A la base, nulle rivalité entre Paul Magnette et Elio Di Rupo. Début décembre 2018, ça s'envenime. © NICOLAS MAETERLINCK/belgaimage

Magnette-Di Rupo et Michel-Reynders : double duel, scène finale

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Ce 26 mai, les deux plus grandes rivalités internes à la vie politique francophone ont connu un épisode décisif. Et bientôt un épilogue pour les tumultueux duels livrés par Charles Michel et Didier Reynders au MR, et par Elio Di Rupo et Paul Magnette au PS.

Dimanche 26 mai, 22 h 20. Au siège du MR, Charles Michel prend la parole devant toutes les caméras du pays.  » Le MR est un parti responsable, solide et robuste « , dit-il. A ses côtés, applaudissant timidement, Didier Reynders. Les résultats, pas encore tout à fait connus à cette heure-là, concrétiseront l’échec de l’audacieux pari posé par Charles Michel à l’été 2014 : à la Chambre, où il a tant défendu son gouvernement suédois, son MR passe de 20 à 14 sièges à peine.

Dimanche 26 mai, 22 h 28. Au siège du PS, Elio Di Rupo prend la parole devant toutes les caméras du pays.  » Contrairement aux dernières estimations, les résultats partiels indiquent un succès du PS « , dit-il. A ses côtés, applaudissant timidement, Paul Magnette. Les résultats définitifs conserveront au PS son rang de premier parti en Wallonie et à la Région bruxelloise, et lui promettent l’entrée dans les gouvernements régionaux. L’effondrement tant redouté n’a pas eu lieu.

Entre Charles Michel et son prédécesseur, Elio Di Rupo, entre Elio Di Rupo et son successeur, Charles Michel, les cinq années de législature furent émaillées des incessantes comparaisons avec  » le gouvernement Di Rupo  » de l’un et des sempiternelles invectives au  » gouvernement MR – N-VA  » de l’autre, l’un critiquant le bilan de l’autre, l’autre incendiant les initiatives de l’autre.

Mais ni l’un ni l’autre, au fond, ne se livrèrent un duel. Le duel qu’ils livrèrent, chacun de son côté, se livrait à l’intérieur de leur parti.

Lui, le Montois qui aura tout connu, tout réussi, qui aura battu tous les records de popularité, et qui se voulait l’égal de Vandervelde, se coltine un Carolo, un universitaire à qui tout jusqu’à présent avait réussi. Et lui, le Wavrien si précoce, si pugnace, se farcit un Ucclois de Liège, un revanchard qui en avait déjà après le paternel.

L’un comme l’autre terminent une histoire commune, celle des deux rivalités qui ont animé, ces dix dernières années, la vie politique francophone. Car c’est la longue inimitié entre Charles Michel et Didier Reynders qui se cure, ici, et c’est la plus jeune tension entre Elio Di Rupo et Paul Magnette qui s’expurge, là.

Leur histoire. A la base, pourtant, nulle rivalité entre Elio Di Rupo et Paul Magnette : une cooptation du premier par le second, en 2007. Et une forme de parrainage par Didier Reynders. A l’époque, ce dernier a fait du MR le premier parti wallon. Le PS de Di Rupo se cherche un sauveur à Charleroi, sauveur qu’il déniche à l’Université libre de Bruxelles, et qu’il fait ministre wallon dès l’été 2007. Charles Michel, lui, est presque né pour se confronter à Didier Reynders. Et Elio Di Rupo les y aide. En 2004, lorsque le socialiste choisit le CDH comme partenaire dans les gouvernements régionaux, brisant son accord avec le MR, Louis Michel, dévasté, décide de s’en aller à la Commission européenne. Il quitte la scène belge, mais la succession à la présidence du MR est assurée : elle sera, pense-t-il, pour Charles, ministre wallon sortant. Mais les cadres du parti s’y opposent, et c’est Didier Reynders, héritier de Jean Gol et de son inimitié pour Louis Michel, qui devient à la fois vice-Premier ministre et président du Mouvement réformateur.

