De plus en plus de propriétaires posent abusivement des panneaux d'interdiction. © SENTIERS.BE

Les sentiers publics, objets de tant de convoitises

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

A Manhay (Durbuy), des riverains et promeneurs se battent pour sauver des sentiers publics. La commune, elle, les vendrait volontiers. Un combat qui en dit long sur les priorités politiques et financières de certains pouvoirs locaux.

C’est une petite histoire qui en cache une autre, plus ample et plus préoccupante. Depuis six ans, un propriétaire privé installé tente de racheter à la commune de Manhay cinq chemins publics qui traversent ses terres, attenantes au château, dans le bois de Harre, vaste de 550 hectares. En tout, quelque 3,5 kilomètres de sentiers. Mais les habitants des lieux et autres promeneurs s’y opposent, arguant que ces chemins font partie du patrimoine public et permettent de relier entre eux plusieurs hameaux.  » Si personne ne passe sur un chemin pendant trente ans, il est considéré comme appartenant au propriétaire qui détient le droit sur le sol « , rappelle Christophe Danaux, porte-parole de l’asbl Sentiers.

Depuis que le propriétaire a fait part de son souhait de rachat à la commune, le bras de fer se poursuit, au fil des prises de position de cette dernière, de la Province de Luxembourg, de la Région wallonne et du Conseil d’Etat et des recours introduits ensuite. La commune de Manhay est totalement favorable à la transaction : elle obtiendrait, par ce biais, 600 000 euros ! Soit bien davantage que la valeur des terres. Contacté par Le Vif/L’Express, le bourgmestre de Manhay Robert Wuidar (apparenté MR) n’a guère voulu répondre à nos questions.

En février 2015, la Province a posé, entre autres conditions, qu’un chemin alternatif soit créé pour les promeneurs avant de procéder officiellement au déclassement du chemin public. Mais cette nouvelle piste devrait traverser une zone Natura 2000, ce qui pose d’autres problèmes. Le dossier est, pour l’heure, totalement bloqué, la Province attendant toujours que ses conditions soient remplies pour le faire avancer. Le propriétaire a fait procéder à un relevé topographique des sentiers, comme cela lui avait été demandé. Sans surprise, ce relevé indique que les chemins sont bien conformes, sur certains tronçons, à l’Atlas des voiries vicinales de 1841 mais qu’en d’autres lieux, ils s’en sont écartés, nature oblige.

Depuis lors, des panneaux indiquant  » chemin privé, accès interdit  » fleurissent régulièrement aux abords de ces sentiers… en toute illégalité. Une plainte a été déposée au parquet par les riverains. Une promenade Adeps qui passait par là a vu tous ses balisages enlevés. La DNF (Direction nature et forêts) a dû menacer d’amendes si ce balisage n’était pas remis à sa place.  » On constate que les propriétaires privés de bois ont plus tendance qu’auparavant à installer ce type de panneaux sur leurs terrains. C’est parfois vrai, mais parfois pas, relève Christophe Danaux. Lorsqu’il s’agit d’une servitude publique sur des terrains privés, les propriétaires sont tenus de laisser le passage.  »

 » De plus en plus de propriétaires veulent s’approprier les chemins qui passent dans leur domaine, qu’ils appartiennent à la commune ou qu’il s’agisse de servitudes publiques « , embraie Albert Stassen, d’Itinéraires Wallonie. Dans la plupart des cas, c’est le monde associatif et les riverains, réunis en collectif, qui organisent la résistance.  » Ce n’est pas normal que l’associatif soit garant de l’intérêt public, poursuit Albert Stassen. C’est le rôle du politique.  » Mais bien des communes sont en difficulté financière. Et la tentation leur est grande de vendre à la va-vite quelques sentiers, qu’elles n’entretiennent déjà pas et n’auront plus à entretenir à l’avenir, en échange de milliers d’euros. Un calcul à court terme, alors que la forêt ne compte qu’en dizaines d’années…

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