Thierry Denoël

Libération de Michel Lelièvre: la bonne décision, malgré tout

Thierry Denoël Journaliste au Vif

La libération conditionnelle accordée à l’acolyte de Marc Dutroux ravive des plaies qui restent béantes dans le coeur des Belges. Le tribunal d’application des peines semble pourtant avoir pris la bonne décision. Mais que fera-t-il maintenant de Dutroux?

Il ne lui restait que deux ans à purger. Deux ans sur vingt-cinq, soit la peine de prison à laquelle il avait été condamné pour avoir aidé Marc Dutroux à enlever Sabine, Laetitia, An et Eefje (la justice n’a pas reconnu sa responsabilité dans l’enlèvement de Julie et Mélissa). A quoi bon alors le libérer maintenant, si ce n’est pour ranimer la douleur des familles des victimes ? Pourquoi n’a-t-on pas laissé aller à fond de peine ce « petit psychopathe » héroïnomane qui a assisté, de manière si servile, le « monstre » de Marcinelle dans sa sale besogne ?

Sept ans après la libération de Michèle Martin, cela laisse un goût amer chez tous les Belges qui ont suivi, en direct, les événements innommables de 1996 et qui craignent maintenant que Dutroux lui-même obtienne sa libération conditionnelle. Pourtant, laisser Lelièvre quitter la prison d’Ittre avant qu’il n’arrive à fond de peine est, a priori, la bonne décision.

D’abord de manière pragmatique, cela permet de lui imposer des conditions qui permettront de contrôler, pendant deux années, sa réinsertion dans la vie civile, notamment en lui interdisant de s’installer ou de prendre le train à proximité – soit dans les quartiers ou les provinces – où habitent et travaillent les victimes et les familles de victimes de Dutroux. S’il avait purgé l’entièreté de sa peine, il aurait payé son dû à la société et ne se serait vu imposer aucune condition, ni obligation d’entreprendre une formation ou un travail, ni suivi psychologique, ni indemnisation des victimes…

23 ans, ce n’est pas rien

Ensuite, sur le plan des principes : la libération conditionnelle permet au détenu de terminer sa peine à l’extérieur de la prison en devant respecter une série de conditions strictes, au risque d’être réincarcéré si ce n’est pas le cas. Un condamné à une détention de plus de trois ans et de moins de trente ans peut introduire une demande de libération lorsqu’il a atteint le tiers de sa peine. Ce qui ne veut pas dire que le tribunal d’application des peines (TAP) la lui accorde automatiquement. Au contraire, un refus est plutôt la norme, souvent à plusieurs reprises. Lelièvre aura purgé 23 ans, soit les neuf dixièmes de sa peine, avant de voir le tribunal lui donner une réponse positive. Ce n’est pas rien, même si son crime reste odieux.

Le TAP, dont la responsabilité est lourde, n’aura guère pris de risque, même si le parquet a émis un avis négatif. C’est à espérer, en tout cas. Son juge professionnel et ses deux assesseurs, dont l’un doit être spécialisé en réinsertion sociale, ont du réunir toutes les garanties requises, a fortiori pour un condamné aussi stigmatisé que Lelièvre. Ce dernier a bénéficié, depuis 2013, de plusieurs sorties en vue justement de sa réinsertion. Tout octroi de libération est un pari sur l’avenir. Ici, deux ans avant le terme de la peine, l’enjeu pour Lelièvre, âgé aujourd’hui de 48 ans, semble moins aventureux que de le laisser totalement libre dans deux ans. Il va bénéficier, ici, d’une liberté surveillée.

Un cas n’est pas l’autre

Désormais, la question brûle les lèvres. Après Martin et Lelièvre, est-ce au tour de Dutroux lui-même d’obtenir une libération conditionnelle. On sait que l’avocat Bruno Dayez, qui le représente, en a fait une question de principe, car justement, pour lui, « le principe général de justice ne peut tenir s’il faut y admettre quelques exceptions ». Cela dit, un cas n’est pas l’autre. Marc Dutroux a été condamné à la perpétuité (ce qui équivaut dans les faits à trente ans de prison), avec mise à disposition du TAP qui peut décider un complément de peine jusqu’à 15 ans au terme de la peine principale si le condamné est jugé dangereux au point de « faire courir un risque important à la société ».

La demande de libération conditionnelle doit, ici, être examinée par un tribunal à cinq magistrats qui doivent se prononcer à l’unanimité. Mi-octobre prochain, le TAP se penchera une nouvelle fois sur le cas Dutroux. Ce dernier, récidiviste, a peu de chance de voir sa demande aboutir, pour le moment. Le tribunal aura de bons arguments pour refuser. Mais pourra-t-il le faire éternellement ? La loi est la même pour tous les détenus. A moins que le gouvernement ne l’adapte encore au cas Dutroux, comme ce fut le cas après la libération de Martin. Avec des conséquences pour tous les condamnés à des peines aussi lourdes que celle du tueur de Marcinelle. Ce qui rendra l’enfer carcéral encore plus infernal.

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