En mai 1936, avec 21 députés et 8 sénateurs élus, Rex, avec à sa tête Léon Degrelle, chamboule le paysage politique belge. © Collection Cegesoma - Bruxelles - 40549

Mai 1936, la tornade Degrelle

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Avant le facho collabo, il y a eu le zigoto démago. Le Degrelle qui a charmé, amusé, fait rêver des dizaines de milliers d’électeurs belges le 24 mai 1936. Quatre-vingts ans plus tard, retour sur un dimanche noir et le triomphe d’un imposteur.

« Suffisant mais insuffisant. » Ce jour-là, le flair de Léopold III ne le trompe pas. Cinquante minutes de colloque singulier lui ont suffi pour jauger le personnage. Le roi, relate l’historien et spécialiste de l’entre-deux-guerres Jean Vanwelkenhuyzen, « a droit à un meeting en privé. Un torrent de paroles, une trombe de mots s’abat sur lui. Il découvre un phénomène: un jeune débordant de vitalité et d’allégresse, agitateur, hâbleur, bluffeur. Une tornade inépuisable. Un monument d’assurance. »

Cet homme à la mine conquérante fanfaronne devant le parterre de journalistes qui guettaient sa sortie du Palais. « Nous sommes au centre de la Chambre. Nous sommes le parti du peuple. » Léon Degrelle, 29 ans, a le triomphe immodeste. Pour un peu, il se prendrait pour le roi.

Quatre jours plus tôt, le 24 mai 1936, la Belgique s’est infligé une monumentale claque électorale. L’onde de choc jaillie des urnes est un plébiscite des extrêmes: de la droite nationaliste flamande fascisante à la gauche communiste.

C’est Rex, mouvement parti de quasi rien, qui a mis le feu au scrutin. 271 491 votants, soit 11,49% du corps électoral, ont succombé à son charme et surtout à celui de son leader, Léon Degrelle. Bruxelles lui accorde 18,5% des voix, la Wallonie 15,26% des suffrages avec des poussées spectaculaires dans le Namurois et au Luxembourg. 21 députés et 8 sénateurs rexistes : pour un coup d’essai, c’est un coup de maître.

Trois ans après son triomphe, Degrelle n’est plus qu’un has been marginalisé

L’ampleur de la dérouillée consterne tous les partis traditionnels, catholiques en tête, laminés dans l’aventure. Ils encaissent le vent mauvais qui souffle sur des démocraties occidentales chancelantes en butte à des régimes totalitaires qui bombent le torse. Ils subissent le mécontentement latent engendré par une très mauvaise passe économique. Ils paient au prix fort une cascade de collusions politico-financières qui discréditent les élites politiques.

Degrelle n’a eu qu’à se baisser pour moissonner le parti des râleurs. Sitôt vainqueur, c’est pourtant à sa propre perte qu’il travaille. Impulsif, mégalo, entêté, infantile, « il se rêve en Mussolini », résume Alain Colignon, spécialiste de Léon Degrelle au Centre d’études et de documentation guerre et sociétés contemporaines (Ceges). « Sa marche fébrile vers le pouvoir » vire au chemin de croix. Echec cuisant lors d’une élection partielle à Bruxelles en avril 1937, face au Premier ministre catholique Paul Van Zeeland soutenu par l’union sacrée du prolétariat et des puissances de l’argent; fréquentations douteuses de Rex avec l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie; chute spectaculaire au scrutin législatif de 1939 qui ne laisse que quatre députés rexistes.

Trois ans après son unique triomphe, Degrelle est politiquement liquidé. Il n’est plus qu' »un has been », note Alain Colignon, « de moins en moins fréquentable, marginalisé par ses outrances de langage, ses inconséquences, ses mensonges à répétition. » Mais qui trouvera à rebondir dans une sordide collaboration avec l’occupant allemand. Mai 1936: c’était il y a quatre-vingts ans. Cela pourrait-il se reproduire?

Léon Degrelle, par Alain Colignon, Nouvelle biographie nationale, 2001. 1936, par Jean Vanwelkenhuyzen, éd. Racine, 2004.

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