Zakia Khattabi et Patrick Dupriez, coprésidents sortants, avaient fait de l'ouverture d'Ecolo une des pierres angulaires de leur démarche. © Frederic Sierakowski/belgaimage

« Les partis veulent-ils vraiment de la société civile ? »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Venue de l’associatif, Isabelle Pauthier aurait pu devenir secrétaire d’Etat bruxelloise ou coprésidente d’Ecolo. Deux possibilités pour finalement autant d’échecs. Douloureux sur le plan personnel. Et révélateurs de l’état d’esprit du parti.

Pendant vingt et un ans, Isabelle Pauthier a travaillé pour l’Arau (Atelier de recherche et d’action urbaines), association active sur les questions territoriales en Région bruxelloise. Depuis le 26 mai dernier, elle est députée régionale Ecolo. Pour elle, un choix naturel –  » C’est le parti qui correspondait le plus à mes valeurs et le momentum climatique m’a décidée « . Pour les verts, un signe d’ouverture à la société civile. L’histoire d’amour a même failli se transformer en conte de fées. Dès juin dernier, on parle de lui confier des responsabilités. La proposition concrète arrive très vite.

Un premier « non » à Bruxelles

 » Le 17 juillet à 18 heures, Zakia Khattabi m’appelle peu après l’atterrissage des négociations sur le gouvernement bruxellois pour me demander si je suis d’accord de devenir secrétaire d’Etat à l’Economie et à la Recherche, ainsi que ministre-présidente de la Cocof (Commission communautaire française) en charge du budget et de la fonction publique. Ma première réaction fut de dire que Barbara ( NDLR : Trachte, députée sortante et deuxième sur la liste) serait plus légitime. On me répond que son destin est tracé à la Communauté française. Autre hésitation : ce ne sont pas mes compétences de prédilection.  » Zakia Khattabi lui glisse alors :  » Si tu veux, appelle Jean-Marc ( NDLR : Nollet, autre coprésident), Alain ( NDLR : Maron, ministre Ecolo bruxellois), ton mari…  »  » J’ai fait tout ça. Les trois soutenaient à fond l’idée.  »

Je suis rentrée chez moi à deux heures et demi du matin, un peu naufragée.

L’assemblée générale du parti, à l’ULB, débute à 19 heures.  » Je tiens à corriger ce qui a été dit dans la presse : il n’y a pas eu sept heures de psychodrame sur le casting et Zakia Khattabi n’a pas quitté la coprésidence à cause de cette situation « , insiste-t-elle. La soirée est pourtant chahutée et le désaveu de la coprésidente bruxelloise réel. Après la présentation du programme de majorité régionale bruxelloise, Zakia Khattabi va signer l’accord avec les autres partis et revient vers 23 heures. L’AG d’Ecolo reprend sur le casting.  » Le vote indicatif du groupe parlementaire avait déjà été partagé à mon sujet, raconte Isabelle Pauthier : 6 oui, 4 non et 5 abstentions. J’aurais dû débrancher la prise.  »

Le débat tourne vite à  » la boucherie « , selon un membre présent. Isabelle Pauthier acquiesce :  » A la tribune, 80 % des intervenants – pas mal de mandataires wallons – ont exprimé une réaction légitimiste pour défendre Barbara Trachte. D’autres se sont demandé pourquoi on n’assumait plus l’idée de candidat d’ouverture qui faisait partie intégrante du projet de Zakia et Patrick ( NDLR : Dupriez, ex-coprésident). Vu la tournure des événements, j’ai pris la parole pour dire que je préférais ne pas être élue du tout plutôt que d’être mal élue.  » La messe est dite. Seuls 47 % des membres lui apportent son soutien. Zakia Khattabi quitte les lieux après une réunion houleuse du groupe parlementaire. Barbara Trachte est nommée secrétaire d’Etat.  » Je n’étais ni triste, ni fâchée, déclare Isabelle Pauthier. Je me serais battue davantage s’il s’était agi de mes compétences de prédilection. Cela étant, je suis rentrée chez moi à 2 h 30 du matin, un peu naufragée.  »

