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Liège et ses valeureux Flamands

Le Vif

En plein coeur de la Cité ardente, une poignée d’irréductibles néerlandophones résiste encore et toujours aux tensions communautaires. De plus en plus nombreux à s’installer à Liège, Flamands et Néerlandais ne tarissent pas d’éloges au sujet de leur ville adoptive. Même s’ils s’y heurtent souvent à la barrière de la langue.

Par Kathleen Wuyard er Clément Jadot

Ne serait-ce une pointe d’accent flamand qui trahit ses origines limbourgeoises, Joris Dubois pourrait passer pour plus liégeois que Tchantchès. D’ailleurs, ainsi qu’il aime l’affirmer, il se sent aujourd’hui  » plus liégeois que flamand  » et ses racines sont fermement ancrées dans la Cité ardente. Non content d’avoir rénové avec goût une maison de maître dans les Vennes, il a ouvert, au printemps 2017, le bistrot Mentin dans le quartier Grand Léopold. Pensé avec son associé néerlandais Han, ce  » café idéal  » doté d’un sacré supplément d’âme a vite attiré les foules dans la rue Sainte-Aldegonde. Et suscité tant l’enthousiasme que l’envie chez les Liégeois, dont certains ont trouvé tout de même déconcertant qu’il faille des néerlandophones pour comprendre le potentiel d’un quartier délaissé. Une situation symptomatique, comme le souligne Joris Dubois, qui remarque que  » les Liégeois manquent parfois de fierté à l’égard de leur ville. On dirait qu’ils ne sont plus capables de voir toute la beauté qui s’y cache.  » Et pourtant, ainsi que le souligne sa soeur Katrien, qui a elle aussi récemment décidé de quitter Hasselt pour Liège,  » c’est une ville pleine de surprises, il y a des histoires à découvrir. Pour nous, habiter Liège, c’est comme des vacances permanentes, c’est très amusant « . Un dépaysement qui séduit de plus en plus de Flamands, pour un jour ou pour la vie.

Les touristes néerlandophones constituent un tiers des visiteurs de Liège, soit le public le plus important.

Tourisme spontané

Comme l’explique Michel Firket, échevin du tourisme sortant de la Ville de Liège,  » le tourisme néerlandophone est en augmentation constante : sur un an, de 2016 à 2017, on est passé de 17 516 à 21 300 visiteurs.  » Et de souligner que ces chiffres, basés sur la fréquentation de la Maison du tourisme,  » ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Les touristes néerlandophones constituent un tiers des visiteurs de Liège, soit le public le plus important. Mais outre ceux, comptabilisés, qui se rendent à la Maison du tourisme, il y a tous les autres, notamment les nombreux habitants du Limbourg flamand ou néerlandais qui viennent à Liège tous les week-ends. Il y a énormément de tourisme spontané.  » Par exemple, pour venir applaudir le Standard (lire l’encadré), mais aussi pour prendre le pouls du marché de l’art dans une ville à la créativité bouillonnante.

Le bistrot Mentin, dans le quartier Grand Léopold : un
Le bistrot Mentin, dans le quartier Grand Léopold : un  » café idéal  » avec un joli supplément d’âme.© Loïs denis

Installée dans un espace lumineux du boulevard d’Avroy, la galerie de Yoko Uhoda fait la part belle aux artistes contemporains des quatre coins de la planète, mais se veut aussi une vitrine pour la création belge et liégeoise. Un parti pris qui séduit les collectionneurs du nord du pays :  » Les Flamands sont bons clients. Le Liégeois aura tendance à acheter dans une gamme de prix plus basse tandis qu’en Flandre, non seulement le budget n’est pas un obstacle pour le collectionneur mais, en prime, il ne va pas hésiter à se déplacer pour un artiste qui lui plaît, que ce soit en Wallonie ou à l’étranger. L’aisance financière permet également aux collectionneurs flamands de montrer plus d’audace dans leurs achats, de ne pas se concentrer uniquement sur les noms, mais de faire le pari d’acheter au coup de coeur une oeuvre qui leur plaît signée d’un artiste qu’ils ne connaissent pas.  »

Problème, pour faire face à l’engouement de ce public qui transcende les frontières linguistiques : la barrière de la langue, justement.

Barrière linguistique

Si Yoko Uhoda a ouvert une deuxième galerie à Knokke, sa ville de coeur, elle avoue avoir quelques problèmes à s’exprimer dans la langue de Vondel. Comme bon nombre de Liégeois, elle choisit plutôt l’anglais en humanités, puis l’allemand, et regrette aujourd’hui que l’apprentissage du néerlandais ne lui ait pas été imposé.  » Je trouve dommage qu’on ne nous pousse pas plus à apprendre cette langue à Liège, alors qu’à l’inverse, la quasi-totalité de mes clients flamands parlent très bien le français.  »  » La barrière de la langue pose problème, déplore Michel Firket, et on essaie d’offrir un maximum de formations linguistiques aux agents de la Ville. Mais le Liégeois moyen est avant tout francophone et on n’a pas encore réussi à opérer de changement dans les mentalités.  » Pour Katrien et Joris Dubois, qui fréquentent Liège depuis l’adolescence, la situation a toutefois légèrement changé au gré des années :  » Aujourd’hui, si des commerçants nous entendent parler néerlandais, ils vont bredouiller quelques mots, mais pas plus.  »

si tous les Belges étaient bilingues, il n’y aurait pas de problèmes communautaires.

