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Mamadou Bah, réfugié en Belgique pour échapper aux néonazis grecs

Mamadou Bah est un homme attachant dont les yeux sombres attirent immédiatement le regard. Du moins, ce serait le cas si on ne voyait pas d’abord la tache sombre sur son front. La trace d’une tentative de meurtre des membres d’Aube Dorée, le parti nazi grec plébiscité suite à la crise économique.

Bruxelles est la troisième escale du réfugié politique guinéen Mamadou Bah. En 2006, il a fui sa patrie par crainte d’un meurtre d’honneur. Son père, un imam influent, ne supportait pas que son fils aîné ne suive pas ses traces. En Turquie, il a pris un petit bateau pour la Grèce où on lui a accordé l’asile politique. « La crise n’éclaterait que deux ans après, les Grecs étaient encore accueillants » raconte Mamadou dans un café bruyant de Saint-Gilles.

Les dix premiers jours de son séjour en Grèce, Mamadou a vécu dans un parc, alors qu’il gelait à pierre fendre. Il a été sauvé par un compatriote, qui l’a logé gratuitement pendant un mois avant qu’il ne trouve du travail comme plongeur dans un grand restaurant. Sa carte rose – qui permet aux réfugiés politiques de travailler légalement et de voyager en Grèce – ne lui a pas procuré de salaire honnête. Il travaillait 12 heures par jour pour 25 euros. « Dix-neuf personnes travaillaient là : 18 blancs et moi. Cela ressemble à une plaisanterie, mais seul le black était payé en noir ». Après un an et demi de travail dur et sous-payé, on a fait comprendre à Mamadou qu’il ne serait jamais inscrit légalement : « Mon patron m’a dit qu’il ne paierait jamais d’impôts pour un Africain. » Pourtant, Mamadou a continué à travailler parce qu’il avait besoin d’argent.

La coupe africaine de Grèce

Il s’est rapidement engagé pour aider les autres réfugiés et utilisait le peu d’argent qu’il gagnait pour les aider. « Lorsque quelqu’un avait besoin de 100 euros pour payer un avocat, je payais sans hésiter. Je n’ai été sauvé que grâce à la solidarité d’un autre ». Dennis Desbonnet, l’homme grâce à qui Mamadou Bah a pu se rendre en Belgique, intervient : « Mamadou a fourni un travail incroyable en Grèce. Pas seulement pour les réfugiés africains, il était également le premier à manifester pour les droits des femmes et des homosexuels ».

L’activisme de Mamadou a porté ses fruits. Il a même réussi à faire passer une loi qui donne des droits de base aux enfants de réfugiés nés en Grèce. Le Pasok a adopté la loi en 2010, mais le parti Nea Dimokratia du premier ministre Antonis Samaris l’a annulée quand il est revenu au pouvoir. « Nous avons également organisé trois fois la Coupe africaine de Grèce pour dénoncer la situation des réfugiés africains ». Ses yeux brillent un instant. Son sourire disparaît quand il ajoute qu’ils n’ont pu organiser leur tournoi de football que trois fois. « Après 2010, la situation était devenue trop dangereuse pour nous. La police ne voulait pas assurer notre sécurité ».

« Il perdra tout son sang »

Mamadou ne s’est pas rendu compte tout de suite des changements très rapides opérés en Grèce. L’été 2013, il a douloureusement réalisé les effets de la crise en Grèce. « J’attendais le bus après le travail quand j’ai vu apparaître les phares de quatre motos. Ils roulaient lentement le long du trottoir, ils étaient huit. J’ai reconnu leurs uniformes noirs et j’ai su immédiatement qu’il s’agissait d’une patrouille d’Aube Dorée, à la recherche d’un Africain ». Une des motos lui a coupé l’accès. « Je savais que j’étais grillé et je me suis mis à courir trop tard. Le passager m’a frappé la tête avec une barre en fer ».

Il se rappelle avoir crié. Le sol se dérobait sous ses pieds, il est tombé de tout son long. « Je me suis levé quatre fois avant de fuir dans la circulation. Ils ont voulu me poursuivre, mais mon attaquant a crié que de toute façon je n’y survivrais pas : « Je l’ai bien touché, il perdra tout son sang ».

Mamadou a fui vers son appartement, où le président de son organisation de réfugiés l’a soigné. Il a porté plainte auprès du service de réclamations d’attaques racistes, mais pas à la police. « La police avait déjà précédé l’Aube Dorée. Lors d’un contrôle, ils ont volé 40 euros que j’avais en poche : le salaire de presque deux jours. Lorsque j’ai fait remarquer qu’apparemment il est illégal pour un étranger en Grèce d’avoir de l’argent, j’ai reçu des coups ».

