Gérald Papy

Migrants : un sursaut venu de citoyens européens

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Il n’est pas fortuit que les deux pays européens aujourd’hui les plus généreux dans l’accueil des candidats réfugiés, l’Allemagne et l’Autriche, soient dirigés par des alliances entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates, entre la droite et la gauche.

Non que ce type de coalition soit en tout temps la panacée, mais le défi posé par une pareille vague d’immigration requiert une forme de front commun « transpartisan ». C’est loin d’être le cas dans de nombreux pays, y compris en Belgique où la N-VA, même partenaire de gouvernement, multiplie les sorties électoralistes, et certainement pas au niveau de l’Union européenne. Il est paradoxal, à cet égard, d’observer que la « nouvelle Europe » qui se montre réticente à assumer sa part normale à l’effort d’aide aux migrants est, peu ou prou, la même qui, en 2003, s’empressa d’emboîter le pas à George W. Bush pour engager une guerre en Irak qui n’est pas étrangère au gâchis actuel.

Face à la déliquescence d’Etats comme l’Irak et la Syrie et à ses conséquences concrètes de l’autre côté de la Méditerranée, resurgit l’idée d’intensifier la guerre contre l’Etat islamique. Les précédents contemporains sanctionnés par des échecs sur le terrain (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Yémen…) devraient pourtant inciter à la circonspection et fixer les règles impératives d’un tel engagement : des moyens, y compris au sol, à la hauteur de la force de frappe du groupe islamiste ; un dialogue mâtiné de possibles concessions avec des puissances régionales comme la Russie et l’Iran ; une solution politique à l’après-conflit ; un feu vert des Nations unies et l’acceptation en Europe et aux Etats-Unis de l’idée de devoir mourir pour Mossoul et Raqqa. Bref, une série de conditions qui ne sont pas près d’être réunies.

A cette aune, la décision du président Francois Hollande d’étendre à la Syrie la participation française à la coalition anti-Daech, limitée jusqu’alors à l’Irak, apparaît cosmétique, surtout au regard de l’efficacité toute relative des frappes aériennes menées depuis un an, et dictée par la nécessité de répondre à l’émotion populaire et à l’ascendant moral pris par Berlin sur le volet humanitaire du dossier. Car – et c’est un autre paradoxe de la crise – la gauche européenne a bel et bien raté, comme lors de la crise financière, son rendez-vous avec l’Histoire en marche. Par sa vision et son engagement, c’est la chancelière Angela Merkel qui a clairement su s’ériger en premier défenseur des valeurs européennes dans un débat que l’extrême droite et la droite populiste auraient continué à pourrir. La chrétienne-démocrate a personnifié ce sursaut, comme, dans une moindre mesure, le libéral Louis Michel a pu le faire en Belgique.

Le mouvement citoyen en faveur des candidats réfugiés a submergé les paroles de haine et contribué à infléchir les positions des gouvernants

En vérité, les politologues détermineront peut-être un jour si la chancelière allemande a précédé, anticipé ou suivi l’extraordinaire élan de solidarité des populations de plusieurs pays européens à l’égard des réfugiés après l’irruption de la photo du corps sans vie du petit Aylan sur une plage turque. Sans que l’on sache en définitive s’il révèle une tendance majoritaire dans l’opinion, ce mouvement citoyen a submergé les paroles de haine, a contribué à infléchir les positions des gouvernants et a consacré ce nouveau paradigme que perçoivent depuis quelque temps les philosophes qui, comme Cynthia Fleury évoquant dans son dernier ouvrage les individus comme Les irremplaçables (Gallimard), soutient que « la démocratie n’est rien sans le maintien des sujets libres, […] sans leur détermination à protéger sa durabilité ». S’il ne faut pas verser dans l’angélisme, cette leçon à la classe politique est, en ces temps de sinistrose européenne, plutôt rafraîchissante et porteuse d’espoirs.

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