Louis Michel © Dieter Telemans/Imagedesk

Louis Michel: « Charles ne veut absolument pas que quelqu’un d’autre lui dise ce qu’il doit faire »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Le 11 octobre, il y aura un an que le gouvernement Michel a prêté serment. Nos confrères de Knack se sont entretenus avec son père, Louis Michel.

« La décision de Charles de faire entrer le MR comme seul parti francophone dans les négociations du gouvernement fédéral était historique » estime Louis Michel. « Il fallait beaucoup de courage. Ses détracteurs pensaient que cette coalition asymétrique se déliterait rapidement. Mais, le gouvernement est en selle depuis un an et pour l’opposition, l’espoir de voir le gouvernement Michel échouer, fond comme neige au soleil ».

Michel Ier ira-t-il jusqu’à la fin de la législature?

« Il n’y a aucun parti du gouvernement qui a intérêt à des élections anticipées. Donc oui ».

Pour vous aussi c’était la surprise que votre fils puisse tout à coup devenir premier ministre?

« Il n’y avait pas de scénario. Comme nous l’avons dit, nous souhaitions Didier Reynders comme commissaire européen. J’ai martelé pendant deux jours sur la RTBF et RTL que pour nous il était inacceptable que le CD&V ait le poste de commissaire européen et de premier ministre. À ce moment-là, j’oeuvrais pour Reynders. Je le jure ».

Mais dès que le CD&V a choisi le poste de commissaire européen, votre fils était en pole position pour celui de premier ministre?

 » (Rires) Ça n’a pas été si facile. Charles était président du MR, il était informateur et formateur, donc c’était un choix évident. Je vais vous raconter ce que personne ne sait : lorsque Charles m’a dit : « Je crois que le MR a une bonne chance de fournir le premier ministre », il hésitait à le faire lui-même. Mais cette hésitation n’a pas duré longtemps. »

Vous le lui avez conseillé?

« Il faut connaître mon fils. Charles ne veut absolument pas que quelqu’un d’autre lui dise ce qu’il doit faire. Si je l’avais poussé, il aurait probablement fait autre chose ».

N’y a-t-il vraiment pas eu d’hésitation au sein du MR?

« Le MR est comme un bloc derrière mon fils. En février 2011, il a remporté les élections de la présidence du MR avec 54% des voix. Une faible majorité, mais à cette époque, les membres du FDF votaient encore, et ils étaient tous contre mon fils. En octobre 2012, il a remporté les élections communales et en 2014 il a de nouveau mené son parti à la victoire aux élections régionales et fédérales. Charles est un leader politique crédible ».

Avant les élections, le MR n’a pas uniquement fait des avances au CD&V, il a également contacté le plus grand parti de l’opposition, la N-VA. Didier Reynders a introduit Bart De Wever au Cercle de Lorraine et les deux politiques ont été vus ensemble au restaurant étoilé Bruneau.

« Chez Bruneau, j’y étais aussi. Vous savez, à un certain moment, nous avons compris que le PS, malgré sa rhétorique, ouvrait ses portes à la N-VA. Il n’y a aucun socialiste important qui a dit : ‘Jamais avec Bart De Wever’. Le PS avait préparé plusieurs scénarios, mais il poursuivait le même but : rester au pouvoir partout. Tout le pouvoir au PS : c’est ce qu’ils aiment’.

Alors que le MR clamait haut et fort qu’il n’entrerait jamais dans un gouvernement avec la N-VA, il y avait déjà des contacts discrets?

« Non. La N-VA est de loin le plus grand parti démocratique du pays. Évidemment, on peut être contre leurs idées et leur nationalisme – et nous le sommes – mais le fait est que la population flamande a donné un signal. Pour Charles, il aurait été difficile de ne pas en tenir compte. C’était aussi une question de respect à l’égard de la démocratie. Donc la seule coalition possible était avec la N-VA ».

Lors de la déclaration gouvernementale au parlement, l’opposition a parfois réagi de façon hystérique. Après, il y a eu des manifestations.

« C’est terrible, non? Le public francophone aussi a frémi en entendant Laurette Onkelinx évoquer ‘les bruits de bottes’ résonner dans le gouvernement Michel. C’était brutal et grossier. Et quant aux protestations des syndicats francophones : ceux-ci ne voulaient tout simplement pas accepter que le PS n’était plus dans le gouvernement. Il ne s’agissait pas uniquement de protestations sociales, mais aussi d’une coalition politique entre le PS, les syndicats et le PTB/PvdA. »

Il faut dire aussi que De Wever prend un malin plaisir à enquiquiner l’opposition de gauche.

« Et alors? De Wever est président de parti et il est évident qu’il doit se montrer plus radical que ses ministres. Quand j’étais président, je faisais ça aussi. Tous les présidents doivent parfois être un peu méchants. (rires) Les présidents qui veulent se la jouer homme d’état, détruisent leur parti. »

Vous devez tout de même admettre qu’il y a beaucoup de querelles entre les partenaires de coalition ?

« Il ne faut pas exagérer. Lorsque dans le gouvernement précédent, le parti du premier ministre Elio Di Rupo a exigé un impôt sur la fortune, nous avons refusé. Mais nous ne lui en avons jamais voulu de formuler cette exigence. C’est comme ça qu’une démocratie fonctionne, non ? Ou est-ce qu’on veut rendre tout débat impossible ? »

Quand saviez-vous que Charles entrerait en politique?

