Olivier Bierin

Liège : crier à la citadelle assiégée est un écran de fumée

Olivier Bierin Chercheur-associé chez etopia

Les communes et a fortiori les grandes villes sont appauvries par les politiques menées ces dernières années au niveau fédéral et régional, c’est un fait.

Pour Liège, s’ajoutent le sous-localisme et la surreprésentation de députés et ministres ruraux au Parlement et au Gouvernement[1] wallons qui empêchent de développer une véritable politique des Grandes Villes, et ne permettent pas de prendre en compte les opportunités et les charges auxquelles notre Ville fait face en tant que métropole.

Sur base de ce constat qu’on peut partager, des responsables politiques locaux, en particulier Willy Demeyer et Christine Defraigne, nous jouent une mauvaise pièce de théâtre, sur fond de scandale Publifin-Nethys. En effet, ils tentent de démontrer un lien hasardeux entre un manque général de considération et de soutien à Liège, et un complot qui viserait à spolier les Liégeois de leur gestionnaire de réseau de distribution, Resa, via une absorption par ORES.

A ce sujet, rappelons les faits : Resa est le principal gestionnaire de réseau de la Province de Liège, tandis que le reste de la Wallonie est majoritairement couvert par ORES. Dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur Publifin, les parlementaires sont arrivés à la conclusion qu’un des éléments problématiques du montage « Publifin-Nethys » était d’avoir noyé Resa dans Nethys, sous plusieurs couches de filiales, soustrayant ainsi le gestionnaire de réseau au contrôle direct des communes de la région liégeoise. Le rapport de la commission préconisait donc de faire remonter les actifs de Resa sous le contrôle direct de Publifin, afin de permettre aux citoyens et à leurs représentants communaux d’avoir un véritable accès à l’information, et une prise sur les décisions. L’enjeu était également de permettre aux consommateurs captifs, la gestion d’un réseau centralisé étant par définition un monopole, d’avoir une information claire sur l’utilisation par les communes des dividendes, les bénéfices, tirés de leur facture d’électricité. Depuis lors, un décret allant dans ce sens a été élaboré par le gouvernement wallon.

Dans le rapport de la commission d’enquête, il n’était en aucun cas question de prôner une fusion de Resa et d’ORES, ni d’empêcher l’initiative industrielle publique. Les communes restent libres d’investir ces dividendes comme elles le souhaitent. Il est tout à fait pertinent d’orienter le développement économique et de soutenir l’emploi en région liégeoise via un outil public fort, mais, s’agissant d’un outil public, cela doit se faire dans la transparence et le respect de l’éthique. Les communes peuvent aussi décider d’utiliser une partie de ces dividendes pour investir dans l’avenir des réseaux (décentralisés, intelligents…) et réduire la facture du citoyen. La seule exigence du parlement wallon est de placer Resa sous le contrôle direct de Publifin (comme filiale) ou des communes. Il suggère d’étudier la revente des activités problématiques (certaines filiales à l’étranger en particulier), très minoritaires, et la possibilité de confier certaines activités à une société régionale, si cela a un intérêt. Pas question donc de « dépeçage ».

Dès lors, d’où vient cette polémique ? Elle vient des fédérations liégeoises PS, MR et cdH elles-mêmes, qui ont mis cette option de fusion ORES-Resa sur la table, parmi d’autres, au CA de Finanpart (la filiale intermédiaire entre Publifin et Nethys). Le ministre MR de l’Énergie, Jean-Luc Crucke, en a profité pour exprimer son souhait d’aller dans cette direction, tout en affirmant qu’il s’agissait d’une prérogative des actionnaires, et en confirmant qu’il s’agissait d’un simple souhait, et que rien dans les décrets écrits ou en projet au sein de son cabinet n’allait dans cette direction. Là-dessus, PS et MR liégeois rebondissent, en hurlant à l’atteinte aux intérêts des Liégeois, intérêts qui n’ont jamais été menacés[2]. On allume donc un feu d’un côté, ce qui crée un écran de fumée quelques jours plus tard, afin de tenter de faire oublier d’autres débats, bien plus réels et problématiques.

Quels sont-ils ? Et bien on peut constater qu’un an et deux mois après le scandale, les vrais responsables sont toujours en place. Le management de Publifin-Nethys n’a pas bougé. Pire, il voit ses pouvoirs augmenter : Stéphane Moreau obtient de nouveaux mandats dans plusieurs filiales, et en particulier au sein des Editions de l’Avenir (éditeur du journal du même nom), où des polémiques récentes pose question en termes d’indépendance des médias et de pluralisme de la presse. Les activités identifiées comme problématiques, la presse du sud de la France et la filiale énergétique au Congo sont toujours en possession du groupe, et le management envisage même d’y investir de façon conséquente. On apprenait dans l’Echo du 2 mars qu’une « trêve avait été trouvée avec Bernard Tapie », mettant en suspens la montée en puissance de Nethys dans la Provence (pour plusieurs dizaines de millions d’euros!), ce qui laisse heureusement un an de répit pour éviter ça. En novembre 2017, Nethys, loin d’évoquer une revente de la filiale congolaise EBI, dans laquelle Stéphane Moreau et ses acolytes ont également investi à titre personnel en total conflit d’intérêts, envisageait au contraire de devenir « l’Electrabel des Grands Lacs » ! Ajoutons à cela que dans l’état actuel des choses, Resa est toujours noyée dans Nethys, et Finanpart (qui ne sert à rien à part à ajouter un niveau d’opacité et d’éloignement des communes) existe toujours.

Le MR liégeois, loin de dénoncer ces agissements, prend fait et cause pour Publifin-Nethys, sa cheffe de file, Christine Defraigne, affirmant même sur Twitter que « le sort de Stéphane Moreau n’est pas ma priorité, ça m’est même assez indifférent ». L’écartement du management fautif est pourtant une exigence du parlement wallon, votée à l’unanimité, et une condition pour reprendre en main le groupe, le gérer de façon sereine et en bon père de famille.

Ne nous laissons pas aveugler. Le scénario qui s’écrit sous nos yeux est celui d’une grande coalition liégeoise MR-PS à la Province et à la Ville. Et du maintien en place de Stéphane Moreau et des autres responsables du scandale. Il ne tient qu’aux citoyens d’en écrire un autre en allant voter le 14 octobre.

[1] Un exemple donné par Willy Demeyer au conseil communal du 26 février, qui peut paraître anecdotique, mais qui est assez représentatif, concerne les subsides pour la stérilisation des chats : toutes les communes de Wallonie ont reçu le même montant de la part du ministre Di Antonio, peu importe leur taille. Un exemple plus structurel est celui de Wallonie Cyclable : saupoudrage auprès de 60 communes, plutôt qu’un plan cohérent et intégré pour les grandes villes, là où la demande est forte, et où se posent les problèmes de congestion et de qualité de l’air.

[2] Citons également l’affirmation selon laquelle « sortir Resa de Nethys va faire perdre 20 millions à Liège ». C’est évidemment un non-sens. Même s’il y a un changement de modèle, les actions garderont la même valeur. Hypothétiquement, elle diminuera ou augmentera peu ou prou en fonction des choix qui seront opérés, mais il ne s’agira pas d’une perte sèche.

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