MONT-DE-L'ENCLUS Une petite commune libérale au nord du Hainaut, allergique à des logements sociaux qui ne profitent pas à ses habitants. © DEBBY TERMONIA

Logements publics : les communes réfractaires devront payer

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Au moins 10 % de logements publics dans chaque commune. Après huit ans d’impunité, la Wallonie compte bien faire payer celles qui snobent les règles du jeu. Dans le collimateur : un paquet de fiefs MR.

« Pas de ça dans ma commune ! » A Jurbise, ces mots rugueux fusent inexorablement lorsque Jacqueline Galant (MR), ministre-imprudente-mais-de-bonne-foi dans l’affaire du contrat conclu avec le cabinet d’avocats Clifford Chance, peut évoquer, sous sa casquette revigorante de bourgmestre-impétueuse-mais-aimée-de-tous, son profond mépris pour les logements publics. Les 17 petites unités construites dans son fief, en périphérie montoise, ne représentent que 0,4 % de son parc de logement. Un accident de l’histoire, visiblement, qu’elle n’entend pas rééditer. Mais Jurbise est loin d’être la seule commune à snober, par conviction ou par fatalité, les ambitions du gouvernement wallon en matière de logements sociaux. D’après les chiffres les plus récents, communiqués par le cabinet du ministre du Logement, Paul Furlan (PS), 40 communes seulement (sur 262) atteignent l’objectif fixé par arrêté en décembre 2013. Dérisoire.

Le diable se cache dans ce quota de 10 % de logements publics par commune, un reliquat que la Wallonie agite vainement depuis 2007. L’arrêté pseudo-contraignant de 2013 n’a rien résolu. Sous l’impulsion du ministre du Logement de l’époque, Jean-Marc Nollet (Ecolo), le texte prévoyait des sanctions financières – 10 000 euros multipliés par le nombre minimum de logements à créer – pour les communes rechignant à tendre vers l’objectif de 10 %. Dans les faits, l’effet de panique que suscitait l’annonce de ce texte, parmi les mauvais élèves, s’est rapidement estompé. Pour des raisons idéologiques ou électoralistes, certaines communes ont préféré prendre le risque de payer cette faible amende, en l’intégrant simplement dans les données de leur budget. Elles n’ont jamais eu à le faire : l’arrêté, bien trop fragile sur le plan juridique, exposait le gouvernement à de multiples recours des communes au conseil d’Etat, qu’elles auraient probablement gagnés. La menace de sanctions s’est finalement engourdie, jusqu’à plonger dans un profond sommeil.

« Si la Wallonie veut les 10 %, qu’elle achète les terrains »

De cette impunité résulte un déséquilibre manifeste dans la répartition des 117 200 logements publics – ne dites surtout pas « sociaux » – sur le sol wallon. A Farciennes, dans le Hainaut, un logement sur quatre est public, donc. En bas de tableau, la petite commune de Crisnée (3 000 habitants) en compte… zéro. Alors qu’elle devrait en théorie atteindre les 130 unités. « Si on joue avec les mots, on en a plutôt deux ou trois, rectifie le bourgmestre, Philippe Goffin (MR). On s’y met petit à petit. Mais si la Wallonie veut que l’on atteigne les 10 %, qu’elle vienne acheter les terrains et on verra. »

De leur côté, les 20 plus grandes villes wallonnes respectent le quota ou s’en approchent, à l’exception de Waterloo, Braine-l’Alleud et Wavre. Dans ces trois communes du Brabant wallon, le seuil théorique constitue un horizon plutôt lointain, voire utopique, à en croire les élus interrogés. « Je ne serai plus là pour voir ça », ironise l’échevine du Logement de Wavre, Carine Hermal (MR). « Je suis contre cette politique linéaire du gouvernement », estime pour sa part Etienne Verdin (MR), président du CPAS de Waterloo en charge du Logement. « Il est invraisemblable d’imaginer un jour 1 300 logements publics sur notre territoire (NDLR : Waterloo en compte 173 à l’heure actuelle). Nous ne disposons pas d’un tel patrimoine foncier public. » Comme bon nombre de communes, les deux villes se contentent de voir leur parc de logement public s’étoffer de quelques unités par an.

