Muslim Expo de Charleroi. © Belga

Les politiques commencent à s’activer face à la nébuleuse Frères musulmans

L’islam politique s’avance à visage couvert mais il veut parler au nom des musulmans. Un vrai casse-tête pour ses interlocuteurs. Les politiques explorent les pistes pour le résoudre.

Philippe Moureaux et sa fille Catherine (PS) écoutant Tariq Ramadan, au premier rang de la Muslim Expo de Charleroi, le 7 février dernier. La scène est captée furtivement par le Devoir d’enquête (RTBF) de Catherine Lorsignol et de Jean De Waele : Les Frères musulmans : une menace pour la Belgique ? (1). Une Muslim Expo fortement connotée Frères musulmans, dont Le Vif/L’Express avait dévoilé les arcanes, trois semaines avant sa tenue : financement par un collecteur d’argent proche du Hamas, présence annoncée de conférenciers néo-ottomans, antisémite ou conspirationniste, hostilité affichée à l’égard de l’Exécutif des musulmans de Belgique. Le bourgmestre empêché de Charleroi, Paul Magnette (PS), n’avait pas bronché. Jusqu’à ce que de nouvelles révélations sur le caractère antisémite du Marocain Abouzaïd al-Mokri El Idrissi et l’interdiction de sa prestation à Lille par le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve (PS), contraignent la Ville de Charleroi à barrer la voie au trublion (qui avait déjà renoncé à venir). Débarrassée de ses orateurs les plus outranciers, la Muslim Expo pouvait dérouler en toute quiétude le tapis rouge devant Tariq Ramadan.

Comment les partis politiques (mais aussi les médias, les universités, la franc-maçonnerie, l’Eglise…) se positionnent-ils face à un « mouvement », une « nébuleuse », une « mouvance » qui récuse l’étiquette Frères musulmans par voie judiciaire, si nécessaire, mais qui souhaite néanmoins participer à la construction du « vivre » et du « faire ensemble » ? Dialogue critique comme lors de l’opération « La religion dans la cité » (ULB, RTBF, Le Soir), fin janvier dernier, ou cordon sanitaire, comme le recommande Willy Wolsztajn, administrateur du Centre communautaire laïque juif et membre du comité directeur du Comité de coordination des organisations juives de Belgique ? L’interrogation traverse tous les milieux. La loge Action et Solidarité n°2 du Grand Orient de Belgique a invité Michaël Privot, ancien des Frères musulmans, à une tenue blanche mixte, le 27 mai prochain, rue du Persil, à Bruxelles, ce qui provoque un débat interne.

Le ministre-président de la Région bruxelloise, Rudi Vervoort (PS), a beau avoir avoué, au détour d’une interview à La Libre Belgique, qu’à refaire, il n’aurait pas autorisé la première Foire musulmane de Bruxelles, son parti n’a pas pris position, à l’image d’une fédération bruxelloise très divisée sur la laïcité et d’éventuels accommodements raisonnables. Un exemple parmi d’autres : la conseillère communale de Molenbeek, Farida Tahar, élue sur la Liste du Bourgmestre (Philippe Mourreaux, PS), et militante du voile islamique, est sortie du moule de l’Académie islamique de Bruxelles (Alkhayria Belgica) que le Français Mohamed Louizi, auteur de Pourquoi j’ai quitté les frères musulmans (Michalon), décrit comme un foyer fréro-salafiste.

En France, le Premier ministre socialiste, Manuel Valls, montre des velléités d’en découdre avec les Frères musulmans dont il reconnaît le discours au « bruit moteur ». Au Royaume-Uni, le Premier ministre conservateur, David Cameron, a commandé à ses services de renseignement un rapport officiel sur la confrérie mais, le 17 décembre 2015, il a décidé de ne pas le divulguer tout en faisant part de ses préoccupations dans un courrier adressé aux députés britanniques :  » Certaines sections des Frères musulmans ont une relation ambiguë à l’extrémisme violent », « Des individus étroitement associés au groupe au Royaume-Uni ont soutenu les attentats-suicides et d’autres attaques en Israël par le Hamas […] qui se présente comme la branche palestinienne de la Fraternité », « Etre membre, associé ou influencé par les Frères musulmans devrait être considéré comme un signe d’extrémisme ». Dès lors, les autorités britanniques continueront « à enquêter sur la légalité des opinions et des activités des Frères musulmans » et intensifieront « la surveillance des opinions et des activités menées à l’étranger par les membres, associés ou affiliés des Frères musulmans, qu’ils soient basés au Royaume-Uni ou ailleurs ». David Cameron s’est engagé à « contester les récits toxiques des extrémistes et promouvoir des solutions de rechange positives montrant aux gens vulnérables qu’il y a de meilleures façons d’avancer dans la vie ».

