En 2010, le Parti socialiste de l'encore jeune Paul Magnette était sorti vainqueur d'élections législatives anticipées qui avaient surpris tout le monde. © SIERAKOWSKI/ISOPIX

Malgré la mission, les partis préparent les élections anticipées

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Aucun ne dit en vouloir, peu y croient vraiment, mais tous s’y préparent : face au blocage politique fédéral, le scénario d’élections anticipées est dans toutes les têtes.

Le scrutin anticipé, c’est comme saint Nicolas : en Belgique, personne n’y croit vraiment, mais tout le monde prépare sa visite quand même. Certains le préfèrent tout en rouge, d’autres le veulent avec une grosse croix, et il y en a d’autres qui ne veulent pas laisser entrer son copain noir, mais s’il existe et qu’il passe, on préfère en recevoir des jouets qu’un martinet. Personne, à la tête des partis, ne croit vraiment à la convocation d’élections anticipées. On pense d’autant plus que personne n’osera les convoquer qu’on n’osera jamais les convoquer soi-même. Même quand Paul Magnette dit qu’il ne faut pas avoir peur de l’électeur quand on fait de la politique, il bluffe. Pour garder son parti dans le jeu fédéral. Même quand Bart De Wever dit qu’il faudra se poser sérieusement la question si, en mai, aucune piste ne se dégage, il bluffe. Pour délégitimer ceux qui resteraient dans le jeu fédéral. Toutes les formations francophones, que Le Vif/L’Express a contactées, donnent encore peu de crédibilité au scénario d’un scrutin anticipé, à l’exception du PTB, où, depuis la fin de la mission de Koen Geens, on  » privilégie cette hypothèse de travail « . Mais même s’ils font mine d’y croire, même s’ils bluffent, même s’ils n’osent pas y croire, et même si c’est désormais leur hypothèse de travail privilégiée, ils s’y préparent. Tous, et chacun à sa manière, parce qu’il vaut toujours mieux être prêt à recevoir un invité dont on n’est pas sûr qu’il passera.

Magnette tient la ligne de celui qui tient sa ligne : il avait juré de ne pas gouverner avec la N-VA, il refuse toujours.

Les déclarations fixent déjà les positions des uns et des autres, campagne électorale ou pas. Magnette tient la ligne de celui qui tient sa ligne : il avait juré de ne pas gouverner avec la N-VA, il refuse toujours. Ligne tenue. Bart De Wever tend la main de celui qui a tendu la main. Il avait juré de ne pas gouverner avec le PS, il s’y est montré ouvert. Main tendue. Et Georges-Louis Bouchez mène la campagne de celui qui ne veut pas mener de campagne. Le Montois a lancé déjà, sur les réseaux sociaux dont il est très friand, le hashtag #noelections, somme toute un slogan de précampagne. Les libéraux, francophones et flamands, sont au centre du jeu politique et constitutionnel. Ils s’installent déjà comme ceux qui, les derniers, auront lutté contre l’instabilité électorale, dût-elle survenir. Le PTB, lui, est au centre du jeu social et militant. Il s’installe déjà comme celui qui, le premier, aura lutté contre la paralysie politique, dût-elle persister. Il travaille depuis des mois à rassembler à Bruxelles, le 1er mars, des manifestants censé venir exprimer leur  » grande colère « ,  » contre les politiciens qui sont plus préoccupés par eux-mêmes que par les besoins sociaux « .

Le temps jouera une oeuvre prenante. La campagne, s’il y en a une, sera brève, nécessairement limitée à quarante jours, et sans doute brutale. Cela réjouit un membre du G9 du PS, qui se rappelle le victorieux souvenir des élections anticipées de 2010 :  » De toute façon, on n’est jamais meilleurs que quand on n’a rien préparé.  » Il sait que la bataille est déjà perdue, et depuis longtemps, sur un terrain spécifique : le virtuel.  » Sur les réseaux sociaux, c’est déjà mort pour tout le monde, sauf pour le PTB et le Belang. Avec le retard qu’on a sur eux, ça ne servirait à rien de bombarder du jour au lendemain. En particulier nous, qui venons d’encore plus loin que les autres « , confie une tête pensante d’un CDH en pleine rénovation. L’extrême droite flamande et la gauche radicale étaient déjà les plus dépensiers en publicités sponsorisées sur les réseaux avant le précédent scrutin, et la tendance s’est encore accrue. Les partis traditionnels, décidés depuis peu à suivre le mouvement, sont à peine en train de s’y mettre : ainsi, le PS se cherche-t-il encore un responsable des réseaux sociaux et un responsable de la communication audiovisuelle.

Ecolo, qui a déjà prévu un budget de campagne, compte présenter un projet institutionnel avec Groen ! (ici, sa présidente Meyrem Almaci).
Ecolo, qui a déjà prévu un budget de campagne, compte présenter un projet institutionnel avec Groen ! (ici, sa présidente Meyrem Almaci).© LAURIE DIEFFEMBACQ/BELGAIMAGE

L’argent et les gens comptent autant que le temps.  » A cause de la défaite, on a perdu plus d’un million d’euros de financement public. Franchement, ça joue « , dit-on au PS. Les étages du boulevard de l’Empereur se sont vidés avec le départ d’Elio Di Rupo, et il faut trouver à les remplir.  » Paul Magnette est arrivé avec quelques-uns des siens mais pour l’instant, son équipe est très limitée, y compris à la com, dont l’ancien responsable, Maxime Hardy, est devenu député wallon « , explique encore ce membre du G9.