Sous la pression infernale du timing, le parti s’est refermé comme une huître.  » Le dimanche, j’ai eu Zakia au téléphone pour débriefer et je lui ai demandé un espace d’expression au bureau politique du lundi. J’y ai fait un speech de dix minutes en posant la question de la relation d’Ecolo à la société civile.  » En juillet, la négociation d’une majorité coquelicot en Wallonie, défendue par Jean-Marc Nollet pour intégrer davantage les associations au contenu des politiques, a suscité de l’espoir.  » C’était une formidable opportunité, soutient Isabelle Pauthier. Ecolo ne doit pas être dans une attitude de confrontation avec le monde associatif. Depuis plus de dix ans, toute une partie de celui-ci s’éloigne de la politique ; certains ne veulent pas d’argent public, pas de subsides, pas même de discussions avec les élus. Dans l’esprit de trop de politiques vit encore l’idée qu’on doit enfermer ces associations dans des appels à projets en contrôlant leurs finances, voire le contenu. Ce n’est plus audible ! Il faut avancer dans des coalitions d’intérêts, comme deux pieds sur les marches d’un escalier.  »

En interne, on dément que ce recalage soit révélateur d’un malaise avec la société civile. C’était une contestation de la méthode Khattabi. L’AG, mise au pied du mur, s’est cabrée. Point.  » Des mandataires se sont excusés en me disant que ce n’était pas contre moi « , confirme Isabelle Pauthier.

Isabelle Pauthier, députée bruxelloise :
Isabelle Pauthier, députée bruxelloise :  » Ecolo ne doit pas être dans une attitude de confrontation avec le monde associatif. « © Christophe Licoppe/photo news

La claque de la coprésidence

Acte 2. Peu après sa sortie au bureau politique, fin juillet, Jean-Marc Nollet lui envoie un message pour lui proposer de se parler.  » Nollet, c’est un très gros travailleur, avec un très haut potentiel, très tactique, perpétuellement dans des parties de billard à cinq bandes « , admire-t-elle. Il lui propose de faire un ticket avec elle pour la coprésidence du parti, qui doit être renouvelée le 15 septembre prochain.  » Je lui ai signalé que j’avais trois enfants, une maison à gérer, que j’aurais donc un petit souci de disponibilité et que je débarquais sans connaître les rouages du parti et de la politique, sourit-elle. Mais il m’a proposé un conclave de quatre jours pour envisager un programme. Dès le départ, je me suis placée dans une dynamique d’égalité avec lui, je l’ai poussé dans ses retranchements…  » A la clé, de réelles affinités et une note à présenter aux militants. Convaincue, l’ex-directrice de l’Arau accepte le challenge.

Seul problème : une disposition des statuts prévoit qu’un coprésident doit être membre depuis six mois. Ce n’est pas le cas d’Isabelle Pauthier.  » Jean-Marc Nollet m’a dès lors proposé d’aller au crash test en présentant ce point au Conseil de fédération pour tester la réaction du parlement interne du parti. Qui a eu un réflexe légitimiste, là encore : « Les statuts sont les statuts, on accorde déjà beaucoup trop de dérogations. » C’est une contradiction : un parti a besoin de gens ayant de l’expérience, mais aussi de candidats venant de l’extérieur. Et on aurait pu prendre en compte le temps de la campagne électorale. Mais soit… J’ai tout de suite dit à Jean-Marc : « J’y vais pour te faire gagner, pas pour te faire perdre, je retire la prise. » On ne pouvait pas aller à l’AG comme ça. Ça aurait été un énorme risque pour lui.  » Nollet cherche donc une autre coprésidente. Et la trouve en la personne de la présidente de la régionale bruxelloise du parti, Rajae Maouane.

Pour Isabelle Pauthier, la pilule est encore plus difficile à avaler que celle du gouvernement bruxellois.  » Ça s’est fait au détriment du projet politique que Jean-Marc et moi pouvions porter, regrette-t-elle. Je m’étais en outre projetée davantage dans ce rôle-là. Je voyais vraiment comment on pouvait faire évoluer le parti, avec un regard extérieur. J’étais embarquée.  » Certains écolos déplorent que la nouvelle venue soit une  » femme blessée  » à cause de la mauvaise gestion de ses dirigeants. Elle rassure :  » Je vais faire ce pour quoi j’ai été élue au parlement.  »

Une néophyte très décidée. A défaut d’être très soutenue par les siens.

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