Willy Borsus et Charles Michel veulent mettre fin à l'assistanat wallon. © Danny Gys/Reporters

Michel-Borsus, deux tueurs au soleil

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

En six ans, Charles Michel et Willy Borsus, amis à la ville et complices en politique, ont retourné le monde politique francophone. Exit Reynders en interne, puis exit le PS, à deux reprises ! Sous leur allure bonhomme se révèlent deux stratèges. Prêts à tout pour arriver au pouvoir.

Ils sont les nouveaux rois du casino francophone, après une série de casses fracassants. Charles Michel surfe à la tête du pays depuis 2014, quand il est devenu le premier Premier ministre libéral francophone depuis Paul-Emile Janson, en 1938. Trois ans plus tard, il fait plus qu’assumer son alliance inattendue avec la N-VA et vient de montrer qui est le chef en concluant, cet été, un accord budgétaire élargi. Le 26 juillet dernier, son compère Willy Borsus a parachevé le travail en mettant de façon inattendue la main sur la Wallonie, profitant du virage amorcé par le CDH, puis du travail de défrichage effectué par son président de parti, Olivier Chastel. Le Marchois a quitté son ministère fédéral pour devenir le premier ministre-président d’un gouvernement sans le PS, depuis trente ans ! Michel- Borsus : les deux hommes imposent la marque bleue du MR sur presque toute la Belgique francophone. Seule Bruxelles résiste. Pour l’instant.

Cet improbable duo de tueurs d’élite renverse tout sur son passage, jusqu’à ceux qu’on pensait indéboulonnables, et imprime l’histoire politique du pays, l’air de ne pas y toucher sous une allure bonhomme et des sourires cajoleurs.  » Leur principal fait de gloire, si on peut l’appeler comme ça, c’est surtout d’avoir renversé violemment Didier Reynders pour prendre la tête du parti, tempère une source rebelle en interne. Depuis, ils ont profité de leur position et, surtout, ils ont eu une chance de pendu avec les circonstances !  » Encore faut-il savoir en profiter…  » Charles Michel domine le parti d’une main de fer, souligne un autre ténor MR. Pour garder la maîtrise, il ne s’entoure que de personnes dociles, dont il sait qu’elles ne chercheront pas à le renverser, Borsus en tête. Mais il n’y a pas de génie là- dedans.  » Le nouveau ministre-président Willy Borsus, entend-on, est le  » majordome  » du Premier ministre.  » Celui que Charles Michel place pour éviter qu’on ne lui fasse des coups bas. Avec onze ministres MR, il a en outre de quoi nourrir pratiquement tout le monde et apaiser la guerre des clans ! Mais ce ne sera pas éternel… « 

Didier Reynders, qui cumulait les postes de vice-Premier et président de parti, a subi les assauts du duo Michel-Borsus.
Didier Reynders, qui cumulait les postes de vice-Premier et président de parti, a subi les assauts du duo Michel-Borsus.© ERIC LALMAND/belgaimage

Le hurlement de Ducarme père

Charles Michel et Willy Borsus, de près de quinze ans son aîné, sont devenus amis très tôt grâce au père, Louis Michel, qui réunissait souvent ses proches au domicile familial de Saint-Jean-Geest, à Jodoigne. Aussi, lorsque l’actuel Premier ministre décide de partir à la conquête du MR contre le président de l’époque, Didier Reynders, après le résultat mi-figue mi-raisin des régionales de 2009 et des fédérales de 2010, il s’appuie naturellement sur Willy Borsus, alors chef de groupe au parlement wallon. Une grande confiance les unit, jusque dans le complot. Charles Michel agissant en coulisse, c’est son compère qui hausse le ton.  » Borsus a l’air d’être un tendre au grand coeur, mais il peut être très dur quand il vous dit les choses en face « , témoigne un membre du parti.

Durant de longs mois, les coups échangés entre les clans Michel et Reynders sont violents. Très violents. Olivier Maingain, président de DéFI, qui s’appelait encore FDF et faisait corps avec le MR, en cartel, raconte cette scène devenue culte de la fronde menée par le groupe Renaissance contre le cumul exercé alors par Didier Reynders entre les fonctions de vice-Premier fédéral et président du parti.  » Je me souviens d’une réunion au sommet, un soir au siège du MR dans l’après-élections 2010. Willy Borsus, l’homme qui était incontestablement chargé de sonner la charge, tente de faire croire que ce n’était inspiré que de bons sentiments et d’une volonté de rassemblement. Il commence, dans un style mielleux, obséquieux, faux-cul à mort : « Avec toute la considération que j’ai pour mes amis en politique… » C’était révoltant après tous les coups qui ont été échangés. Daniel Ducarme (NDLR : père de Denis et ancien président du MR), qui assistait à une de ses dernières réunions parce qu’il était gravement malade, a explosé instantanément : « Willy, ton estime, ta considération, je les crache par la fenêtre. »  »

Le 28 janvier 2011, la fronde paie, pourtant : Charles Michel devient président du MR, élu face au candidat de Reynders, Daniel Bacquelaine. Il prend immédiatement ses responsabilités, implique son parti dans la conclusion de la sixième réforme de l’Etat et précipite la fin du cartel entre le MR et le FDF – de là datent les grosses inimitiés entre le clan Michel et Olivier Maingain.  » La victoire du groupe Renaissance est en réalité le seul fait d’armes majeur de Willy Borsus, estime une voix agacée par son aura auprès de Charles Michel. Pour le reste, c’est surtout un homme d’un opportunisme confondant. Tout le monde oublie qu’avant cela, il avait été désigné chef de groupe wallon par Reynders…  » L’arrivée de Michel fils à la tête du parti est le début d’une nouvelle ère pour le Mouvement réformateur, admettent tous nos interlocuteurs. La sixième réforme de l’Etat signée, le MR participe au pouvoir fédéral, au sein de la tripartite dirigée par le PS Elio Di Rupo. Puis, vient la suédoise actuelle…

