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Lorsque la crise de l’oeuf devient une affaire gouvernementale

L’affaire des oeufs contaminés a des relents de crise de la dioxine. Commencée mezza voce il y a près de 10 jours, elle ne cesse de prendre de l’ampleur. Car contrairement à ce qui était dit jusqu’à hier, le taux limite aurait tout de même été dépassé dans au moins une entreprise. De quoi mettre un gouvernement, même en vacances, en branle et plomber la confiance envers l’Afsca.

Pendant plus d’une semaine, on se voulait rassurant. Le taux de friponil découvert restait dix fois inférieur aux normes européennes. Des normes déjà sévères disait-on. Mais hier, on a pu entendre un autre son de cloche. L’Afsca a en effet annoncé qu’une contre-expertise sur des échantillons prélevés dans une des 86 entreprises bloquées dans le cadre du dossier du fipronil montrait une teneur dépassant le seuil européen de sécurité.

Ces résultats font référence à une entreprise bloquée et échantillonnée le 18 juillet. Une première analyse révélait un taux de 0,076 mg/kg de fipronil, ce qui restait largement sous le seuil européen de sécurité qui est de 0,72 mg/kg. L’exploitant a cependant fait usage de son droit à la contre-expertise et une deuxième analyse a révélé cette fois un taux de 0,92 mg/kg, soit douze fois plus. « L’agence a prélevé en double, conformément à la réglementation, les échantillons d’oeufs afin de confirmer ou infirmer la contamination de l’exploitation. »

« L’Afsca et les laboratoires concernés font actuellement une recherche afin de pouvoir expliquer la différence dans ces résultats d’analyse », indique cependant l’Agence, qui souhaite obtenir des clarifications le plus rapidement possible. Par ailleurs, ces oeufs, bloqués le 18 juillet, ne devraient pas avoir atteint le consommateur, ajoute l’Afsca.

Suite à la découverte de cette incohérence dans un résultat d’analyse envoyé par ce laboratoire on va, par précaution, rappeler les oeufs des 6 autres entreprises qui ont été testées par ce même laboratoire. Dix codes sont concernés par cette mesure de rappel, précise l’Agence pour la sécurité de la chaîne alimentaire. Le consommateur peut identifier les oeufs faisant l’objet du rappel via les codes suivants: 2BE3084-2, 2BE3084-3, 2BE3084-6, 2BE3123-A, 2BE3123-B, 2BE3123-C, 3BE4004, 3BE4005, 1BE8016 et BE3114. Il est demandé aux consommateurs qui possèdent des oeufs portant ces codes de ne pas les consommer et de les ramener en magasin. L’Afsca espère connaître les résultats dans les 48 heures.

Le moins que l’on puisse dire c’est que l’Afsca, déjà dans la tourmente, ne sort pas grandie de ce dernier rebondissement. Cela fait plus d’une semaine que l’Agence semble plus subir les faits qu’autre chose. En effet, jusqu’à ce week-end, elle était restée étonnamment silencieuse. Ce n’est que dimanche que furent diffusés les premiers chiffres concrets. Et lorsque, deux jours plus tard, ces premiers résultats tant attendus sont contredits, cela fait tout de même mauvais genre. Et cela a surtout visiblement irrité le gouvernement. D’autant plus qu’un nouvel autre élément gênant est apparu dans la foulée: l’Afsca avait reçu dès le 2 juin dernier une première notification de la part d’une entreprise belge, qui informait l’Agence d’un problème potentiel avec le fipronil. Pourtant, il faudra attendre le 20 juillet pour que l’Europe soit mise au parfum. Pas tout à fait une réaction fulgurante.

Le gouvernement s’en mêle

De telles divergences entre deux analyses et surtout le dépassement du seuil de sécurité européen a réveillé nos ministres qui se sont bousculés pour demander une série de mesures « complémentaires de précaution » à l’Afsca. Les ministres de l’Agriculture et de la Santé publique, Denis Ducarme et Maggie De Block, ont demandé, en concertation avec le Premier ministre Charles Michel, et le ministre de la Protection des consommateurs, Kris Peeters le rappel immédiat de tous les oeufs douteux et la mise à disposition d’un numéro vert pour permettre à la population de poser des questions. Le consommateur pourra poser ses questions au numéro gratuit du call center 0800/13.550, à partir de mercredi à 09h00.