Ni Charles Michel, ni Elio Di Rupo, au fond, ne se livrèrent un duel.

Quand, en 2009, Charles Michel avance les pions de son putsch contre Didier Reynders, Paul Magnette engage sa première élection, régionale, sous l’aile protectrice d’Elio Di Rupo. Et c’est alors qu’Elio Di Rupo négocie sa sixième réforme de l’Etat que le putsch de Charles Michel aboutit, au creux de l’hiver 2010-2011. Quand Elio Di Rupo devient Premier ministre, aidé en cela par Charles Michel, qui sacrifie sa fédération avec le FDF pour voter la sixième réforme de l’Etat, c’est à Paul Magnette qu’il pense pour faire fonction de président, après l’intérim de Thierry Giet. Quand Charles Michel devient Premier ministre, c’est aux dépens d’Elio Di Rupo, bien sûr, mais surtout de Didier Reynders, censé partir à la Commission européenne. Et Elio Di Rupo redevient président de parti aux dépens de Paul Magnette qui, propulsé à la ministre-présidence wallonne, se plaint. Passer de Premier ministre à président du principal parti d’opposition est une mauvaise idée, pense-t-il. De là date la rupture de la créature et de son créateur.

La campagne 2019. Début décembre 2018, Elio Di Rupo s’invite à la RTBF. Il annonce qu’il sera tête de liste aux législatives dans le Hainaut. Paul Magnette est en rage. Presque tout le parti aussi. En mars, Elio Di Rupo, qui avait organisé un congrès européen à cette fin, avait expliqué en interne vouloir tirer la liste européenne. Il a changé d’avis, croyant voir pour le PS s’ouvrir la porte d’un retour au gouvernement fédéral. Paul Magnette, censé tirer la liste législative dans le Hainaut, serait alors relégué au bas de la liste, ou à la Région. Il ne l’accepte pas. Et, soutenu par une fédération de Liège qui bouge enfin, il exige trois choses, qu’il obtient : la tête de liste européenne, pour pouvoir faire campagne sur toute la Wallonie et à Bruxelles, un statut de porte-parole du parti qui lui donnera un vaste accès aux médias, et un calendrier pour la succession après l’été 2019, calendrier dont on ne sait toujours rien. Chacun battra alors sa propre campagne, de son côté. Avec quelques contacts qui vireront au court-circuit discret : il a fallu, dit-on dans l’entourage de Paul Magnette, forcer Elio Di Rupo, qui était plus hésitant, à lancer son exclusive contre la N-VA.

Au Mouvement réformateur, cinq années durant, Didier Reynders aura été un vice-Premier discret et un ministre des Affaires étrangères fort lointain de Charles Michel. Guignant un poste à l’international, il explique l’avoir trouvé à la fin de l’automne 2018 : ce sera le secrétariat général du Conseil de l’Europe. Il est très bien placé pour l’obtenir. Mais la décision ne tombera qu’en juin. Soucieux, comme toujours, d’assurer ses arrières – et de rester, au minimum, vice-Premier -, il s’accroche à la première place sur la liste fédérale à Bruxelles. Mais Charles Michel, qui sait combien son parti est affaibli à Bruxelles, se verrait bien y déménager le temps, au moins, d’une élection. Jamais Didier Reynders ne cédera, pas même contre la promesse de la tête de liste européenne. Jamais, jamais, jamais. Il résiste tant qu’il annule même un voyage officiel. Alors, puisque l’un tient, l’autre cède. La campagne de l’un sera discrète. Celle de l’autre, président de parti et Premier ministre en affaires courantes, sera violente à l’endroit d’écologistes qu’il cible et fait cibler tout en se déclarant au-dessus de la mêlée. De l’autre côté, le ministre wallon Jean-Luc Crucke, éternel ami de Didier Reynders, prône un message moins excluant. On le laissera tendre la main. Sans l’approuver. Son pote Didier Reynders, lui, estime publiquement la vidéo sur la taxe sur la viande que préparerait Ecolo  » probablement un peu excessive « . Les micheliens enragent. Une autre vidéo où il se déclare favorable à l’abattage rituel est diffusée. Les micheliens s’étranglent. Didier Reynders entretient des contacts avec Laurette Onkelinx, son homologue présidente de la fédération bruxelloise du PS, et Rudi Vervoort. Charles Michel pas. Lui a repris langue avec Olivier Maingain. Il parle à Maxime Prévot. Et Elio Di Rupo parle à tous les deux. Chacun dans leur coin.