Un statu quo qui chagrine Joris :  » Je comprends ceux qui disent qu’on ne va pas loin en parlant le néerlandais, mais il faut tenir compte des réalités du marché… Et si tous les Belges étaient bilingues, il n’y aurait pas de problèmes communautaires « . Théorie qu’il applique à domicile avec son fils, Gustave, dont la maman est Liégeoise, et qu’ils élèvent dans les deux langues. Une approche à contre-courant de la tendance pointée par Christian Vandermotten, professeur en géographie économique à l’ULB, pour qui les jeunes Flamands sont moins à l’aise en français que par le passé. Mais si l’expert souligne un ralentissement de la mobilité entre les communautés linguistiques, notamment de la Flandre vers Bruxelles, celle des Flamands vers Liège semble avoir encore de beaux jours devant elle.

Joris et Katrien Dubois ont quitté la Flandre pour s'établir à Liège. Avec enthousiasme.
Joris et Katrien Dubois ont quitté la Flandre pour s’établir à Liège. Avec enthousiasme.© dr

Plus 50 % en vingt ans

En matière d’implantation plus durable, les chiffres de Belstat, l’office belge de statistique, révèlent également un engouement à la hausse, le nombre de Flamands qui se domicilient chaque année à Liège ayant augmenté de 50 % ces vingt dernières années, passant de 564 en 1997 à 846 en 2017 – auxquels il faut également ajouter 620 citoyens de nationalité néerlandaise. Soit environ 0,5 % de la population liégeoise. Une proportion qui augmente encore si on se penche sur la population étudiante, plus précisément celle de l’ULiège qui compte actuellement 279 étudiants flamands et 45 étudiants néerlandais dans ses rangs (1,41 % des 23 000 étudiants inscrits). Les facultés où ils sont le plus représentés ? HEC (48 étudiants), médecine (44) et médecine vétérinaire (36).

Du côté du personnel de l’université, ils sont 24 enseignants à avoir franchi la frontière néerlandaise et 143 à venir du nord du pays, parmi lesquels Liesbet Geris, professeur de biomécanique au sein du département Aérospatiale et mécanique. Originaire de Landen et diplômée de la KULeuven, elle se souvenait de la ville  » noire et sale  » où elle venait enfant acheter des vêtements avec ses grands-parents et se réjouit, depuis qu’elle y travaille, que Liège ait bien changé.  » Il y a une atmosphère positive, de ville vivante. Ça donne envie de la découvrir. Par contre, c’est très surprenant de constater la différence entre la fierté que ressentent les Liégeois pour leur ville et leur timidité lorsqu’il s’agit d’en faire la publicité. Ils sont fiers entre eux, mais pas à l’extérieur. Il m’a fallu des années pour comprendre ça.  »

Difficile à comprendre pour les Liégeois d’adoption : la manie de faire la bise à n’importe qui.

Chaleureux liégeois

Difficile à comprendre aussi pour les Liégeois d’adoption : la manie de faire la bise à n’importe qui.  » Mon premier jour à l’ULiège, je donnais cours à 9 heures et en arrivant, tous les étudiants se faisaient la bise, sourit Liesbet Geris. J’étais étonnée, et je me suis demandé s’ils allaient venir m’en faire une, mais aujourd’hui c’est devenu une habitude et je trouve ça chaleureux « . Et pour s’enraciner dans la Cité ardente, Joris Dubois, qui a remis la gérance du Mentin (devenue trop chronophage) pour se consacrer à d’autres aventures, a choisi de planter des vignes avec sa soeur Katrien. Objectif : dévoiler une première cuvée de bulles  » wallo-flamandes  » d’ici à quatre ans. Une perspective enivrante, qui pourrait bien faire tourner la tête vers Liège à encore plus de Flamands. Après tout, ainsi que Joris le souligne,  » c’est stupide de s’identifier en tant que Flamand, ou que Liégeois… On est tous Belges ! « .

Le Standard de Liège transcende les clivages communautaires et politiques.
Le Standard de Liège transcende les clivages communautaires et politiques.© Vincent Kalut/photo news

RSCL De Kampioenen

D’Yves Leterme (CD&V) à John Crombez (SP.A) en passant par Egbert Lachaert (Open VLD), on savait déjà que le Standard de Liège transcendait les clivages politiques et rassemblait au sud les politiciens du nord. Et ils sont loin d’être des cas isolés.

