Les Compagnons de la terre espèrent pouvoir assurer, d'ici à 2020, 70 % des besoins alimentaires d'un millier de familles liégeoises. © Compagnons de la terre

Liège : demain, l’autonomie alimentaire

Julie Luong

La dynamique de la Ceinture aliment-terre liégeoise (CATL) a fait naître une constellation de coopératives actives dans le secteur de la transition agricole et alimentaire. Avec des objectifs à très long terme.

L’agriculture est le secteur où la Belgique a perdu le plus d’emplois : 110 000 depuis 1980. La spéculation foncière – le prix des terres a triplé en vingt ans -, la raréfaction des fermes au profit d’entreprises de travaux agricoles et la capitalisation croissante du secteur ont aussi entraîné une  » perte des savoirs et des savoir-faire « , rappelle Christian Jonet, aux commandes de la Ceinture aliment-terre liégeoise (CATL), qui réunit différents acteurs du circuit court actifs dans la région de Liège.  » Recréer une dynamique positive prend du temps. Nous nous sommes dès le départ fixé un horizon de très long terme, soit 2040 ou 2045 mais, si tout va bien, d’ici là, nous aurons déjà bien avancé.  »

Production et distribution

Christian Jonet, coordinateur de la Ceinture aliment-terre liégeoise.
Christian Jonet, coordinateur de la Ceinture aliment-terre liégeoise.© coralie cardon

La CATL travaille sur différents modèles innovants à plusieurs endroits de la chaîne. Côté production, un modèle agricole original baptisé Les Compagnons de la terre (CDLT), coopérative à finalité sociale, a été développé sur la base d’une recherche menée avec le Greova (Groupement régional économique Ourthe-Vesdre-Amblève). Installés sur le Domaine des Cortils, à Mortier, dans la commune de Blegny, Les Compagnons de la terre ont investi quelque 30 hectares. Et espèrent pouvoir assurer, d’ici à 2020, 70 % des besoins alimentaires d’un millier de familles liégeoises.

 » 2016 a été pour nous l’année de tous les apprentissages. Elle a aussi été difficile au niveau climatique et nous n’avons donc pas été aussi rentables que nous l’aurions voulu. Donc, ce sera peut-être pour 2021 « , déclare, confiant, Christian Jonet.  » Nous avons commencé par le maraîchage, dont on sait que c’est une activité très peu rémunératrice, mais nous élargirons bientôt la palette des activités, notamment avec six hectares de blé bio qui nous permettront de faire du pain. Nous avons aussi planté 350 variétés anciennes ou locales d’arbres fruitiers. Fin de l’année ou début de l’année prochaine, nous commencerons l’élevage. Nous allons aussi produire des fromages et de la charcuterie, sachant que ce sont ces produits transformés qui présentent le plus de valeur ajoutée.  »

Côté distribution, le projet pilote des Petits producteurs, un magasin  » logique  » avant d’être  » biologique « , a conquis les Liégeois en seulement quelques mois.  » Nous avons voulu créer un nouveau mode de distribution qui permette de rémunérer correctement les producteurs – avec qui nous ne négocions jamais les prix – tout en proposant des produits pas chers pour le consommateur. Pour cela, nous avons travaillé sur les coûts de distribution, d’abord en réduisant la gamme à 200 produits contre 4 000 ou 5 000 dans une grande épicerie bio, ce qui est beaucoup plus léger en matière de logistique et de gestion administrative, mais aussi en proposant de nombreux produits en vrac et en aménageant le lieu de manière chaleureuse mais sommaire, pour que ça ne se répercute pas sur les prix « , explique Christian Jonet. Un coup de sonde a permis aux Petits producteurs de constater que 20 % de leurs clients ne consommaient pas bio ou local avant de venir chez eux. Preuve qu’il est possible de conquérir une nouvelle clientèle et, à terme, d’élargir le modèle.

Installés à Mortier, les Compagnons de la terre occupent 30 hectares et quelque 500 coopérateurs.
Installés à Mortier, les Compagnons de la terre occupent 30 hectares et quelque 500 coopérateurs.© compagnons de la terre

Agriculture urbaine

A ce jour, la dynamique de la Ceinture aliment-terre liégeoise a déjà donné lieu à une quinzaine de projets en province de Liège. Structurés en coopératives à finalité sociale, ils ont de ce fait embarqué nombre de citoyens dans l’aventure. Vin de Liège compte quelque 1 200 coopérateurs, Les Compagnons de la terre 500, La Brasserie coopérative liégeoise 200. Mais si le Liégeois s’affirme comme un épargnant écoresponsable, le changement de cap se marque aussi au niveau politique.  » La connexion aux structures institutionnelles est en train de se marquer au niveau local et régional. Nous sentons une vraie volonté de soutenir ces nouveaux modèles agricoles et ces filières courtes « , se réjouit Christian Jonet.

L’Agence pour l’entreprise et l’innovation (AEI) a ainsi décidé de soutenir six initiatives wallonnes inspirées du modèle de la CATL, tandis qu’à l’initiative de la conférence d’arrondissement des bourgmestres et du collège provincial de Liège (Liège Métropole asbl), le schéma de développement territorial pluricommunal des 24 communes de l’agglomération prévoit de privilégier la filière courte. La Ville, elle, s’est engagée avec  » Réinventons Liège  » à soutenir l’agriculture de proximité.  » Elle détient plusieurs hectares de terres agricoles, qui se trouvent notamment en Burenville ou à Sainte-Walburge. Le projet est de les mettre à disposition de jeunes porteurs de projet pour recréer une agriculture urbaine sur le territoire même de la Cité ardente, ce qui est tout à fait nouveau. Cela devrait permettre de réaliser la connexion entre l’agriculture traditionnelle et ceux qui n’en sont pas issus, comme nous le préconisons depuis longtemps « , analyse Christian Jonet.

L’obstination du monde associatif liégeois serait-elle en train de porter ses fruits ?  » Il me semble que c’est une tendance lourde. Avant, ces projets étaient prônés par les outsiders. Aujourd’hui, et notamment au vu des affaires récentes, les partis de gouvernement ressentent le besoin de se rapprocher du citoyen en soutenant un nouveau modèle économique de proximité, coopératif, écologique. Cela se marque particulièrement à Liège.  »

Le nouveau projet de ville entend par ailleurs promouvoir les cantines bio et locales.  » La cuisine de collectivité est un enjeu majeur mais difficile. Cela exigerait d’augmenter la production, de travailler sur la logistique puisque les cantines demandent aujourd’hui des produits déjà préépluchés et prédécoupés que les petits producteurs ne peuvent pas fournir, mais aussi d’adapter les marchés publics « , relève encore Christian Jonet. Car sans l’introduction de clauses écologiques ou sociales, les producteurs locaux ne pourront pas rivaliser avec des géants plus lointains au niveau des prix. Un choix politique à poser si l’on veut qu’en 2030, les petits Liégeois mangent les fruits du verger d’à côté.

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