Carte blanche

« Lettre polaire à l’enfant qui vient »

Salut petit bout,

Ce matin j’ai appris que tu as participé à ta première marche pour le climat. Avant même ta naissance, tu bats déjà joyeusement des pieds dans le ventre de ta maman, au rythme des tambours et des slogans écologistes bruxellois. Waw ! Respect.

Salut petit bout,

Ce matin j’ai appris que tu as participé à ta première marche pour le climat. Avant même ta naissance, tu bats déjà joyeusement des pieds dans le ventre de ta maman, au rythme des tambours et des slogans écologistes bruxellois. Waw ! Respect. Ici aussi en Antarctique, biologistes, géologues et glaciologues marchent pour le climat… le tête en-bas, Pôle Sud oblige ! Leurs recherches scientifiques devraient permettre de mieux comprendre les changements à venir. Glaces ancestrales, pierres millénaires, oiseaux polaires et micro-organismes leur révèlent d’incroyables histoires. Et comme « récolter des histoires », c’est mon job, je me sens en bonne compagnie avec eux.

Je t’écris assis sur un rocher de la moraine d’Utsteinen. Sur ma gauche, une cascade de neige scintille de mille éclats blancs et bleus. Face à moi, à perte de vue : l’étendue glacée. J’ai posé mon thermos de café entre deux gros cailloux, j’ai remonté mon cache-nez. Sur mon promontoire de granite rose, me voici installé à la terrasse du monde…

A la terrasse du monde, tu entends le vent souffler à travers ton bonnet.

A la terrasse du monde, il n’y a pas d’odeur, tu ne sens rien, tu te sens bien.

A la terrasse du monde, le prochain buveur de café doit être assis sur la côte Ouest, à 4000 km sur ta droite.

A la terrasse du monde, pas de bruit de voiture, pas de mégots de clope sous tes pieds, pas de téléphone portable, pas de serveur désagréable ni d’agréables serveuses, pas de journal sur la table, pas d’infos ni de ragots, pas de soir (il fait toujours jour en été), pas de dernière heure, pas de vif, pas de monde, pas de libération, pas d’humanité. Pas d’humanité.

A la terrasse du monde, tu ne te dépêches pas de finir ton café, de filer nourrir tes gosses, de retourner au boulot, d’aller soigner ta mère, tu ne te dépêches pas, sauf quand les nuages menacent.

A la terrasse du monde, pas de montre, pas de pluie, pas de déchets, mais des « horloges cosmiques », des « déluges de météorites » et des « poussières d’étoile » que les scientifiques étudient avec passion.

A la terrasse du monde, on n’oublie pas l’amour mais on pense d’abord à l’océan, ce qui revient au même.

A la terrasse du monde, je bois à ta santé, à la lueur des neiges, au miroir des glaces bleues, au souvenir des pierres, au vent qui siffle, au skua qui rapace et qui repasse encore, à ta maman, aux hommes et aux femmes de l’impossible voyage, au silence des rages, au repos des colères, au chien mort dans la neige, à l’enfant qui dort, au ventre de la Terre, aux enfants qui protestent, à l’harmonie sans âge.

Saurons-nous capables de garder cette terrasse intacte ? Je te souhaite de pouvoir toi aussi, un jour, t’y asseoir. De goûter au froid qui éveille les sens, à la solitude et au silence .

A 16 000 km de toi, je t’embrasse.

Ton (futur) papa.

© Quiten Wanhellemont.

Un comédien belge en Antarctique…

Emmanuel De Candido est comédien, auteur et metteur en scène. Il fonde en 2012 la Compagnie MAPS, collectif de création théâtrale résolument porté sur les questions de société et les nouvelles écritures. Depuis 2017, il entame des recherches documentaires sur les traces de son père, avec qui il n’a pas grandi. Celui-ci fut tour à tour officier de l’armée de l’air, chef d’expédition en Antarctique (1959-1960), pilote en République Démocratique du Congo puis en Libye, avant d’exercer la psychothérapie en Belgique durant vingt ans.

Après deux voyages de recherche au Congo en 2016 et 2017, Emmanuel De Candido rédige une première pièce, « La Ronde Flamboyante » (texte lauréat de la Fondation Beaumarchais-SACD et de la Promotion de Lettres de la Communauté Française). Il entre ensuite en contact avec l’International Polar Foundation, présidé par Alain Hubert, pour effectuer durant un mois une résidence d’observation à la Station Princess Elisabeth Antarctica, et accompagner les scientifiques sur le terrain.

Parti en Antarctique le 18 janvier 2019 depuis Cape Town (Afrique du Sud), il devrait être de retour à Bruxelles dès le 16 février. Son projet théâtral, provisoirement intitulé « Tu seras un homme, mon fils », reçoit le soutien de la Chaufferie Acte-1 et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’objectif des ses recherches, au-delà des considérations intimes, est de décrypter les enjeux politiques, sociaux et écologiques propres à chaque région explorée, afin de créer un spectacle original sur base de ces matières documentaires.

Cette saison, on retrouvera Emmanuel De Candido au Festival de Liège (21 et 22 février 2019) et à l’Atelier 210 (du 13 au 23 mars 2019) dans sa nouvelle création « Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? (tragédie sentimentale d’un lanceur d’alerte) ».

Par Emmanuel De Candido, d’Usteinen, en Antarctique.

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