Mais la donne s’apprête à changer. Jusqu’à présent, les communes devaient présenter le nombre précis de logements publics qu’elles comptaient créer sur leur territoire, à l’occasion des plans d’ancrage. Un système bien trop rigide d’après les communes, et visiblement trop peu contraignant : lors du dernier programme, conclu en avril 2014 et courant jusque 2016, 20 d’entre elles n’ont rentré aucune demande, « s’exposant » ainsi aux fameuses sanctions inapplicables. D’autres ont adopté des stratégies diverses pour saper leur propre plan d’ancrage. Notamment en jouant sur la lenteur dans leur mise en oeuvre. Ou en refusant tout simplement d’octroyer un permis de construire aux sociétés de logement de service public (SLSP).

Des nouvelles sanctions en juin 2016

Le ministre Paul Furlan soumettra donc un nouveau projet de décret en juin 2016. Le futur dispositif simplifiera les règles, puisqu’il prendra la forme d’une enveloppe pluriannuelle, permettant aux communes d’ajuster le nombre de logements publics à créer en fonction des réalités rencontrées sur le terrain. Le gouvernement wallon PS-CDH ne pourra toutefois pas compter sur la seule bonne volonté des communes pour atteindre, d’ici 2020, l’objectif de 6 000 nouveaux logements publics fixé dans sa déclaration de politique régionale. En complément du projet de décret, il entend donc bien faire payer les communes réfractaires, via un nouvel arrêté aux bases juridiques plus solides que le précédent.

Quel sera le montant des sanctions ? Le mode de calcul n’est pas encore défini à ce stade. « Mais l’intention ministérielle est d’avoir des sanctions suffisamment coercitives pour que certaines communes ne puissent plus se permettre de choisir la sanction plutôt que la création de logements », confirme le cabinet de Paul Furlan. En clair, les amendes cibleront une partie des communes comptant moins de 10 % de logements publics sur leur territoire : celles qui, précisément, refusent de participer à l’effort minimum requis pour tendre vers ce quota. Ou qui invoquent des prétextes diffus pour freiner les projets sur leur territoire. Si de nombreuses communes sont dans le collimateur, les fiefs libéraux figurent en bon nombre.

D’après plusieurs communes en bas de tableau, l’objectif unilatéral de 10 % reste « irréaliste », au regard des faibles disponibilités foncières dans certaines zones urbaines ou des solutions de mobilité limitées dans les entités plutôt rurales. De son côté, Hicham Imane, député wallon PS et président de La Sambrienne, la plus grande SLSP de Wallonie (10 000 logements publics), dénonce des arguments-prétextes et prône une solution radicale. « Avec le patrimoine foncier de la Société wallonne du logement et surtout de l’Etat, les réserves foncières, on les a, fustige-t-il. Mettons à ces communes des amendes indécentes, pour les obliger à participer à l’équilibre socioéconomique. » Une manière comme une autre de régler, aussi (surtout ?), des comptes avec quelques bourgmestres libéraux ?

Bruxelles : objectif 15 % mais pas de sanctions

La Région de Bruxelles-Capitale compte en moyenne 10 % de logements publics (54 300 unités) sur son territoire – contre 7,77 % en Wallonie. L’objectif y est fixé à 15 %. La ministre du Logement, Céline Fremault (CDH), n’envisage toutefois pas de sanctions à l’égard des communes moins volontaristes. D’après les dernières estimations, datant de 2014, c’est à Watermael-Boitsfort que l’on retrouve la plus grande part de logements publics (19,8 %). Suivent Bruxelles-Ville (17,8 %), Evere (15 %) et Ganshoren (12,6 %). En bas de tableau : Ixelles (4,9 %), Uccle (5,2 %) et Woluwe-Saint-Pierre (5,6 %). Le plan régional du logement table sur la construction de 5 000 logements publics (1 500 réalisés), tandis que l’Alliance Habitat en prévoit 6 500 d’ici la fin de la législature. Par ailleurs, le gouvernement bruxellois finalise un arrêté permettant à la Société de logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB), aux sociétés immobilières de service public (SISP) ainsi qu’aux communes de transformer des immeubles vides en logements publics. Il sera opérationnel avant la fin de l’année 2015.

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