Carte blanche

Lette ouverte à Elio Di Rupo: Leur écosocialisme et le nôtre (*)

 » L’écosocialisme, c’est la défense des initiatives locales de transition qui fleurissent un peu partout. Cela signifie une conception très différente du rapport au secteur associatif et coopératif. « 

Cher camarade Elio,

A l’occasion de la sortie de ton livre, tu as annoncé que le PS entendait se réclamer désormais de l’écosocialisme. Dans la mesure où ce courant de pensée est celui qui fonde notre mouvement politique, nous sommes bien évidemment interpellés par cette déclaration.

Mais nous sommes également interpellés par le fait que dans le même temps, tu annonces que le PS doit désormais renoncer à la Charte de Quaregnon et au concept de « lutte des classes » qui s’y trouve. Les classes ont assurément évolué en plus d’un siècle, leur définition est parfois plus complexe aujourd’hui, mais la lutte des classes existe toujours. Elle a simplement changé de visage. La nier est une faillite intellectuelle grave. La lutte des classes, nous la vivons quotidiennement, dans notre corps et dans notre âme. En prenant le train chaque matin, en deuxième classe, pour aller travailler. Lorsque nous conduisons nos enfants dans des écoles de quartier délabrées alors qu’existent des écoles privées luxueuses. Lorsque notre entreprise est rentable mais que l’on nous demande « des efforts de compétitivité » alors que nous croulons déjà sous le travail. Lorsque nous comparons notre salaire aux revenus des grands patrons … et de certains élus. La lutte des classes, seuls les élus (socialistes) « parvenus » ne la voient plus.

Nous nous demandons dès lors à quelle rupture la conversion du PS à l’écosocialisme peut bien correspondre. L’écosocialisme qui est un projet politique nouveau, est fondamentalement anti-productiviste. Il consiste à (re)mettre l’économie au service d’un projet de société qui respecte l’Homme et la nature, et dès lors à mettre fin au capitalisme qui détruit aujourd’hui l’un et l’autre.

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En premier lieu, cela implique donc le fait de renoncer à la mondialisation capitaliste qui place les travailleurs en concurrence à l’échelle planétaire, compressant les salaires et générant des délocalisations à l’impact environnemental majeur (des marchandises étant transportées à travers la planète). Pour stopper cette mondialisation, il convient de s’opposer à tous les traités de libre-échange qui nous l’imposent et empêchent de mettre en place des politiques progressistes et respectueuses de la planète. Le PS qui a soutenu sans discontinuer ces traités, compte-t-il désormais s’y opposer avec nous ? Quelle attitude compte-t-il adopter désormais face aux traités européens (comme celui de Lisbonne) qui sont nourris de la même logique ultra-libérale.

En second lieu, cela nécessite de rompre avec la logique productiviste qui fait de la croissance de l’activité économique (et non d’une plus juste répartition de ce qui existe), la panacée du progrès social. Etre anti-productiviste de façon conséquente a des implications majeures. Il s’agit, par exemple, de laisser 80% des ressources fossiles dans le sol pour éviter un réchauffement climatique de plus de deux degrés. C’est un défi colossal autant qu’urgent. Cela implique d’une part de prendre le contrôle de ces ressources (qui sont un bien commun) et des firmes qui les exploitent (qui devraient être publiques), mais aussi de baisser massivement leur consommation (ce qui est faisable plus facilement à l’échelle d’une Région). On peut se gausser d’économie circulaire mais développer massivement les aéroports régionaux (Bierset et Charleroi), construire de nouvelles autoroutes (comme le tronçon Cerexhe-Heuseux-Beaufays), ou désinvestir dans le rail et les transports en commun, c’est construire une politique de court-terme basée sur les énergies fossiles et c’est l’antithèse de l’écosocialisme. Le PS va-t-il changer radicalement sur ces points ?

Enfin, l’écosocialisme, c’est la défense des initiatives locales de transition qui fleurissent un peu partout. Cela signifie une conception très différente du rapport au secteur associatif et coopératif. Cela signifie des pouvoirs publics qui interviennent en soutien d’initiatives citoyennes décentralisées, qui valorisent massivement le concept de commun, qui généralisent la présence de comités citoyens dans les organes publics, qui impulsent de larges budgets participatifs, etc. Ceci constitue une conception très éloignée de celle de la grande majorité des élus (socialistes ou non) qui aujourd’hui se montrent sourds sinon rétifs aux initiatives citoyennes (comme à Bruxelles, à Liège, à Namur, à Louvain-la-Neuve)

Ces quelques exemples pour te dire, cher camarade, que tout en étant attachés à une large unité de la gauche (dans toute sa diversité) dans un contexte très favorable aux forces réactionnaires, nous nous demandons où seront les ruptures du PS, lui qui au nom du plein-emploi s’inscrit totalement depuis des années dans la course à la croissance et le soutien inconditionnel aux industries, sans réflexion aucune sur leur impact environnemental et social, sans vision de plus long terme.

Voilà de véritables questions qui vont au-delà de l’adoption marketing d’un concept qu’à défaut de traduire en actes concrets l’on risque de s’empresser de démonétiser.

Pour le Mouvement Demain,

Marie-Françoise Lecomte et Pierre Eyben, porte-parole

(*) Ce titre est une référence au texte célèbre du penseur André Gorz « Leur écologie et la nôtre » qui dès 1974 mettait en lumière les impasses du capitalisme vert et la façon dont l’écologie politique était dénaturée par certains.

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