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Les syndicats ont-ils perdu la bataille de l’opinion publique ?

Les citoyens semblent partagés sur le principe de la grève générale. « Il n’y a rien de honteux à mener un combat minoritaire, si la cause est juste », soutient Dominique Cabiaux (CSC-Services publics). Pour Nico Cué (FGTB-métal), « la grève est une réussite complète, au-delà des espérances ».

Laurette Onkelinx, Olivier Chastel, Joëlle Milquet, Bruno Tobback, John Crombez, Alexander De Croo… Tout au long de la semaine passée, ministres et présidents de parti sont montés en ligne. D’une interview à l’autre, la tonalité changeait. Mais le fond du message restait identique : les mesures d’austérité décidées par le gouvernement sont indispensables, les syndicats ont tort de s’y opposer.

La manoeuvre a plutôt fonctionné, semble-t-il. Les sondages express publiés ici et là laissent à penser que les citoyens sont loin d’être acquis aux thèses syndicales. Si l’on se fie à ces quelques indicateurs, CSC, FGTB et CGSLB semblent avoir perdu la bataille de l’opinion publique, et leur bras de fer face au gouvernement, avant même d’avoir entamé le combat sur le terrain social.

« Les médias ont mis le paquet pour nous discréditer », enrage Nico Cué, secrétaire général des métallos FGTB Wallonie-Bruxelles. « J’ai rarement vu un tel déchaînement de critiques par rapport à une grève. Le gouvernement a cherché par tous les moyens à culpabiliser le mouvement syndical », appuie Dominique Cabiaux, vice-président de la CSC-Services publics.

« Quand je consulte les chats, les forums, les courriers des lecteurs, je vois bien que l’opinion est partagée, reprend Dominique Cabiaux. Mais ce n’est pas encore une honte d’être minoritaire dans l’opinion, à partir du moment où l’on défend ce qui nous paraît juste. Cela veut simplement dire que le mouvement syndical doit reprendre son travail de pédagogie, d’éducation permanente, d’affiliation, de débat. »

Continuer la lutte, donc, même si le gros des troupes ne suit pas… « Ce matin même, raconte Dominique Cabiaux, pour me rincer la tête, j’ai lu le Discours des deux méthodes, prononcé par Jean Jaurès au stade de Lille, en 1900. A ce moment-là, Jaurès est totalement minoritaire parmi les socialistes français. Il s’oppose à Jules Guesde, selon qui la gauche ne doit pas s’occuper de l’affaire Dreyfus, parce qu’elle concerne une histoire de bourgeois. Face aux guesdistes, Jaurès est isolé. A Lille, il est hué par 8000 personnes. Mais il a raison ! L’histoire lui a donné raison. La seule vraie question que nous, syndicalistes, devons nous poser, c’est : sommes-nous convaincus du bien-fondé de nos positions ? »

Quant à un éventuel retournement de l’opinion publique, le représentant de la CSC-Services publics se dit persuadé qu’il ne tardera pas à se manifester. « On subit pour le moment la propagande de ce gouvernement, qui essaye avec un air bonhomme de nous faire croire que les mesures qu’il propose sont nécessaires. Du coup, parmi la population, presque tout le monde est convaincu qu’il faut accepter de faire des efforts. Mais quand les mesures gouvernementales entreront en application, les gens vont bien se rendre compte de leur caractère injuste. »

A la mi-journée, Nico Cué dresse en tout cas un premier bilan de la grève à ses yeux particulièrement positif. « C’est une réussite complète. Vraiment au-delà de nos espérances. On s’attendait à avoir beaucoup plus de mal aux piquets. A ma connaissance, en Wallonie, il n’y a qu’au zoning de Gislenghien que des huissiers ont débarqué. Même quand on bloque les automobilistes sur l’autoroute pour leur distribuer des tracts, les gens réagissent sans agressivité. Le climat était beaucoup plus tendu la dernière fois. Les gens comprennent, même si eux-mêmes ont du mal à se mettre en grève, parce que la pression de leurs patrons est énorme. »

Le leader des métallos FGTB assure qu’un message très fort a aujourd’hui été adressé au Premier ministre Elio Di Rupo. « J’espère qu’il en tiendra compte. Parce que, s’il ne nous écoute pas, il va faire hara-kiri son propre parti. Au printemps, lors du contrôle budgétaire, le gouvernement devra trouver un milliard supplémentaire. Va-t-il aller dans le sens des citoyens ou dans le sens des marchés ? C’est à M. Di Rupo de faire son choix. Nous, notre choix, il est clair : ce n’est pas aux travailleurs de payer la crise. J’espère que le Premier ministre l’a bien compris. »

Reste la question des modes d’action. Est-il indispensable de bloquer tout un pays pour se faire entendre ? Pour convaincre l’opinion publique, les syndicats ne devront-ils pas, à l’avenir, délaisser la vieille arme de la grève générale, et inventer de nouveaux moyens de pression ? « Je concède qu’on n’est pas au clair, dans le mouvement syndical, sur un certain nombre de tactiques et de stratégies. Les barrages routiers, à la CSC, on y est relativement opposés », reconnaît Dominique Cabiaux. Mais pas question pour autant de renoncer à la grève générale. « Pensez-vous qu’on peut faire plier un gouvernement en distribuant des fruits et légumes à l’entrée des villes ? La grève, c’est toujours un échec, mais ça reste l’ultime moyen producteur de rapports de force. Je suis d’accord pour réfléchir à de nouveaux modes d’action, bien entendu. Mais je constate que quand la CSC-Services publics a organisé près de la gare de Bruxelles-nord une kermesse européenne, où on pouvait jeter des balles sur des mannequins représentant Merkel et Sarkozy, beaucoup de gens sont venus, certes, mais on n’a eu aucune couverture médiatique. Zéro ! Alors que si on avait déplacé l’action 100 mètres plus loin, en bloquant un boulevard, on serait passé au JT. Croyez-moi, quand les trois organisations syndicales lancent un mot d’ordre de grève générale, ce n’est pas à la légère. »

François Brabant

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