renoncer à ce moment d’égarement, à l’heure où ce ne sont plus les mineurs mais les finances publiques qui touchent le fond.  » Notre mission première, y compris pendant la crise du coronavirus, est de défendre l’intérêt général et non de céder devant l’un ou l’autre intérêt particulier « , a martelé le ministre en ayant une pensée émue pour son administration qui se prépare à consacrer 30 000 heures de travail à recalculer manuellement 8 000 dossiers.

La carte de la dramatisation a laissé de marbre une majorité de parlementaires. Que l’administration des pensions soutienne n’avoir commis aucune erreur de calcul, ces députés en ont retenu qu’elle avait donc correctement appliqué une législation incorrecte. Que l’injustice, bien réelle, n’avait que trop duré. Et que le pays devait bien cette réparation à des hommes qui sont allés au charbon au péril de leur vie pour assurer la prospérité au plus grand nombre.  » La demande des mineurs est-elle justifiée ? Celui qui se pose cette question devrait aller parler à un ancien mineur « , a lancé Barbara Creemers, députée limbourgeoise Groen et l’une des figures de la mobilisation parlementaire. Car le Limbourg, comme un seul homme, s’est levé, a voté et a gagné, porté par une quasi-union sacrée de ses députés, de l’extrême gauche PVDA à l’extrême droite Vlaams Belang en passant par Groen, la N-VA, SP.A et le CD&V.  » Tous ensemble ! Tous ensemble !  » et tous poussés dans le dos par le très efficace et intense travail de lobbying du Vriendenkring Kempense Steenkolenmijnen, le cercle des anciens mineurs limbourgeois, qui avait même réussi à décrocher une audience auprès de la Première Sophie Wilmès (MR).

L’Open VLD, rejoint par le MR, s’est retrouvé bien seul à s’insurger contre cette manifestation criante de provincialisme.  » Ces partis qui accèdent aujourd’hui sans vergogne aux desiderata de ce groupe de pression, que diront-ils aux commerçants, aux aides-ménagères et aux blouses blanches qui devront se débrouiller avec une pension bien moindre ? Ces revendications sont le fruit d’un lobbying honteux « , a lourdement chargé le Courtraisien et ex-ministre des Pensions Vincent Van Quickenborne. Au fait, qu’en pensait la puissante N-VA ? Le parti de Bart De Wever songeait surtout à justifier comme il pouvait la coûteuse fleur faite aux mineurs, lui d’ordinaire si prompt à vouloir le démantèlement des régimes spécifiques de pension réservés à des professions  » privilégiées « . La N-VA a donc préféré s’abstenir sur le sujet, à l’exception de ses trois élus limbourgeois autorisés à voter oui.

Le Limbourg qui rit, Clabecq qui pleure

Le sort des ex-mineurs du Limbourg a ému jusqu’en Wallonie, aussi fière de son passé minier. Le PS a naturellement pris fait et cause pour eux et , par la même occasion, pour 300 à 400 mineurs wallons concernés car autrefois employés au Limbourg.  » Un droit est un droit. Dans ce dossier, je me sentais limbourgeois « , nous confie le député Jean-Marc Delizée qui a porté la voix d’un Parti socialiste fier d’afficher sa loyauté fédérale, de faire primer entre travailleurs une solidarité sans frontière linguistique, et de contribuer à ce qui s’apparente, mine de rien, à un transfert sud-nord d’argent fédéral au profit de pensions flamandes.

8 000 anciens mineurs du Limbourg qui rient enfin, 1 800 ex-sidérurgistes brabançons wallons qui pleurent toujours. A l’ombre des anciennes Forges de Clabecq, on ne se bat pas pour rectifier un supplément de pension mais pour obtenir l’intégralité d’indemnités de licenciement. Un quart de siècle passé à disputer à l’Etat fédéral la somme bien plus modique de dix-huit millions d’euros liés au passif social de l’usine déclarée en faillite en 1997. A tenter, aux côtés de la curatelle, de faire plier cet Etat qui ne lâche rien par crainte de créer un précédent, fort de décisions judiciaires rendues systématiquement en sa faveur, dont un récent arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles qui ruine les derniers espoirs des anciens travailleurs. A moins d’obtenir du vainqueur un geste généreux, l’abandon spontané de sa créance privilégiée, qui sait, sous la pression d’une mobilisation parlementaire. Allô, les Limbourgeois ?

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