Parmi les autres mesures demandées figurent le « blocage de toutes les exploitations de poules pondeuses » dont les analyses des oeufs ont été faites par le même laboratoire contredit par la contre-expertise, une vérification des résultats de cette contre-expertise, un renforcement du contrôle et du monitoring de l’ensemble de la filière des poules pondeuses et de la reproduction par l’Afsca ainsi que la publication des numéros des lots de tous les oeufs concernés par le rappel (ce dernier point a déjà été mis en oeuvre mardi soir).

Ce matin, il devrait y avoir davantage de clarté sur l’affaire puisque Herman Diricks, le président de l’Agence, doit passer, avec Ducarme et De Block devant la Chambre donner quelques explications autour de la crise des oeufs contaminés. Celle-ci sera en grande partie basée sur le rapport détaillé que l’agence a fourni mardi au gouvernement.

Willy Borsus ne devrait lui pas être présent. Ce que regrette Défi. « Si l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) a effectivement mis sept semaines pour informer son ministre de tutelle de la situation – et nous ne manquerons pas de vérifier la chose – on peut s’interroger sur la loyauté de l’agence. Et dans le chef du ministre, on peut clairement parler d’un problème d’autorité », affirme le vice-président de DéFI, Jonathan Martin.

Selon lui, même prévenu très tardivement, Willy Borsus se devait d’agir immédiatement plutôt que de refiler la patate chaude à son successeur. « Il avait l’occasion de communiquer entre le 25 juillet, date à laquelle il a reçu le rapport demandé à l’Afsca, et le 28 juillet, date de son départ du gouvernement fédéral », soutient Jonathan Martin.

Par ailleurs, même si, pour l’instant, personne ne demande la tête de Diricks, il est clair que même dans les rangées de la majorité on se pose de nombreuses questions. « La communication a au minimum été maladroite » précise la parlementaire CD&V Leen Dierick dans De Morgen .

Une crise qui prend chaque jour un peu plus d’ampleur

L’ampleur de la crise est apparue au grand jour la semaine dernière aux Pays-Bas, où jusqu’à 180 élevages ont été bloqués et des rappels massifs ordonnés alors que les taux de fipronil – une molécule utilisée pour éradiquer le pou rouge sur les poules – dépassaient parfois largement les seuils autorisés par la réglementation européenne. D’autres pays tels que l’Autriche, la Pologne, le Portugal, la Bulgarie et la Roumanie ont indiqué procéder à des analyses, bien qu’aucun oeuf directement importé dans ces pays ne soit contaminé, selon les agences de sécurité alimentaire. En Suisse, les grands distributeurs ont retiré de la vente les oeufs importés en provenance des pays touchés, à titre préventif. Et on teste désormais aussi la viande

La viande aussi

« Nous testons actuellement la viande de poulet dans les élevages dont les oeufs ont été infectés pour déterminer si la viande est également contaminée », a rapporté à l’AFP mardi Tjitte Mastenbroek, porte-parole de l’organisme néerlandais chargé de la sécurité alimentaire et sanitaire NVWA. Nous avons maintenant le temps et la place » pour se pencher « sur la viande », a poursuivi le porte-parole de la NVWA, soulignant qu’il s’agissait d’une « mesure de précaution ».

En effet, la probabilité que la molécule néfaste pour la consommation humaine soit détectée dans la viande de poulet est petite, selon le LTO. « Les poulets de chair n’ont aucun problème avec le pou rouge contrairement aux poules pondeuses enfermées dans un poulailler pendant deux ans, ce qui permet au parasite de se développer », a expliqué Eric Hubers, cité dans les médias néerlandais.