Les choses n’en sont pas restées là. Mamadou raconte que lors de contrôles arbitraires dans les transports en commun, il arrive à la police de faire descendre tous les étrangers du bus. « En 2013, j’étais déjà connu à cause de mon travail avec les réfugiés. ‘Aaaah, c’est toi Mamadou Bah!?’ Ils m’ont emmené dans un bureau de police, où j’ai dû me déshabiller. Ils voulaient même que j’enlève mon slip ! Je n’étais pas sûr d’avoir bien entendu. Un agent s’est mis à tirer à mon slip, parce que je refusais. Je suis resté assis nu par terre pendant des heures, juste pour leur plaisir pendant que les policiers filmaient et buvaient leur café.

Desbonnet intervient à nouveau: « L’histoire de Mamadou montre qu’en Grèce un étranger s’expose au double danger d’Aube Dorée et de la police. On sait que la police est infiltrée par Aube Dorée ». Mamadou acquiesce : « Aube Dorée patrouille toujours entre 22 heures et 5 heures, en groupes de huit à vingt personnes. Ils sont munis de machettes, de matraques et de couteaux. La police le sait et ne fait rien. Au contraire : quand ils croisent une patrouille d’Aube Dorée, ils agitent la main. Cela signifie qu’en Grèce les étrangers ne sont jamais en sécurité. Ils vont même travailler la peur au ventre ». Il est encore plus inquiétant que dans les quartiers dominés par Aube Dorée, la police met les gens en contact avec le parti nazi ».

Mamadou Bah: « Si Bruxelles ne peut pas me protéger, qui le pourra? »

Mamadou garde une cicatrice très visible sur son front. Et quand il est stressé, il souffre de la tête, comme les semaines après son agression » Au lieu de me taire, comme la police l’avait exigé, j’ai témoigné dans les médias ». Aube Dorée s’est mise à le pourchasser. De victime, il est devenu une cible. Sa photo à la main, Aube Dorée a parcouru son quartier . Finalement ils ont trouvé son logement et son lieu de travail. Mamadou a échappé de peu à une seconde attaque. « Une fois qu’ils savaient où j’habitais, j’ai dû me cacher. Quand je sortais, j’étais accompagné de cinq amis. J’ai perdu seize kilos. J’étais dévoré par l’angoisse ».

Une situation intenable, estime Desbonnet. « La fuite de Mamadou était vraiment une question de vie ou mort. La Grèce était devenue plus dangereuse que la Guinée alors que la Grèce, qui est très sévère, lui avait accordé l’asile politique parce qu’il était en danger de mort en Guinée ». L’organisation CADT (Comité pour L’Annulation de la Dette Tiers-Monde) est entrée en contact avec Desbonnet. C’est le CADT qui a fait embarquer Mamadou pour Bruxelles : « La capitale de l’Europe, le centre des droits de l’homme. Si Bruxelles ne peut pas me protéger, qui le pourra ? ».

Mamadou Bah: « Ceux qui sont racistes aujourd’hui, seront peut-être fascistes demain »

Aujourd’hui, Mamadou vit dans un centre de Fedasil à Charleroi et on lui a accordé le statut de demandeur d’asile. Son avocat, Olivier Stein de Progressive Lawyers Network, espère que Mamadou sera reconnu comme réfugié politique. « La Belgique devient de plus en plus sévère, mais la Grèce ne reconnaît que rarement des gens comme réfugiés politiques, ce qui en dit long sur la situation en Guinée. En outre, il y a suffisamment de témoignages convaincants du travail de Mamadou et de la situation en Grèce, par exemple de la Ligue grecque des Droits de l’homme ». La demande de Mamadou Bah est à présent traitée par le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides. Stein et Mamadou attendent leur convocation pour raconter l’histoire de Mamadou.

« Il ne s’agit pas seulement de moi. Un ami burkinabé a été menacé par sa propriétaire parce qu’il ne savait pas payer son loyer. Elle allait appeler Aube Dorée « pour le faire massacrer sur place ». Dès qu’il a pu, ce garçon a fui en Italie. C’est une lutte qu’on doit continuer à mener, où que ce soit. « Car ceux qui sont racistes aujourd’hui, seront peut-être fascistes demain » conclut Mamadou.

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