Charles Michel se voyait déménager à Bruxelles, le temps d'une élection. Jamais Didier Reynders ne cèdera.
Charles Michel se voyait déménager à Bruxelles, le temps d’une élection. Jamais Didier Reynders ne cèdera.© Didier Lebrun/photo news

Eux maintenant Le résultat du PS permet aux socialistes d’espérer une transition en douceur. Paul Magnette a fait honneur à son statut sondagier d’homme le plus populaire de Wallonie et a récolté assez de voix de préférence pour s’affirmer comme l’incontournable successeur à la présidence d’Elio Di Rupo. A l’été 2017, alors que celui-ci avait, contre celui-là, pactisé avec les cadres intermédiaires du parti sur le décumul, ce n’était pas gagné. Elio Di Rupo, lui, sauve l’honneur, même s’il perd 55 000 voix de préférence par rapport à 2014. Il va, dit-il, mener les négociations régionales et fédérale. Avec quelle liberté ? Il sera surveillé de près. Avec quel objectif personnel ? On lui prête le rêve d’un retour au Seize, formellement pas rendu impossible par le fait que les socialistes francophones et flamands composent la première famille politique de la Chambre. Mais quand bien même les socialistes entreraient dans le prochain gouvernement fédéral, quand bien même les Flamands, socialistes ou non, accepteraient-ils la possibilité d’un troisième Premier ministre francophone de rang, encore faudrait-il à Elio Di Rupo convaincre… les socialistes flamands, dont le président, John Crombez, avait fait de Paul Magnette son candidat Premier ministre.

Ce rêve lui est inatteignable. Elio Di Rupo le sait. C’est pourquoi on le soupçonnerait plus volontiers de penser à un siège de commissaire européen, que la Belgique devra attribuer à la rentrée prochaine. Ou, plus probablement encore, de se voir, pour la troisième fois après 1999 et 2005, s’installer à l’Elysette comme ministre-président wallon. Il ne dépendra là plus de presque personne, et sûrement pas des Flamands pour ça. Uniquement lui faudra-t-il doucher l’ultime ambition de Jean-Claude Marcourt d’enfin occuper la ministre-présidence wallonne. Paul Magnette, alors, pourra paisiblement emménager dans l’auguste bureau du boulevard de l’Empereur.

La maigre performance libérale, elle, est grosse de tensions. Charles Michel, qui a fait campagne pour aider à la désignation de Didier Reynders au Conseil de l’Europe, pourrait tout vouloir défaire. Les chances de le voir reconduire son bail au 16, rue de la Loi, sont minces, et il pourrait estimer infamante une relégation comme vice-Premier ministre. Il a, dit-on, déjà largement réfléchi à la question. Et si sa priorité de début mai allait à la reconduction de sa suédoise, celle de la fin du mois regarde vers un autre quartier de Bruxelles : celui du Luxembourg. Ces semaines verront en effet les hauts postes européens se troquer. Charles Michel pense à succéder à Donald Tusk comme président du Conseil européen, ou à Federica Mogherini comme haut représentant à la politique étrangère de l’Union. Son amitié avec Emmanuel Macron notamment pourrait lui servir. Mais que deux si hautes fonctions de la sphère continentale, secrétaire général du Conseil de l’Europe à Strasbourg et président du Conseil de l’Union européenne à Bruxelles, soient attribuées à deux hommes belges, libéraux et francophones, paraît impossible à bien des observateurs. Ce qui faisait dire à l’un d’entre eux, le 27 mai, que  » Charles Michel devrait déjà commencer à détricoter la candidature de Didier s’il veut obtenir quelque chose « .