« Le vrai vice-Premier, c’était lui ! »

Au moment de convoler en justes noces avec la N-VA, à l’automne 2014, Charles Michel consulte ses proches. Dont Willy Borsus, qui est prudent, inquiet de l’impact qu’une telle alliance aura dans cette Wallonie qui lui est chère. Mais au moment de former le gouvernement, l’ami ne se défile pas, rassuré par l’abandon des revendications communautaires de la N-VA. Le néo-Marchois décroche un portefeuille crucial pour le parti : Classes moyennes, PME, Indépendants, Agriculture – soit le core business électoral du parti – sans oublier l’intégration sociale pour démontrer que le libéralisme social de Louis Michel n’est pas mort. Les ténors du parti mettent systématiquement en avant les réalisations de Willy Borsus lorsqu’il s’agit de démontrer combien la suédoise est bénéfique pour le MR.

Mieux : l’homme reste le parfait complément de Charles Michel.  » Le vrai vice-Premier ministre, c’est Willy Borsus « , lâche un jour un sage du MR. Didier Reynders, meurtri d’avoir perdu la présidence, puis d’avoir tour à tour échoué à devenir Premier ministre et commissaire européen, combat son amertume en prenant du plaisir aux Affaires étrangères. Il reste vice-Premier en raison de son poids politique et afin de respecter les équilibres internes ; mais réparer les bévues de Jacqueline Galant, Hervé Jamar ou Marie-Christine Marghem, des  » micheliens pur jus « , très peu pour lui. Lors de ses nombreux déplacements à l’étranger, c’est Willy Borsus qui le remplace au  » kern « , l’endroit stratégique où se prennent toutes les décisions. Jamais il ne critique une décision du Premier ministre, mais souvent il lui donne son avis en privé. La loyauté incarnée. Lorsqu’on lui dit qu’il est le  » vrai vice-Premier « , Willy Borsus dément, rend hommage aux grandes qualités  » Didier « . Mais au fond de lui, il rosit de plaisir…

La décision inopinée du CDH de débrancher la prise des majorités avec le PS, le 19 juin dernier, lui offre la possibilité de réaliser son rêve : devenir ministre- président wallon.  » Charles Michel n’était pas forcément chaud à l’idée de le voir partir du fédéral, relève un proche. Mais avec lui, il a un relais naturel et fidèle à la tête de l’exécutif wallon. Comme toujours, il est en contrôle…  »

Charles Michel a été adoubé par le patronat flamand pour devenir Premier ministre d'une coalition avec la N-VA.
Charles Michel a été adoubé par le patronat flamand pour devenir Premier ministre d’une coalition avec la N-VA.© DIRK WAEM/belgaimage

Wallonie : équilibre et vieille image

La conclusion simultanée de l’accord de majorité wallon MR-CDH et du budget fédéral, le 25 juillet dernier, consacre le triomphe du duo Michel-Borsus.  » Il ne faut pas oublier le rôle de notre président, Olivier Chastel, plaide un député. C’est lui l’exécutant. Willy n’est là que pour veiller au respect de ce qui a été conclu.  » Avec onze ministres, la mainmise sur deux exécutifs en attendant mieux, Charles Michel parachève l’oeuvre à laquelle il s’était engagé en devenant président du parti, il y a six ans. La reconquête du pouvoir régional était sa priorité, pour venger l’affront fait à son père en 2004, quand Elio Di Rupo avait renié un accord signé devant notaire pour se marier avec le CDH de Joëlle Milquet.

Jackpot absolu ? Des critiques s’expriment tout de même sur la façon dont le retour au pouvoir en Wallonie a été géré.  » Michel n’avait pas besoin d’exfiltrer Borsus du fédéral, Pierre-Yves Jeholet aurait fait un ministre-président parfait « , assure l’un. Le néo-Marchois ne serait là que pour contrôler un exécutif parfaitement divisé entre  » micheliens  » – Borsus et la ministre des Pouvoirs locaux, Valérie De Bue – et  » reyndersiens  » – Jeholet, ministre de l’Economie, de l’Emploi et de la Formation, et Jean-Luc Crucke, ministre du Budget – afin que ces derniers ne profitent trop de la situation. C’est là la grande force du Premier ministre, affirment ses partisans : il sait placer ses pions, saisir l’occasion, prendre le temps de peser le pour et le contre de chaque situation pour trancher en parfaite connaissance de cause.  » Charles est un vrai stratège, le seul du parti !  »

D’autres voient plutôt dans sa mainmise une rente de situation familiale, qui ne tolère pas le moindre écart et empêche une nouvelle génération d’émerger.  » Vous avez vu l’image que cet exécutif wallon renvoie à l’opinion ?, interroge un autre. Ce ne sont que des quinquagénaires obtenant enfin un poste, après tant d’années d’opposition. Willy Borsus a des qualités, c’est indéniable, mais il n’a pas le charisme susceptible de symboliser le changement. C’est un homme d’appareil, l’incarnation de l’ancien monde. Ce gouvernement est un mauvais signal pour l’avenir : aucun jeune et aucun libéral issu d’une grande ville, là où se gagnent les élections…  »

Charles Michel, grand triomphateur de cet été 2017, reproduirait, en somme, l’erreur d’un PS qui n’a pas su se renouveler à temps. Et qui, obnubilé par l’exercice du pouvoir, n’a pas vu le vent tourner.

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