« Je le savais déjà quand il avait quinze ans. Il m’accompagnait souvent. Il avait treize ans quand il a prononcé son premier discours public, à l’occasion de mes quarante ans. Plus tard il est devenu président des jeunes libéraux francophones du Brabant wallon. Lors des premières élections en 1994, il avait 18 ans et figurait en queue de liste du Conseil provincial et il a été élu directement. À cette époque, il suivait un cours de « droit international de conflits armés » à l’Université d’Amsterdam dans le cadre d’ Erasmus, mais tous les jeudis il revenait en Belgique pour assister au Conseil provincial. »

Vous pensiez déjà qu’il serait un jour premier ministre?

« Je n’ai jamais pensé que Charles serait premier ministre, même si j’ai cru à un moment que je deviendrais moi-même : lors de la formation du gouvernement arc-en-ciel en 1999, cette opportunité a été un instant à portée de main ».

À quel autre premier ministre de l’histoire récente vous fait penser votre fils?

(réfléchit longuement) « J’oserais déjà comparer Charles à Wilfried Martens. Du moins avec le Martens des gouvernements Martens-Gol dans les années quatre-vingt, lorsque j’étais président de parti. Au sein de son gouvernement, Wilfried Martens respectait aussi toujours les conventions. Et lui aussi permettait à ses ministres d’occuper le devant de la scène ».

Les thèmes communautaires ressurgiront-ils aux prochaines élections?

« Je pense, oui. Nous ne sommes pas aveugles. La sixième réforme de l’État est loin d’être parfaite, il y a encore toujours trop de chevauchements qui empêchent les différents gouvernements de mener une politique logique et cohérente. Il faut donc encore quelques corrections et affinements. Je ne vois pas pourquoi les francophones devraient craindre un tel dialogue. Peut-être qu’il vaut mieux ne pas commettre les erreurs du passé ».

Le gouvernement Michel va-t-il déclarer la révision de la Constitution pour rendre possible une prochaine réforme de l’état ?

« Il faudra en parler à la fin de la période gouvernementale. Il faut éviter l’impasse. C’est la leçon de 2007 et 2010. Parmi la jeune génération de francophones, il y a de plus en plus de voix qui s’élèvent pour mettre fin au fédéralisme de consommation (hésitant) Écoutez, je ne suis pas pour le confédéralisme, mais il est trop tard pour éviter la discussion sur le confédéralisme.

Charles Michel remportera-t-il les élections?

« Charles luttera pour gagner. Mais il est évidemment seul contre tous. Dans tous les débats télévisés sur les chaînes francophones, c’est un contre tous. »

Ça peut être un avantage.

« En Flandre, c’est un avantage. C’est comme ça que la N-VA a pu se positionner en « Caliméro » de la politique. Tous les partis étaient contre la N-VA, ce qui éveille la sympathie de beaucoup d’électeurs. Mais chez nous, ça ne fonctionne pas comme ça. Il n’y a aucun quotidien francophone qui soutient le gouvernement. On dit qu’il n’y a plus de presse socialiste, mais on n’en a pas besoin : il y a assez de journalistes de gauche. On reproche en permanence au MR et au premier ministre d’être influencés par la N-VA. Mais je ne reproche rien à personne : la presse est libre. »

En Wallonie, il y a une aversion de la N-VA. À tort, selon vous ?

Oui, en Wallonie, il y a beaucoup de gens qui ont une aversion obsessionnelle de la N-VA. Parfois, on dirait qu’ils espèrent ardemment qu’un ministre N-VA commette une lourde erreur. Mais ils n’en font pas. Jan Jambon est un ministre de l’Intérieur excellent. Theo Francken est parfois un peu imprudent, mais il fait son job à l’Asile. C’est ce que font aussi Johan Van Overtveldt aux Finances et Steven Vandeput à la Défense. Les membres du gouvernement N-VA respectent les institutions démocratiques et se tiennent strictement à l’accord gouvernemental.

Charles Michel est-il agacé que la presse flamande qualifie Bart De Wever de « véritable premier ministre du pays » ?

« Je ne l’ai pas encore entendu se plaindre, mais je peux m’imaginer que ça le blesse. Parce que ce n’est pas la vérité : De Wever ne téléphone pas ou n’envoie pas de SMS à Charles pour lui dire ce qu’il doit faire ou ne pas faire ».

La semaine dernière, Charles et son amie avaient une bonne nouvelle pour les Obama: ils attendent un enfant. Mais l’année passée, il y a eu l’annonce d’une fausse couche.

« C’était évidemment une période pénible. Sur Facebook et Twitter il y a avait des commentaires du genre ‘Tant mieux. C’est un futur dictateur de moins.’ J’en étais malade. Tout cet épisode m’a fait très mal. Mais Charles ne le montre pas. Il garde ses tourments pour lui ».

Votre fils veut se maîtriser en toute circonstance ?

« Charles a repris ma façon de faire: se lever tôt, bosser de longues heures, ne pas beaucoup dormir. Il est plus rationnel que moi et fait un travail beaucoup plus approfondi. Il connaît ses dossiers jusque dans les moindres détails, y compris ceux de ses ministres. Il ne tolère pas de négligences de la part de ses collaborateurs. Il sacrifie tout à sa tâche. En d’autres termes : il en fait trop. Il est beaucoup trop dur envers lui-même. Il souffre de son estomac. Il mange beaucoup trop vite aussi: il avale ses aliments. (soupirs) Mais on ne peut évidemment pas lui dire ».

Il n’écoute plus ses parents.

« Beaucoup trop peu. (hurle de rire). Mais nous n’en voulons pas à Charles. Mon fils est un brave garçon ».

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