Les analyses sont menées sur la viande de poulets issus d’élevages qui produisent aussi bien des oeufs que de la viande, ce qui correspond à « quelques dizaines » de sites dans le pays, selon la NVWA et l’organisation agricole néerlandaise LTO. « La plupart des exploitations font un choix entre l’un ou l’autre », a fait savoir Eric Hubers, représentant des aviculteurs au sein de la LTO. Si les tests s’avèrent négatifs, ces éleveurs, dont la distribution d’oeufs est bloquée auront le droit de rouvrir leur branche viande, a précisé Tjitte Mastenbroek. Mais en cas de détection de fipronil dans la viande, « l’élevage restera entièrement bloqué », a-t-il ajouté, alors que les éleveurs néerlandais pourraient abattre des millions de poules contaminées par l’insecticide dans les jours à venir.

L’affaire du fipronil vient s’ajouter à de « nombreux scandales sanitaires dans l’industrie agro-alimentaire, comme la vache folle, les grippes aviaires et porcines et la viande de cheval », a estimé Greenpeace. Des « symptômes d’un système qui essaie partout de réduire les coûts pour maximiser les profits au détriment de la santé publique et de l’environnement », s’est insurgé Davin Hutchins dans un communiqué. L’Afsca rappelle pour sa part avoir mis en place un monitoring concernant tous les élevages de poules pondeuses et de reproduction. Cela ne concerne pas les élevages de poulets élevés pour leur chair.

Un relent de crise de dioxine

Pour l’ancien commissaire à la dioxine Freddy Willockx , « on fait les mêmes erreurs que par le passé ». Il plaide pour davantage de transparence. Freddy Willockx avait été nommé commissaire gouvernemental dans la foulée de la crise de la dioxine, en 1999, lorsqu’une substance toxique avait été décelée dans la chaîne alimentaire. Le risque pour la santé publique avait été mis au jour assez tard. L’Afsca avait alors vu le jour afin d’éviter des crises alimentaires semblables et de lancer une communication ouverte avec l’Europe. « Nous sommes retombés dans les habitudes d’avant la crise de la dioxine », regrette dimanche Freddy Willockx. « En tant que commissaire du gouvernement, j’étais aux premières loges de la mauvaise communication autour du problème. Cela nuit à la confiance de nos partenaires européens et de la population. La santé publique doit toujours être une priorité. » La crise aura également eu des conséquences sur le paysage politique: le CVP essuie aux législatives de 1999 une lourde sanction des électeurs, au profit de Guy Verhofstadt et d’Agalev.

La crise de la dioxine en quelques dates

La crise liée à la découverte de fipronil dans des oeufs en Europe fait inévitablement écho à la crise de la dioxine en 1999.

janvier 1999: des graisses de la firme Verkest (Deinze), destinées à être mélangées à des aliments pour bétail, sont polluées par des dioxines ou du PCB.

29 janvier: des clients de la firme De Brabander, de Roulers, l’une des entreprises qui se fournissent chez Verkest, l’informent d’une importante diminution du pourcentage de pontes constaté chez leurs poules 3 mars: la firme De Brabander avertit son assurance. Après les premiers constats de décès parmi les volailles, le Dr Destickere, fonctionnaire de l’Institut d’expertise vétérinaire (IEV), est désigné comme expert. Les soupçons d’une contamination à la dioxine grandissent.

24 mars: le ministère de l’Agriculture constate des irrégularités administratives et des problèmes techniques chez Verkest. Des échantillons sont prélevés. 12 avril: le département de l’agriculture transmet son PV au parquet de Gand. Il n’y est toutefois pas fait mention de dioxine.

21 avril: le Dr Destickere est informé par la firme De Brabander de la présence de hautes concentrations de dioxine dans l’alimentation destinées aux poulets ainsi que la graisse de ceux ci. Destickere en avise le ministère de l’Agriculture.

27 avril: une fois en possession des résultats des tests effectués par le laboratoire néerlandais, Destickere adresse une chronologie des faits au ministère de la Santé publique. Entretemps, de nouveaux échantillons sont prélevés chez Verkest et trois citernes sont mises sous scellés. De nouveaux prélèvements effectués chez De Brabander ainsi que dans une firme néerlandaise, Huys, sont expédiés aux Pays-Bas pour examen.

