Valérie Geeurickx. © Michelle Lamensch

Linkebeek, commune hors normes

Le Vif

Ce lundi, la 3e échevine, Valérie Geeurickx (LB-Ind.), doit être désignée bourgmestre par le conseil communal de Linkebeek. Cette désignation inattendue fait suite au refus de nomination du 2e échevin, Yves Ghequière (LB-Ind.), par la ministre flamande de l’Intérieur, Liesbeth Homans (N-VA). Refus qu’avait essuyé, avant lui, le 1er échevin, Damien Thiéry (LB-MR), pourtant aux commandes de la commune depuis 2007…

La nomination des bourgmestres des six communes à facilités de la périphérie bruxelloise a été réglée par une « loi spéciale », lors de la sixième réforme de l’Etat, en 2011. Tout devait être éclairci. Mais l’absence de hiérarchie des normes, qui caractérise notre édifice institutionnel, renvoie vers les juridictions administratives les protagonistes francophones et flamands, arcboutés sur leur « bon droit ».

Comme nous le confie un éminent constitutionnaliste, « on est souvent surpris par les arguties insoupçonnées d’un texte législatif… »

L’exemple de Linkebeek – dont le bourgmestre, démissionnaire, est l’élu flamand de l’opposition, Eric De Bruycker ! – illustre cette judiciarisation des rapports entre les communautés du pays. Damien Thiéry et Yves Ghequière vont tomber, tour à tour, dans les failles juridiques et administratives de ce système impitoyable…

Damien Thiéry. Porté par les urnes, depuis 2006 et plusieurs fois désigné bourgmestre par sa majorité francophone (13 élus sur 15), le député n’est jamais parvenu à se faire nommer maïeur.

Thèse de la tutelle régionale : il a notamment enfreint la circulaire flamande sur l’emploi des langues lors de l’envoi des convocations électorales.

Devant le Conseil d’Etat, en septembre 2014, Damien Thiéry a soutenu que cette haute juridiction administrative permet désormais l’envoi des convocations en français aux électeurs qui en auront fait la demande, tous les quatre ans. Et qu’il se conformerait, en cas de nomination, à la nouvelle jurisprudence du Conseil d’Etat. Mais sa défense a commis une « grosse bourde », selon un spécialiste du droit public. Le plaignant n’a attaqué qu’un seul des trois motifs ayant fondé son refus de nomination. Négligeant les deux autres, déclarés suffisants par la tutelle pour lui barrer la route du mayorat… Ce qu’a confirmé le Conseil d’Etat.

« Nous nous sommes probablement laissé piéger… »

Yves Ghequière. En octobre 2015 et faute d’un autre candidat que Damien Thiéry, la ministre Liesbeth Homans avait nommé Eric De Bruycker au mayorat. Se sentant peu légitime et relégué aux missions de police, celui-ci démissionna, un mois plus tard. A l’issue d’élections « extraordinaires », en décembre 2015, motivées par la démission des 13 élus francophones LB (Liste du bourgmestre), Thiéry, redésigné par le conseil communal, échoua, en janvier 2017, dans sa dernière tentative de ceindre l’écharpe. Le 6 février, les francophones désignèrent alors le 2ème échevin, Yves Ghequière, à la succession de De Bruycker. Damien Thiéry présidant le conseil communal. Mais…

Deux obstacles s’élevèrent aussitôt.

Un obstacle juridique. Lors de son entretien avec le gouverneur du Brabant flamand, le 28 mars, Ghequière déclara qu’il continuerait de ne pas s’opposer à l’usage du français, en séance, par les conseillers communaux. Comme ce fut le cas, le 6 mars, alors qu’il présidait, ce soir-là, le conseil communal. Pour ce motif, la nomination au mayorat lui a été refusée.

Thèse de la tutelle régionale, basée sur les circulaires flamandes et sur sa propre interprétation des lois linguistiques de 1966 et d’un arrêt du Conseil d’Etat de 2001 : en tant que service local flamand, le conseil communal de Linkebeek ne peut tolérer que l’usage du néerlandais.

En vain, Yves Ghequière invoqua un arrêt de la cour Constitutionnelle, de 1998, stipulant que l’usage du néerlandais n’est imposé, dans les communes à facilités, qu’aux bourgmestre et échevins.

« La Cour constitutionnelle, plaide Damien Thiéry, est la juridiction administrative la plus élevée du pays. Ses décisions ne souffrent aucune interprétation. Mais certains politiciens flamands et flamingants veulent voir disparaître définitivement le français des communes à facilités. »

Un obstacle administratif, ensuite. « Lorsque nous avons présenté Yves Ghequière à la nomination, poursuit Damien Thiéry, la décision n’a pas été actée par un vote. Elle n’a fait l’objet que d’un simple consensus. Le candidat ayant été également soutenu par l’opposition flamande, nous pensions que sa nomination ne ferait aucun doute. Mais, ne voulant prendre aucun risque, nous avons demandé à l’administration flamande comment procéder. Nous nous sommes probablement laissé piéger : la procédure qui nous a été indiquée (un ‘simple consensus au conseil communal suffit’) était légale. Mais, après le refus de nomination, il nous a été signifié qu’en l’absence de vote, lors de la désignation par le conseil communal, un éventuel recours au Conseil d’Etat serait dirigé vers la chambre flamande de l’institution et non devant la chambre bilingue, paritaire… » Une interprétation contestable.

En effet, en vertu de la « loi spéciale », tout le contentieux administratif des communes à facilités de la périphérie est dirigé vers la chambre bilingue, paritaire du Conseil d’Etat. « Un recours devant une chambre flamande, conclut Damien Thiéry, prendrait un an et demi et nous n’aurions aucune chance d’avoir gain de cause. »

Voilà pourquoi, la majorité francophone de Linkebeek a fait appel à la 3e échevine, Valérie Geeurickx, pour (tenter de) garder le mayorat dans le giron francophone. Et, cette fois, la désignation fera l’objet d’un vote…

Michelle Lamensch

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