On saura bientôt si Didier Reynders quitte définitivement la scène politique belge.

Une issue de secours subsiste à Charles Michel, encore assez jeune pour voir l’Europe comme une régénérante parenthèse plutôt que comme un anesthésiant départ, s’il rate cette marche peut-être trop haute qui vient peut-être déjà trop vite, et dont la proximité de Didier Reynders pourrait l’y faire trébucher : se trouver parmi les commissaires que désigneront les pays membres, au terme de l’été qui vient. Mais il pourrait trouver là sur son chemin quelques-uns des Flamands qui ont accompagné le sien ces dernières années, comme le CD&V Kris Peeters par exemple. Mais s’il part et que Didier Reynders ne reste pas, c’est un parti, le leur, qu’il leur faudra laisser. A qui ?

Leur parti demain On saura bientôt si Didier Reynders quitte définitivement la scène politique belge, et sans doute aussi tôt si Charles Michel la délaisse temporairement. Si l’un s’en va et l’autre pas, l’autre mettra encore ou enfin la main sur le parti que l’autre lui aura ravi et qu’il lui aura repris à un moment ou l’autre. S’ils partent tous les deux dans ces temps très durs alors que point déjà la promesse d’oppositions en Régions wallonne et bruxelloise, et que de onze ministres fédéraux et wallons, le Mouvement réformateur ne pourrait se retrouver qu’avec plus que deux fédéraux, au mieux, le libéralisme francophone sombrera dans une crise qu’il n’a plus connue depuis les années 1970. Or, ambitions et couteaux s’aiguisent toujours davantage en période de disette qu’aux temps de l’abondance. C’est pourquoi les patrons sur le départ devront veiller au rationnement des uns et des autres. Et c’est ainsi que repartira possiblement une nouvelle querelle dynastique, avec des héritiers des deux branches et de nouvelles familles brisées. Chacun, déjà, s’affaire à mettre ses favoris à l’abri : Didier Reynders pousse sans le dire son vieux camarade Jean-Luc Crucke, qui n’en a déjà pas besoin. Et Charles Michel aurait bien promis le parti à son vieux compagnon Willy Borsus, que les abords débonnaires n’ont jamais privé d’appétit. Deux hommes, Crucke et Borsus, qui se profilent donc presque déjà en présidents en puissance. Deux hommes ancrés dans leur terroir rural, deux Wallons, alors que le MR est particulièrement en souffrance à Bruxelles et dans les grandes villes. Mais la figure jeune et urbaine de Georges-Louis Bouchez pourrait venir mettre tout le monde (en) d(és)accord.

Le PS que Paul Magnette s’apprête à diriger, lui, inclinerait à souffrir d’un mal inverse : il pourrait, non pas par manque mais par profusion de ressources, s’abandonner à l’indolence. Elio Di Rupo, qui aspire à mener ses ultimes négociations gouvernementales, sait que le PS sera de tous les gouvernements fédérés, et peut-être aussi du fédéral. Il lui sera donc assez simple de ne mécontenter personne, ou presque personne, en préservant les grands équilibres entre fédérations et les susceptibilités de ses généraux. Céder à cette confortable tentation ferait oublier que le PS n’a jamais été aussi faible en Wallonie depuis 1919, et qu’il a besoin de nouvelles têtes, y compris féminines, pour ne pas battre, dans cinq ans ce piteux record. Des équipes que composera Elio Di Rupo, et des interventions qu’y fera ou pas Paul Magnette dépendront, en fait, l’avenir à moyen terme du Pari socialiste. Pour que le lent départ de l’un ne signe pas la mort nécessaire de l’autre.

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