Les provinces wallonnes, ces grandes résistantes

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Elles survivront à la cure d’amaigrissement que leur inflige la Flandre, comme elles ont surmonté la réforme de leur gouvernance en Wallonie. Les provinces wallonnes ont même un secret de longévité…

On leur promet la peine capitale à intervalles réguliers, sous prétexte qu’elles seraient un luxe superflu dans un paysage institutionnel encombré. Même pas peur : les provinces sont toujours debout, bon pied bon oeil. « Ceux qui pensent, légitimement ou pas d’ailleurs, qu’un jour ou l’autre elles disparaîtront, risquent de disparaître avant la disparition de celles-ci », prophétisait Jean-Luc Crucke, député wallon MR, un jour de débat parlementaire organisé en bord de Meuse sur le sens du pouvoir provincial. Le pronostic tient toujours.

Palais provincial de Liège : pas de dégraissage en vue.
Palais provincial de Liège : pas de dégraissage en vue.© Belga Image

Maintes fois proclamée, l’obsolescence de ce vestige de la Belgique de papa n’est jamais programmée. Rien ne semble en mesure de mener les provinces au couloir de la mort. Pas même la dernière réforme de l’Etat, qui a confié leur sort entre les mains des Régions, lesquelles sont désormais libres d’en réduire le nombre, de les faire disparaître, voire d’en créer de nouvelles. A quand donc une Flandre sans provinces, là où il prendrait à la Wallonie la lubie de se passer d’une province de Hainaut mais de conserver une province de Luxembourg ? Sur papier, toute formule est envisageable.

Si le nord du pays se jette à l’eau, c’est sans aller jusqu’à commettre l’irréparable. La tentation existait pourtant, portée par le premier parti de Flandre. Mais la N-VA a vite revu à la baisse ses ambitions électoralistes de s’offrir le scalp des provinces flamandes. Réduire la voilure sera déjà considéré comme une performance en soi.

C’est acté : à l’avenir, les provinces flamandes cesseront de s’occuper de culture, de bien-être, de jeunesse et de sport. Qui dit moins de compétences à exercer dit moins d’argent à brasser et suppose moins de mandataires à la barre. Le pouvoir provincial devra se passer d’une partie de sa fiscalité propre et renoncer à la moitié de ses conseillers provinciaux (de 350 à 175).

La Flandre se donne un an de plus pour dégraisser ses provinces

Mais la « rupture » annoncée hoquette. Sécateur à la main, le gouvernement Bourgeois (N-VA – CD&V – Open VLD) prend chaque jour un peu plus conscience qu’on ne soumet pas un niveau de pouvoir à un régime minceur sans enregistrer des effets secondaires. Une foule de centres culturels, d’organisations de jeunes, de musées jusqu’ici provinciaux doivent trouver repreneur du côté régional ou communal. Quelque 6 000 fonctionnaires provinciaux attendent d’être fixés et rassurés sur leur sort. Cerise sur le gâteau, certains partis traditionnellement bien lotis en mandataires provinciaux, CD&V et Open VLD pour ne pas les citer, feraient de la résistance : il y va du maintien de petits privilèges appréciés à leur juste valeur.

Raisons pour lesquelles Bourgeois Ier se donne un an de plus pour résoudre le casse-tête juridico-politique avec ordre et méthode et boucler si possible proprement la réforme des provinces pour le 1er janvier 2018.

Au sud de la frontière linguistique, rien à signaler. Les grandes manoeuvres en cours en Flandre sont observées depuis le balcon. On n’y détecte rien de franchement inspirant à se mettre sous la dent. Annick Bekavac, directrice de l’Association des Provinces wallonnes, ne croit guère à l’importation du « modèle provincial flamand » en gestation. Elle ne le recommande pas particulièrement non plus. « La réforme engagée en Flandre est dangereuse parce qu’elle pourrait asphyxier les provinces en réduisant leur champ d’action et en brisant leur autonomie fiscale. »

L’institution provinciale wallonne risque peu de connaître un sort aussi funeste. Non par désintérêt profond pour sa pertinence et son avenir. En 2012, le parlement wallon chargeait ainsi le constitutionnaliste Christian Behrendt (ULg) d’une mission exploratoire dans le biotope provincial wallon. L’expert était revenu de son immersion, une « brique » sous le bras. Cet état des lieux, se souvient Annick Bekavac, « a eu le mérite d’éveiller les consciences des mandataires politiques. » Sur le fait que les provinces sont de véritables touche-à-tout, de l’agriculture à la culture en passant par l’enseignement, les centres PMS, l’économie, l’environnement, le patrimoine classé, le logement, la santé, le sport, le tourisme, les voiries ou les cours d’eau. Que ces ruches d’activités emploient 17 840 équivalents temps plein (dont 10 400 enseignants et 3 400 agents dans les secteurs social et de la santé), et mobilisent une masse budgétaire proche du milliard d’euros chaque année.

