Migrants : ne pas sous-estimer la colère qui gronde

Angela Merkel a surpris tout le monde la semaine passée avec son idée, en apparence généreuse, d’accueillir 800.000 voire 1 million de réfugiés rien que cette année et autant l’an prochain. Quelques jours plus tard, elle demandait à son ministre de l’Intérieur la fermeture de la frontière avec l’Autriche. Submergée, Munich rendait les armes.

Un camouflet pour la chancelière. En juillet dernier à Rostock, elle avait pourtant déclaré à une jeune Palestinienne déboutée du droit d’asile : « Tu es une personne très sympathique. Mais tu sais aussi que dans les camps palestiniens ils sont des milliers et des milliers. Et si nous disons maintenant que vous pouvez tous venir. Nous ne pourrons pas y arriver. »

D’origine luthérienne et fatiguée d’être comparée à Bismarck, Angela Merkel entendait peut-être offrir au monde l’image d’une Allemagne accueillante, débarrassée de ses scories nazies et communistes. Riche et en pénurie de main d’oeuvre l’Allemagne aurait pu faire d’une pierre deux coups. Le patronat allemand se frottait déjà les mains même si le patron de l’ONEM allemand, Frank-Jürgen Weise (dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung) a reconnu que dans un premier temps, les chiffres du chômage augmenteraient de manière importante.

Mais la chancelière n’a pas compris que son pays ne peut pas, dans une Europe de la libre-circulation, dicter sa conduite à tout le continent.

Aussitôt les souverainistes français ont crié « non au diktat de Berlin ». Dans Le Figaro, le géopolitologue Hadrien Desuin avertit : « La tutelle allemande sur l’Europe, faute d’un contrepoids français conséquent, commence à peser lourd. L’Europe de l’Est gronde. La France et le Royaume-Uni, dont le droit du sol est attractif, ont tout intérêt à reformer « la petite entente » des années 20. A condition que François Hollande et David Cameron soient moins pusillanimes que Chamberlain et Daladier. Si l’Europe ne parvient pas à ramener l’Allemagne à la raison, cette dernière l’entraînera une nouvelle fois dans sa chute. » Non à cause du nazisme, cette fois, mais en raison de son souvenir.

Ramener la chancelière à la raison ? Ses alliés bavarois l’ont déjà fait. Pas question de gâcher la Fête annuelle de la bière qui aura lieu dans quelques jours à Munich (authentique).

Champion du pragmatisme, Nicolas Sarkozy a bien mieux senti l’angoisse de l’opinion. Au JT de TF1 jeudi dernier, il a envisagé une intervention militaire au sol, mais par les puissances militaires locales et le recours au statut de réfugié de guerre pour les migrants, car celui-ci sous-entend une obligation de retour au pays dès la paix revenue. De quoi rassurer une population inquiète de cet exode sans précédent depuis la Guerre de 40.

Comme l’a confirmé notre ministre des Affaires étrangères, Didier Reynder, une intervention sous mandat de l’ONU nécessiterait l’accord de la Russie et toute incursion sur sol syrien, l’accord de Bachar el Assad. Mais au moins l’idée d’agir en amont et stopper Daech, responsable de ce marasme, semble enfin faire son chemin chez nos élites.

Alexander De Croo sur les antennes de la VRT a aussi envisagé la possibilité de financer des camps de réfugiés à proximité des zones de conflit, ce qui diminuerait les migrations. Ce n’est pas un voeu pieux puisque le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU prépare des plans de réinstallation pour 130 000 réfugiés syriens et des camps de migrants dans des zones protégées au Moyen-Orient même.

Chez nous, pendant que la Flandre débat sereinement entre pros et contras, la partie francophone du pays assiste à une lutte sans merci entre gauchosphère et droitosphère dans un jeu de ping-pong anxiogène. D’un côté une forme de chantage affectif des éditorialistes (En France, Causeurs parle même de « putsch »), de l’autre, une réinformation parfois à la limite de la haine.

Les informations contradictoires achèvent de créer un climat de suspicion générale. Même dans les médias traditionnels, comment choisir entre Ali Bongo, président du Gabon et musulman, qui déclare sur Europe1 (15 septembre 2015) que « bien entendu il y a des terroristes et des criminels parmi les migrants » et une experte qui affirme dans un grand quotidien belge que ce serait de la part de Daech une stratégie contre-productive ?

Le thème des réfugiés est tellement rebattu qu’il provoque un effet multiplicateur : on dirait qu’ils sont des millions rien qu’en Belgique. Effet inverse qu’escompté : plus on tente de rassurer les lecteurs/auditeurs (avec des arguments parfois à la limite du ridicule tel « les migrants vont rendre à l’Europe son statut de grande puissance »), plus le public se sent manipulé.

Interrogé par LeVif, Dirk Van den Bulck, commissaire général pour les réfugiés et les apatrides depuis dix ans, refuse de parler d’une crise de l’asile. Mais il reconnaît que ce que nous vivons est un avant-goût. Tout en soulignant le devoir de l’Europe d’offrir une solution aux véritables réfugiés politiques, il ne nie pas que des dizaines de millions de réfugiés économiques de Rabat à Kaboul pourraient prendre le chemin de l’exil. La résilience de nos compatriotes risque donc dans un avenir proche d’être soumise à rude épreuve.

Et puis, il y a le portefeuille. Le point sensible des Belges. On ne peut pas non plus l’ignorer.

Trente ans d’austérité ont rendu nos compatriotes irritables. Ils demandent à voir. Juste à côté des appels vibrants à la solidarité pour les migrants, ils sont frappés par la litanie des mauvaises nouvelles : une Justice sinistrée, un enseignement aphone, des routes délabrées, des chômeurs expulsés, la TVA sur l’électricité à 21%.

La population, excédée par la hausse du coût de la vie et la détérioration des garde-fous sociaux, se demande comment on va financer tout cela. Vivant tout à côté des poches de misère, quelques élus PS, aussitôt taxés de racistes, surenchérissent sur le même thème…

Dans la crise des réfugiés, c’est surtout le ras-le-bol voire la haine qu’on entend dans les rues et les cafés. Les manifestations de solidarité sont l’arbre qui cache la forêt.

On peut être choqué par ce manque d’empathie pour des populations fuyant la guerre, mais il est inutile de se cacher derrière son petit doigt : c’est surtout le ras-le-bol voire la haine qu’on entend dans les rues et les cafés. Les quelques manifestations de solidarité sont l’arbre qui cache la forêt.

Après 10 ans d’interrogation identitaire en Europe, ces pauvres migrants arrivent au plus mauvais moment.

Il est donc indispensable que nos gouvernants prêtent attention à la colère qui gronde et rassurent nos concitoyens par une communication bien pensée et surtout cohérente.

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