03 mai: le fonctionnement d’une dizaine d’entreprises qui s’étaient fournies chez De Brabander et Huys est bloqué. Le ministère de l’Agriculture entame le « traçage » de la graisse polluée.

26 mai: un laboratoire néerlandais, qui avait été chargé officiellement d’effectuer des examens par le ministère de l’Agriculture, confirme la présence de dioxine tant dans les aliments pour volaille que dans les poulets et les oeufs.

27 mai: la VRT dévoile l’existence de la contamination à la dioxine. Le même jour, le ministère de l’Agriculture fait savoir que la viande de poulet et les oeufs de poulet sont contaminés depuis au moins deux semaines.

28 mai: le parquet de Gand confirme qu’une enquête a été ouverte sur une contamination de l’alimentation destinée aux poulets. Les départements de l’Agriculture et de la Santé publique sont critiqués pour ne pas avoir précisé plus tôt quelle était la cause présumée de la contamination. Ce n’est que le 31 mai que le parquet réceptionne un PV dans lequel la dioxine est clairement mentionnée. Le ministre de la Santé, Marcel Colla, décide de faire retirer de la vente tous les poulets et les oeufs belges.

29 mai: la France et l’Allemagne déconseillent à leurs consommateurs d’acheter encore du poulet et des oeufs belges. 30 mai: le dossier est soumis aux instances européennes. La Commission évoque la possible ouverture d’une procédure en infraction s’il devait s’avérer que la Belgique a informé avec retard les autres pays membres de l’existence de la contamination. 31 mai: les ministres Pinxten (Agriculture) et Colla (Santé publique) font un rapport sur la situation au Premier ministre Jean-Luc Dehaene. Ce dernier déclare que « sur base des informations disponibles, les deux ministres ont, chacun dans leur secteur et après concertation, pris leurs responsabilités dès que les informations officielles et certifiées ont été disponibles ». 1er juin: les ministres Colla et Pinxten démissionnent. Ils sont remplacés par Luc Van den Bossche (Santé) en Herman Van Rompuy (Agriculture). Une interdiction à la vente est décrétée pour les poulets, les oeufs et les produits dérivés.

2 juin: le père et le fils Verkest sont placés sous mandat d’arrêt pour faux en écriture et fraude. Le gouvernement belge interdit temporairement l’abattage des porcs. Une interdiction totale d’abattage et de transport de volailles, porcs et boeufs est également décrétée. 4 juin: l’Union européenne étend des mesures prises pour les poulets belges aux porcs et aux boeufs. Au total, trois entreprises d’aliments pour animaux auraient acheté la graisse de Berkest. La FEB, qui craint de nombreuses faillites, exige l’établissement d’un fonds d’indemnisation.

7 juin: le père et le fils Verkest restent en détention. L’Union européenne souhaite une liste de toutes les entreprises suspectes en Belgqiue. Au total, 10% de la production belge de viande de volaille et d’oeufs sont considérés comme suspects. De plus en plus de pays ferment leurs portes à la viande provenant de Belgique.

8 juin: tous les fournisseurs de Verkest sont examinés, parmi lesquels l’entreprise wallonne Fogra. 11 juin: les viandes de volaille, porc et boeuf peuvent être exportées si elles disposent d’un certificat d’exportation belge.

21 juin: des milliers d’agriculteurs manifestent à Bruxelles. Ils exigent une indemnisation rapide pour les victimes de la crise de la dioxine. L’Europe entame une procédure d’infraction contre la Belgique pour ne pas averti la Commission des problèmes.

22 juin: les gestionnaires Verkest sont libérés. Le patron de la société Fogra est inculpé à son tour. L’entreprise serait à la base de la contamination à la dioxine.

29 juin: le ministre sortant du Budget, Herman Van Rompuy estime que des économies seront nécessaires pour payer la facture de la dioxine. Celle-ci s’éleverait à 60 milliards de francs (1,5 milliard d’euros).

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