Olivier Mouton

Marghem, impuissant pompier de l’urgence énergétique

Olivier Mouton Journaliste

Marie-Christine Marghem n’aurait pas dû être ministre de l’Energie. A la naissance de la Suédoise, elle était annoncée à la Justice en tant que spécialiste de ces matières. Si elle a été choisie pour ce poste, c’est en raison des subtils dosages internes à la coalition (avec le CD&V Koen Geens à la Justice), sans oublier les équilibres géographiques et de genre.

Mais il est une autre raison pour laquelle Mme Marghem a été désignée : avocate, elle maîtrise les arcanes des cours et tribunaux et il était évident, dès l’entame de la législature, que les bras de fer juridiques seraient fréquents, notamment dans la perspective du prolongement des centrales nucléaires voulu par le nouveau gouvernement.

Un cadeau empoisonné ? C’est peu de le dire. Certains libéraux francophones ont parlé d’emblée d’un « casting de merde ». En 2014, Marie-Christine Marghem est devenue, de fait, le pompier d’une urgence énergétique avec, déjà, un risque de pénurie cet hiver-là. Quatre ans plus tard, rien n’a changé – ou presque. On parle à nouveau d’un risque de pénurie à gérer d’urgence, tandis que la mise en oeuvre du futur mix énergétique belge reste laborieuse. Si l’on peut pointer du doigt la responsabilité de la ministre, comme le fait l’opposition – en raison de son inconstance, de son tempérament de feu et de sa capacité à masquer la vérité -, on ne peut omettre d’évoquer trois maux propres à la Belgique. Qui plongeraient n’importe quel ministre dans des abîmes de perplexité.

Le premier mal est conjoncturel. Au sein même de la majorité, les tensions sont récurrentes sur le sujet. Lors de la rédaction de la déclaration gouvernementale, déjà, la N-VA et certains libéraux plaidaient pour la construction de centrales nucléaires de la nouvelle génération, faute de pouvoir réussir la transition énergétique dans les temps sur la seule base des énergies renouvelables. Ces jours-ci encore, la N-VA annonce d’ailleurs qu’elle remettra le sujet sur la table de la formation du prochain gouvernement. En mettant la pression sur Marghem : c’est un prêté pour un rendu pour un rendu après les critiques du MR à l’égard de la politique d’asile de Theo Francken.

En matière d’énergie, comme en mobilité ou en environnement, il faut nettoyer les écuries, retrouver les expertises nécessaires et réfléchir à long terme.

Le second mal est institutionnel. En matière d’énergie, comme d’environnement ou de mobilité d’ailleurs, il est pratiquement impossible de bâtir une politique cohérente. Bart Eeckhout, dans son éditorial de mercredi, dénonçait à juste titre le manque de vision inhérent à notre pays, depuis de trop longues années. Mais comment y arriver quand une compétence est gérée par quatre ministres différents, avec des intérêts différents et, certainement jusqu’au changement de majorité en Wallonie, avec des agendas politiques antagonistes. C’est une mission quasiment impossible.

Mais le troisième mal est le plus profond, lié à la dynamique du secteur et de l’économie belge en général. Comment est-il possible que l’on ait vendu les manettes d’un secteur aussi stratégique que l’énergie à l’étranger ? Comment est-il possible, aussi, qu’un acteur privé dominant dicte sa loi au politique ? Engie Electrabel fait la pluie et le beau temps en Belgique, noyaute tout le secteur jusqu’au dernier cabinet compétent et oeuvre, faut-il le préciser, avant tout en faveur des intérêts français. Résultat : impuissante, la ministre belge compétente doit quémander en pleurant de l’énergie à trois pays voisins (Allemagne, France et Pays-Bas) pour éviter un black-out cet hiver. En dénonçant vertement l’imprévoyance d’Electrabel. Le dindon de la farce n’est autre que le citoyen, dont le prix de la facture va, une nouvelle fois, s’envoler.

Au fil des années, la politique a perdu la main sur la gestion d’un secteur vital pour l’avenir. Conscients des sommes astronomiques en présence, des acteurs publics et privés l’ont transformé en un système complexe et verrouillé, que l’on pourrait qualifier de mafieux. Oui, il est toujours possible de réclamer la démission d’une ministre contrainte de « se battre comme une lionne » pour de trouver des Megawatt. Ce faisant, on ne résoudra rien. En matière d’énergie, comme en mobilité ou en environnement, il faut nettoyer les écuries, retrouver les expertises nécessaires et réfléchir à long terme. Autant le dire : il est urgent que le politique reprenne la main.

Cette opinion a été publiée ce jeudi 27 septembre dans les colonnes du Morgen.

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