Selon la Sûreté de l’Etat, les Frères musulmans appartiennent à la sphère du radicalisme et non de l’extrémisme. Toutefois, s’ils ne commettent rien d’illégal sur le territoire, leur projet d’islamisation requiert l’attention des services de police et de renseignement depuis la moitié des années 1980. Le rapport du service d’étude du CDH, sorti dernièrement sous la forme d’un livre, La Belgique face au radicalisme. Comprendre et agir (Presses universitaires de Louvain), attribue aux Frères musulmans et aux salafistes la responsabilité de la formation d’une identité musulmane conservatrice qui a pu servir de terreau au djihadisme. Pour le député Georges Dallemagne, l’un des initiateur de cet ouvrage, « les Frères musulmans sont des gens toxiques parce qu’historiquement, ils s’opposent à nos valeurs fondamentales, à nos modèles politiques. Je ne souhaite pas les favoriser en les fréquentant ou en banalisant leurs idées. »

Au menu de la commission d’enquête parlementaire

Encore faut-il savoir qui est qui dans cette « mouvance ». En octobre 2012, la Sûreté de l’Etat avait produit une « Analyse de phénomène relative aux activités d’ingérence non dirigées par un Etat » (130 pages) dont seules avaient « fuité » quelques informations relatives au lobbying de la Scientologie. En revanche, rien n’avait filtré des manoeuvres attribuées aux Frères musulmans. Les dégâts politiques auraient-ils été plus importants ? « On nous fait le reproche d’avoir des contacts avec des personnes pas nécessairement recommandables, réagit Georges Dallemagne, mais il devrait exister une procédure qui permette à des parlementaires d’interroger la Sûreté de l’Etat sur le profil des représentants des associations qui souhaitent nous rencontrer. Jaak Raes, le patron de la Sûreté, s’était montré ouvert à cette suggestion. »

Le lien entre le radicalisme et le terrorisme sera étudié par la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars. « Il n’y aura pas de tabou, prévient le député Dallemagne. Il faudra interroger notre laxisme, notre indifférence ou notre méconnaissance de ces questions-là… » Pour son confrère Denis Ducarme (MR), « les Frères musulmans sont des radicaux qui ont un but politique et non religieux. Sous leurs airs d’intellectuels, ils contribuent à former le terreau auquel viennent s’alimenter d’autres causes radicales et, parfois même, violentes. Ne tombons pas dans le piège de jouer les Frères musulmans contre les salafistes et Daech. Ils sont également responsables de la montée du radicalisme et leurs thèses, en présentant systématiquement les musulmans comme des victimes de la société occidentale, divisent plus qu’elles ne renforcent notre cohésion nationale. Néanmoins, quand j’entends le nouveau président de l’Exécutif des musulmans de Belgique, Salah Echallaoui, et, avant lui, Noureddine Smaili, je me dis qu’on a, enfin, tourné le dos à une forme de naïveté. »

Du côté d’Ecolo, le brouillard reste entier. Comme l’a révélé le site Ikhwaninfo, la députée fédérale Zoé Genot s’est rendue, le 23 janvier dernier, à un meeting international des Frères musulmans, à Bobigny (France), qui visait à mobiliser contre le régime égyptien du président al-Sissi, tombeur du très FM Mohamed Morsi. Zoé Genot a fait état de ses efforts pour faire voter une motion condamnant le coup d’Etat du général al-Sissi. « L’invitation était adressée à Benoit Hellings, membre de la commission des Affaires étrangères du Parlement, mais il ne pouvait pas y aller, explique la coprésidente d’Ecolo, Zakia Khattabi. On doit être attentif aux invitations qui nous arrivent. Zoé Genot a fait son intervention puis elle a quitté l’assemblée. » La coprésidente assure que « personne, chez Ecolo, ne s’est jamais revendiqué du mouvement des Frères musulmans ». Elle-même « ne sait pas ce que ça veut dire ». Une indécision bien partagée.

(1) Diffusion le 4 mai prochain, à 20h20, sur la Une.

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