Au MR, où on se réjouit d’avoir pu garder des finances saines, on recrute également beaucoup pour le moment, changement de présidence oblige.  » On a les moyens de financer une campagne « , précise un baron libéral.  » Mais les profils que Georges-Louis recrute, à commencer par Axel Miller, ne sont pas très expérimentés : c’est un signe qu’on ne compte pas aller à la guerre si vite « , ajoute-t-il, comme au PTB, où l’on a recruté beaucoup dès après les élections,  » et plutôt dans l’optique de former des cadres pour le moyen terme que des profils directement utilisables dans un contexte électoral « . Ecolo et DéFI, eux, mettent depuis l’automne déjà un peu d’argent de côté chaque mois.  » On a fait un budget 2020 comme s’il y allait avoir une campagne fédérale, et si elle a lieu en septembre, on ne devra pas emprunter d’argent pour la boucler « , pose un écologiste qui fait partie  » de l’équipe qui doit se tenir prête à être mobilisée directement si le processus se déclenche « .

Les listes sont déjà à peu près composées. On misera sur l’ancrage local là où on en a : DéFI pourra compter sur ses Maingain, ses Clerfayt et autres Gosuin à Bruxelles (et ailleurs), le PS sur ses gros bras à Liège (Daerden, Demeyer et compagnie), à Bruxelles (Laaouej, Close, Vervoort, etc.) et dans le Hainaut (Magnette, Di Rupo, Demotte, Furlan, Devin et les autres). Ou le CDH dans ses bastions luxembourgeois et namurois.  » On n’a même pas besoin d’en parler. On a gardé des places fortes, et nos bourgmestres font remonter le message qu’ils sont disponibles pour se jeter dans la bagarre. Vraiment, on n’aura pas de problème à ce niveau « , rassure un CDH. Il faudra aussi mettre les sortants du parlement qui se dissout à des places éligibles, ne fût-ce que pour les convaincre de voter leur propre dissolution. Et, en outre, s’assurer que ceux qui n’avaient pas été élus le 26 mai 2019 le soient : Georges-Louis Bouchez, quatrième sur une liste MR du Hainaut menée par Denis Ducarme, avait raté son siège de peu. Il ne s’agirait pas que cela se reproduise.

Les programmes sont déjà presque bouclés. Ceux du 26 mai 2019 resserviront. Ils seront, bien sûr, allégés des dispositions régionales et européennes qu’ils contenaient. Mais ils seront, surtout, renforcés dans leur volet institutionnel. Sauf chez DéFI, dont le président, François De Smet, avait dès avant les précédentes élections réclamé l’installation d’une commission d’experts et de citoyens chargés de repenser toute la Constitution. Le PTB rappelle de plus en plus fort qu’il est le dernier parti unitaire du pays.  » Il va falloir mettre ces sujets en avant, et on travaille déjà à un projet commun avec Groen « , signale-t-on chez les verts. Et certains bleus francophones songent à en faire autant, après les élections présidentielles au VLD. Un socialiste des étages d’en haut se souvient :  » Il y a deux mois déjà, on avait réfléchi à des slogans et des visuels pour une campagne contre le nationalisme flamand, au cas où.  » Ça peut toujours servir. Comme une lettre qu’on enverrait à saint Nicolas, au fond.

Le CD&V, le MR et l’Open VLD décideront

Les partis du gouvernement fédéral (dont le CD&V et le MR) décideront ou pas de la dissolution.
Les partis du gouvernement fédéral (dont le CD&V et le MR) décideront ou pas de la dissolution.© BENOIT DOPPAGNE/BELGAIMAGE

La convocation d’élections anticipées est réglée par la Constitution.

CD&V et libéraux francophones et flamands sont parmi les plus explicitement réticents à considérer l’éventualité de convoquer anticipativement les électeurs. Ils ont leurs raisons et leurs intérêts : les trois font partie des battus du scrutin du 26 mai 2019. Mais ils en ont aussi, en dernier ressort, le pouvoir. Selon la Constitution, en effet, quel que soit le chemin emprunté pour dissoudre la Chambre, il faudra passer par un accord du gouvernement fédéral. Et comme le gouvernement fédéral, même en affaires courantes, statue par voie de consensus, chacun de ses trois partis dispose d’un droit de veto. Deux articles de la Constitution prévoient le cas de figure :

Son article 46 attribue au Roi (donc, au gouvernement) le droit (donc pas l’obligation) de dissoudre la Chambre si celle-ci refuse au gouvernement sa confiance (ou lui déclare sa méfiance) sans lui présenter un successeur. Selon le même article, le Roi (donc le gouvernement) peut (donc ne le doit pas nécessairement) également la dissoudre si l’exécutif démissionne, et que la Chambre y consent. Il s’agit à chaque fois d’une majorité absolue des députés, donc d’au moins 76 d’entre eux. Le scrutin doit alors se tenir dans les quarante jours.

Son article 195 impose au Roi (donc au gouvernement), à la Chambre et au Sénat de s’accorder sur une déclaration de révision de la Constitution pour pouvoir dissoudre le Parlement fédéral. Cette déclaration doit s’appuyer sur une majorité simple (donc plus de la moitié des votants : à la Chambre, un pour et 149 abstentions suffiraient) des parlementaires. Elle permet de convoquer de nouvelles élections, dans les quarante jours, et d’habiliter les nouvelles chambres fédérales à réviser les articles contenus dans la déclaration.

Dans les deux cas, les partis qui composent le gouvernement fédéral, CD&V, MR et Open VLD, ont le doigt à la fois sur le verrou et sur la détente. Ils peuvent décider de refuser ou de lancer la procédure. Bien sûr, si la situation s’envenime davantage et que le blocage persiste, si tous les partis de l’actuelle opposition réclament des élections, que la population manifeste, que la presse s’énerve et que le roi Philippe le conseille, ils pourraient s’y voir contraints. Mais ils n’en ont pour l’instant ni l’intérêt, ni le devoir. Ni moral, ni politique, ni juridique.

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