Le précieux allié des provinces wallonnes : une Communauté française fauchée

L’étendue et la complexité du terrain à débroussailler suffit alors à en refroidir plus d’un dans l’hémicycle wallon. Le perspicace Jean-Luc Crucke flaire l’obstacle : « Ce qui sauvegardera sans doute l’échelon provincial, c’est cette disparité dans l’exercice des compétences. » C’est surtout la présence d’un canard éternellement boiteux dans la mare institutionnelle francophone : la Communauté française, cette institution chroniquement impécunieuse, dépourvue de pouvoir fiscal, et de ce fait parfaitement incapable d’assumer un héritage légué par de défuntes provinces. A commencer par l’enseignement provincial, qui pèse à lui seul 274 millions d’euros.

La Communauté française, voilà le meilleur allié des provinces dans leur lutte pour la survie. « Les provinces opèrent comme une société de financement complémentaire de la Communauté française, elles en sont le bras financier puisque 55, 60, voire 70 % des dépenses provinciales sont liées à des matières communautaires », commente Christian Behrendt.

Sur le terrain fiscal, la province est imbattable, rappelait le constitutionnaliste liégeois aux élus wallons : « Elle a l’extraordinaire avantage, au travers de son pouvoir fiscal, d’affecter les moyens où elle le veut. Est d’intérêt provincial ce que le conseil provincial décide comme étant d’un intérêt provincial. »

Et l’expert de rappeler pour l’anecdote, que pour avoir méconnu ce privilège insoupçonné, un géant pétrolier s’y était un jour cassé les dents : « La Province de Namur avait décidé de créer un impôt sur les stations-service démunies de personnel, parce qu’elle voulait favoriser l’emploi. Depuis Londres, la multinationale BP a fait un recours au Conseil d’Etat en disant : « Ecoutez, ce n’est pas d’intérêt provincial, c’est de la mise à l’emploi. C’est donc soit régional, soit du fédéral mais ce n’est pas du provincial. » Eh bien, BP a perdu au Conseil d’Etat. »

Ecole hôtelière de Namur : les provinces ont également des compétences en matière d'enseignement.
Ecole hôtelière de Namur : les provinces ont également des compétences en matière d’enseignement.© Belga Image

Sans provinces, la Communauté française boit la tasse. Les francophones s’interdisent ainsi d’imaginer ce que la Flandre peut se permettre : un dégraissage significatif de l’appareil provincial. « En réalisant l’union budgétaire et fiscale de sa Communauté et de sa Région, la Flandre peut se passer sans difficultés d’un niveau de pouvoir intermédiaire comme les provinces. Au sud du pays, par contre, la coexistence de la Région wallonne et de la Communauté française rend cette perspective tout bonnement impossible. On est dans un angle mort », observe Christian Behrendt.

Et puis d’ailleurs quels plans B ? Des communautés de communes, des bassins de vie en guise de pouvoir de proximité entre Namur et les coins reculés de Wallonie ? « On sait ce qu’on a, on ne sait pas ce qu’on peut avoir », entend-on en bord de Meuse. « Le savoir-faire et la plus-value des provinces rendent aujourd’hui ce pouvoir intermédiaire incontournable », insiste Annick Bekavac.

Une cure de bonne gouvernance toujours bonne à prendre

A quoi tient une longévité… Elle a d’autres ressorts. Stéphane Hazée, député régional Ecolo, que le maintien de l’institution provinciale enchante peu, charge la barque : « Il faut ajouter l’inertie naturelle qui prend le dessus, ainsi que l’intérêt de groupes politiques à conserver un espace de pouvoir qui échappe largement à l’imprévisibilité politique et leur assure une position de repli. » Pas touche au coeur du réacteur provincial, là où, assurent les esprits chagrins, se nichent des pantouflards alléchés par une confortable carrière politique à l’abri d’une insoutenable exposition médiatique.

A défaut de réforme systémique et de coup de pied dans la fourmilière, la Région wallonne a gentiment reconfiguré ses provinces. Elle leur a retiré la mainmise sur le logement, l’énergie, une centaine de kilomètres de voiries provinciales. Elle s’est surtout donné bonne conscience en rendant l’univers provincial plus transparent et vertueux par une cure de bonne gouvernance. Pêle-mêle : un tiers de mandataires provinciaux en moins, avantages en nature supprimés (un ordinateur excepté) et jetons de présence recadrés, missions à l’étranger encadrées, absentéisme sanctionné. Le tout assorti d’une promesse de poursuivre la réflexion en profondeur. Promis juré…

« Ce travail préparatoire à une réforme plus large des provinces, annoncé sous la précédente législature, n’a pas connu un début d’exécution », dénonce Stéphane Hazée. Le chantier aurait disparu des radars du gouvernement wallon PS-CDH. Le cabinet du ministre régional des Pouvoirs locaux, Paul Furlan (PS), invite à une lecture moins négative du dossier : « Redéfinir les axes prioritaires de provinces, revoir la répartition du Fonds des provinces, reste à l’ordre du jour. Nous digérons le gros des réformes en cours. » Rien ne presse.

« Les provinces ont effectué la clarification de leurs missions et de leurs compétences, sans tabous. Il appartient au gouvernement wallon de procéder à cet exercice pour les autres niveaux de pouvoir », relève Annick Bekavac. Partie remise ? « Un débat sur le maintien ou non des provinces wallonnes ne pourra s’ouvrir que le jour où se règlera la question du modèle institutionnel francophone », répète Christian Behrendt. Longue vie aux provinces !

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© VVP / APW

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