Claude Demelenne

Lettre aux capitalistes rouges qui creusent la tombe du PS

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

L’affaire Publifin-Nethys braque les projecteurs sur une tendance florissante du PS liégeois : les capitalistes rouges. Emmenés par le trio Stéphane Moreau – André Gilles – Alain Mathot, les camarades capitalistes ont inventé une forme originale de socialisme. Sans tabou, ce socialisme adresse au peuple un vigoureux bras d’honneur. Salauds de pauvres !

Votre petite entreprise ne connaît pas la crise. Vous êtes les nouveaux riches du PS. La preuve que socialisme et esprit d’entreprise sont tout sauf incompatibles. L’ascenseur social est en panne ? Tout est relatif. Le vôtre fonctionne comme aux plus beaux jours des Trente Glorieuses. L’un d’entre vous gagne annuellement, paraît-il, près d’un million d’euros. Le socialisme liégeois, un vrai jackpot.

Vous êtes, chers camarades, un exemple – un phare ! – pour notre jeunesse. La preuve qu’avec un peu de cervelle et beaucoup d’audace, on peut chanter l’Internationale au meeting du 1er mai et gagner dix fois, cent fois plus même, qu’un chômeur. Que celui qui n’a jamais rêvé de mettre ses talents au service de la collectivité – cela mérite salaire ! – vous jette la première pierre.

Vous êtes fascinés par le fric. Les envieux prétendent que vous entretenez un rapport maladif avec l’argent. Assez de misérabilisme! Les patrons d’intercommunales devraient-ils s’habiller en training parce qu’ils sont socialistes ? Les représentants du peuple ont le droit de porter les plus beaux costumes. De fréquenter les meilleurs restaurants. Et aussi, à l’instar du camarade Mathot, d’arpenter les casinos les plus huppés. Le capitalisme rouge se porte bien, nulle raison de raser les murs. Au contraire, camarades, soyons fiers de la réussite – et accessoirement de la feuille de paie – de nos meilleurs éléments.

Vous êtes tombés dans la potion magique lorsque vous avez adhéré au parti socialiste. Un excellent choix de carrière. Ce parti dominant truste, à Liège, les juteux portefeuilles. Il cultive l’entre-soi : un très petit nombre de camarades se répartissent les postes-clés. En toute opacité, mais qui en douterait, toujours pour défendre la veuve et l’orphelin. Certes, il vous arrive de tripatouiller les règles de l’éthique et de la bonne gouvernance. Où diable est le problème ? Pourquoi laisserions-nous aux managers du privé le monopole des ruses et des ficelles – moralement abracadabrantesques, mais souvent légales – pour gagner plus en payant moins d’impôts ?

D ‘aucun n’assimile vos agissements dans le dossier Publifin-Nethys, à l’affaire dite de la Carolo. Ceux-là ont tout faux. Vous êtes les Lionel Messi, les Ronaldo des intercommunales. Vous ne jouez pas dans la même division que les pieds nickelés de la Carolo .Des gagne-petits, monnayant l’installation d’une chaudière ou un repas bien arrosé contre de menus services entre camarades. Vous, c’est bien autre chose. Vous êtes les virtuoses du montage financier, les surdoués de l’ingénierie fiscale. De sacrés artistes !

Vous faites preuve, en toutes circonstances, d’un remarquable culot. Assurément, c’est la marque des plus grands. L’un de vos principaux traits de génie consiste à vous revendiquer de l’héritage d’André Cools. A vous entendre, vous inscririez vos pas dans ceux de feu le Maître de Flémalle. Celui-ci ambitionnait de jeter les bases, en région liégeoise, d’un capitalisme public, capable de suppléer aux manquements du capitalisme privé. Vous, les fils spirituels de Cools ? Bien joué ! Le camarade André doit se retourner dans sa tombe. Car Cools était tout sauf un homme d’argent. Le capitalisme public dont il rêvait n’était pas le duplicata du capitalisme privé, et de ses écarts himalayesques de rémunérations, que vous reproduisez sans état d’âme chez Publifin-Nethys. Cools détestait la gauche bling-bling. Sûr qu’il aurait piqué une de ces colères dont il avait le secret, face à votre pétaradant socialisme. Et au mépris du peuple, votre marque de fabrique.

Le mépris du peuple, nous y voilà.Indiscipliné, gouailleur, excessif, parfois, le socialisme liégeois nous avait habitué à tout, sauf à cela. Salauds de pauvres ! Tel est le message que vous envoyez au « petit peuple » au bord de la crise de nerf quand il découvre votre éthique approximative. Un message calamiteux pour un PS en double crise : éthique, comme en témoigne la succession des « affaires », mais aussi idéologique, à l’instar de l’ensemble des partis socialistes ou sociaux-démocrates européens.

Lorsque certains mandataires socialistes font joujou avec l’argent fou et « oublient » leurs promesses de lutte contre les inégalités et la fraude fiscale, ils creusent la tombe du PS. Longtemps classé « très à gauche », le PS liégeois est aujourd’hui, paradoxalement, le plus ancré dans un capitalisme rouge à hauts risques. Le sursaut doit venir de Liège. Willy Demeyer, l’inamovible bourgmestre- président du PS liégeois – pas un affairiste – doit donner un coup de pied dans la fourmilière. Il y a urgence, pour renouer avec le peuple méprisé. Camarades, ouvrez les yeux : le capitalisme rouge principautaire n’est pas plus sympathique que le capitalisme de la droite.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire