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« Les révélations sur la Maison Blanche dévoilent au grand jour un énorme problème constitutionnel »

L’ouvrage de Bob Woodward sur Donald Trump dressant le portrait d’un président inculte, colérique et paranoïaque a eu l’effet d’une bombe. Notre confrère du Knack.be a interviewé Bart Kerremans, professeur spécialisé en politique américaine à la KU Leuven à ce sujet.

L’ouvrage ‘Fear: Trump in the White House’ est basé sur des interviews de proches collaborateurs du Président des Etats-Unis, sur des notes de réunion, des carnets personnels et des documents officiels. Sa publication est prévue pour le 11 septembre, mais le Washington Post en a déjà divulgué quelques extraits fracassants.

On y apprend, entre autres révélations, que les proches conseillers du Président usent et abusent de subterfuges pour éviter les incidents diplomatiques et que Donald Trump serait même allé jusqu’à ordonner l’assassinat de Bachar el-Assad.

Notre confrère du Knack.be a interviewé Bart Kerremans, professeur spécialisé en politique américaine à la KU Leuven.

Quelles sont, selon vous, les révélations les plus importantes?

BART KERREMANS: L’information que nous avons déjà confirme l’image que nous avions d’une Maison Blanche où règne le chaos avec des collaborateurs qui tentent d’éviter que Trump ne prenne des décisions importantes. Comme le fait que son ex-conseiller économique, Gary Cohn, aurait subtilisé des documents du Bureau Oval qui devaient mettre fin à un accord commercial avec la Corée du Sud ainsi qu’à l’ALENA, l’accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique. Cela démontre deux choses: que le problème avec ce président est apparemment si important que même ses propres collaborateurs ne lui font pas confiance et que dans son entourage direct, on pense spontanément qu’il faut limiter les dégâts.

La Maison Blanche qualifie l’ouvrage d’ « histoires fabriquées, souvent par d’anciens employés mécontents, pour montrer le président sous son pire jour ». Le ministre de la défense James Mattis et le chef de cabinet de la Maison Blanche John Kelly ont réfuté s’être moqué de Trump derrière son dos. Est-ce une raison de douter de sa véracité ?

KERREMANS: Le doute et la prudence sont toujours sains. Le mieux est de prendre ce livre avec un regard critique. Il s’agit d’une compilation d’informations actuelles, principalement des témoignages. Mais Bob Woodward n’est naturellement pas le premier venu. Il a une forte réputation en tant que journaliste crédible, rien que par sa révélation du scandale du Watergate.

Dans un système où le président est responsable du point de vue politique, il s’agit d’un problème d’une très haute importance au niveau constitutionnel.

En outre, les révélations de Woodward confirment également des affaires qui avaient été révélées au grand jour auparavant par des sources plus douteuses. Du point de vue de la Maison Blanche, il est aussi difficile de tenir le discours qu’il s’agit à chaque fois d'(ex)-collaborateurs rancuniers qui réagiraient tous de la même manière. Et par rapport à la personnalité de Trump, ses tweets nous ont quand même déjà appris l’une ou l’autre chose: pensez à la guerre avec le ministre de la justice Jeff Sessions.

Dans le cas de Mattis et Kelly, que Trump aurait traité d »idiot’, mais qu’il nie farouchement, l’un des deux ment c’est certain: soit lui-même, soit les sources de Woodward. De la part de Kelly, nous savons avec certitude que ce dernier a déjà émis des déclarations douteuses par le passé.

John Kelly et Donald Trump.
John Kelly et Donald Trump.© Belga

Qu’est-ce que cela signifie en essence? Woodward, lui-même, définit le vol de documents rien moins que par les termes de ‘coup d’état administratif’.

KERREMANS: C’est à tout le moins qu’on puisse dire très problématique à définir. Aussi stupide une décision de Trump pourrait être, ces collaborateurs n’ont simplement par le droit d’agir de la sorte. Car qui détermine, au final, quels risques certaines décisions pourraient avoir? Dans un système où le président est responsable du point de vue politique, il s’agit d’un problème d’une très haute importance au niveau constitutionnel.

Une « sérieuse gifle », voilà ce que pourrait aussi devenir l’enquête russe menée par le procureur spécial Robert Mueller.

Cela aura-t-il encore des conséquences importantes, selon vous?

KERREMANS: Pas dans l’immédiat pour les collaborateurs et ex-collaborateurs nommés car il faut pouvoir le prouver avec des preuves limpides. Si cela peut nuire à la réputation de Trump? Oui, on peut voir cela comme un match de boxe. Des conséquences politiques ne surgissent généralement pas du jour au lendemain, comme être mis KO n’est pas seulement le résultat du dernier uppercut, mais d’une accumulation de coups. C’est une gifle violente mais qui ne le mettra pas KO. Mais s’il est KO un jour, par exemple aux élections de 2020, cela peut en être la conséquence. Dans un autre côté, il faut aussi noter que de nombreux partisans de Trump en sont de plus en plus convaincus, à savoir que l’on contrecarre ses.

Une « sérieuse gifle », voilà ce que pourrait aussi devenir l’enquête russe menée par le procureur spécial Robert Mueller. Pouvons-nous nous attendre à des rebondissements de ce côté-là?

KERREMANS: Pour le moment, il est impossible de le dire. Mais une chose est certaine: pour les élections de mi-mandats (en novembre NDLR), il n’en sortira rien. Mueller ne peut rien faire non plus, car cela pourrait le rendre coupable d’influencer les élections.

Traduction: Caroline Lallemand

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