Au Standard, le douzième homme est certes rouge, mais il est aussi bilingue. Sur les 64 clubs de supporters que compte le Standard, douze sont établis en Flandre et ils représentent à eux seuls 26 % des supporters officiellement inscrits. Un chiffre qui ne tient pas compte des deux clubs bilingues de Zaventem et Tubize. Autre preuve de cette ouverture au multilinguisme : le président sortant (en place pendant dix-neuf ans) de la Famille des Rouches, l’asbl qui rassemble l’ensemble des clubs de supporters, Eddy Janssis, est lui aussi flamand.

Pour Quentin Gilbert, Supporter Liaison Officer au RSCL, si le football est par essence un vecteur d’unification, le Standard de Liège est le seul club belge qui attire autant de fans venus des quatre coins du pays, abonnés ou non. Une popularité qui s’explique, selon lui, par le caractère chaleureux des Liégeois et l’atmosphère familiale qui règne au sein du club :  » Ici, tout le monde se tutoie, boit des bières ensemble et se fait la bise. Ça fait partie de l’ambiance et je pense que les gens recherchent ça. Le Standard, c’est une grande famille. Même le président du club est avant tout un fan.  »

Au Standard, si on chante peu en néerlandais, à l’exception peut-être de l’un ou l’autre Waar is da feestje ? épisodique, il n’est pas rare que des supporters flamands entament des chants francophones. L’inverse n’est malheureusement pas toujours vrai de l’avis du club, qui regrette en particulier l’attitude peu sportive des supporters de Genk, d’où partent trop souvent des chants anti-Wallons. Un supporter pouvant en cacher un autre, il ne reste aux Rouches qu’à leur montrer. Waar is da feestje ? Dans le chaudron de Sclessin.

La disponibilité foncière en Wallonie contraste avec la saturation du territoire flamand.
La disponibilité foncière en Wallonie contraste avec la saturation du territoire flamand.© hatim kaghat

La Flandre, un voisin qui vous veut du bien

Deuxième investisseur extérieur après les Etats-Unis et premier créateur d’emplois en Wallonie, la Flandre joue un rôle économique de premier plan dans le sud du pays. Loin de pouvoir se résumer aux coups d’éclats d’un Marc Coucke, son implication économique aux côtés de la Wallonie s’inscrit dans une stratégie de croissance structurelle et organique.

Selon les données de l’Awex (Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers), entre 2000 et 2017, la Wallonie doit ainsi aux investisseurs flamands la création de 6 877 emplois directs, pour un total de 1,96 milliard d’euros investis. C’est mieux que les Etats-Unis (5 331 emplois directs) ou la France (4 793). Aéronautique, agroalimentaire ou biotech, les investissements concernés sont aussi nombreux que diversifiés. Et Liège n’échappe pas à la règle. Après le Hainaut, la province liégeoise est la deuxième en Région wallonne qui compte le plus d’entreprises avec au moins un actionnaire flamand, soit 25,3 % d’entre elles pour 7,6 % de l’emploi dans la province (Source : SPI).

Comme l’explique Pierre Castelain de la SPI, l’agence de développement économique pour la province de Liège, de nombreux investisseurs flamands sont attirés par la situation géographique et la disponibilité foncière en Wallonie, qui contrastent avec la saturation du territoire flamand.  » Il s’agit soit d’entreprises qui ne trouvent plus de place en Flandre, soit qui désirent avoir une base en territoire francophone pour mieux capter les clients.  » La proximité de Liège et le redéploiement de la ville achèvent de les convaincre. En témoignent l’installation récente de la société Futurn dans les Hauts Sarts, le déménagement de l’entreprise trudonnaire de call center Call Excell vers le nouveau site du Val Benoit ou encore le groupe anversois Life, qui a investi pour la construction de 240 logements étudiants sur ce même site.

Selon l’Awex, l’expansion de la Flandre passe naturellement par la Wallonie, car la Flandre est géographiquement, mais surtout culturellement proche de cette dernière. Les Flamands connaissent bien l’environnement institutionnel et économique wallon, ce qui est moins le cas de nos voisins directs. Aux Pays-Bas, par exemple, la situation est très peu comparable. Les Néerlandais connaissent mal la région, regardent généralement plus loin que leurs voisins limitrophes et n’investissent en Wallonie que ponctuellement, au gré des opportunités qui se présentent, comme ce fut le cas lors du déménagement de TNT (aujourd’hui FedEx) de Cologne vers Bierset.

Et si, en Belgique, l’union économique fait aussi la force, la devise semble avant tout vraie pour le nord du pays. Lorsqu’ils quittent leurs terres, les Wallons, eux, privilégient davantage la France que la Flandre.

Installée boulevard d'Avroy, la galerie de Yoko Uhoda ouvre ses portes aux artistes contemporains du monde entier.
Installée boulevard d’Avroy, la galerie de Yoko Uhoda ouvre ses portes aux artistes contemporains du monde entier.© Antoine Denis

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