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 » Les partis sont occupés à épuiser De Wever « 

Bart De Wever superstar, décodé par un ex-premier rôle de la scène politico-médiatique flamande, aussi vite déchu qu’il n’était parvenu. Jean-Marie Dedecker verrait bien le patron de la N-VA subir tôt ou tard le même sort que lui : la terrible versatilité de l’électeur flamand.

Grandeur et décadence. Il n’y a pas trois ans, il faisait trembler la Flandre à mesure qu’il séduisait une frange non négligeable de ses citoyens. Son nom était sur toutes les lèvres. Il inquiétait les partis politiques, alimentait les chroniques des journalistes, intriguait les analystes. Jean-Marie Dedecker, étoile filante à la trajectoire tumultueuse. L’ex-entraîneur de judo reconverti en politique. Trublion de service viré de l’Open VLD fin 2006, passé en coup de vent à la N-VA, et qui choisit début 2007 de rouler sous ses propres couleurs. Sa Lijst Dedecker s’envole. 6,5 % des voix, cinq députés et un sénateur, au scrutin fédéral de juin 2007. Rebelote aux élections de juin 2009 : 7, 6 % des suffrages, un eurodéputé et huit sièges au parlement flamand. La LDD plane. Avant de s’écraser au dernier scrutin. Victime pêle-mêle d’une chasse aux « scandales » qui dérape, de bisbrouilles internes, d’un président-fondateur omniscient. A la Chambre, Jean-Marie Dedecker reste l’unique rescapé du crash.

Dedecker, incarnation vivante de la versatilité désormais proverbiale de l’électorat flamand. Celle-là même qui pourrait jouer un mauvais tour à la coqueluche du jour : Bart De Wever. Comparaison n’est pas raison : le triomphe de De Wever n’est pas bâti sur du sable, il a l’épaisse consistance du nationalisme flamand. Mais la destinée de Dedecker le rappelle : l’électeur est capable de vite brûler ce qu’il a adoré. L’enfant toujours terrible de Flandre témoigne au Vif/L’Express : rester « superstar » en politique flamande n’est pas inscrit dans les astres.

Le Vif/L’Express : Vous avez compris le gros coup que vous avez reçu sur la tête ?

Jean-Marie Dedecker : Oh, j’ai commis des erreurs ! Notamment, cette affaire de détective privé [NDLR : engagé par Jean-Marie Dedecker pour enquêter sur le ministre Open VLD Karel De Gucht dans le cadre de la vente du palais de justice de Furnes] m’a fait beaucoup de tort. Il y a eu aussi des problèmes d’entourage : la LDD était un parti neuf, elle comptait trop peu de gens capables, et puis des aventuriers.

N’est-ce pas le lot des partis qui grandissent trop vite ? Là, on rejoint la N-VA…

La N-VA est un parti plus solide que le mien, elle est l’héritière de la VU, riche de cinquante ans d’histoire. Mais son triomphe électoral est un danger : tous ceux que le parti souhaitait voir élus l’ont été. D’autres aussi, dont le parti ne souhaitait pas l’élection parce qu’ils pourraient poser problème. Trois quarts des parlementaires N-VA sont inexpérimentés.

Bart De Wever, nouveau géant des Flandres. Son parti, le plus puissant dans le nord du pays. Que peut-il leur arriver ?

A force d’emm… tout le monde, vous devenez un danger pour le système. Politiquement, vous êtes l’homme à abattre. Et toutes les forces finissent par se rassembler contre vous. On fait peur à tout le monde avec la pression des marchés financiers. Les piliers traditionnels de la société, toujours puissants en Belgique, s’y mettent à leur tour : les syndicats, les mutuelles. C’est ce qui en train de se passer avec Bart De Wever. La N-VA n’est pas un parti éduqué dans un tel système. N’est pas encore mûre pour lui résister. Tôt ou tard, on est pris au piège.

De Wever, un colosse aux pieds d’argile ?

Quand vous atteignez de tels sommets, vous devenez très vite usé. Vous êtes la cible principale et permanente. Y compris des médias. Après dix ans de particratie, nous sommes entrés dans la médiacratie.

Une spécialité surtout flamande ?

En Flandre, la politique ne suffit plus pour être un politicien populaire. Il faut entrer dans l’infotainment : participer aux émissions télé comme De laatste show, De slimste mens ter wereld. Cela use.

De Wever a fini par y renoncer, au slimste mens

Une faute. La pression mise sur ses épaules l’a obligé à céder. Je connais très bien Bart De Wever : il a du mal à agir sous tension. C’est parce qu’il est stressé qu’il mange beaucoup. C’est aussi mon cas.

Quand le vent peut-il commencer à tourner ?

Si vous ne parvenez pas à traduire votre pouvoir électoral en pouvoir réel, la lassitude finit par s’installer : j’ai connu cela, et Bart De Wever va l’expérimenter. Une majorité dit encore : « De Wever est le seul qui résiste toujours aux francophones. » Mais de plus en plus de personnes commencent à virer de bord. Parce qu’il n’apparaît pas comme l’homme qui solutionne les problèmes. Croyez-moi, l’opinion publique tourne très vite ! La popularité en politique, c’est comme celle d’un chanteur. Vous connaissez un ou plusieurs « hits », et puis…

On est donc au coeur d’une guerre des nerfs ?

Oui, et tous les autres partis, francophones et flamands, jouent là-dessus : ils épuisent De Wever jusqu’au moment du « clic. » Qui sera notamment conditionné par les sondages politiques. La preuve par l’Open VLD : c’est parce qu’un récent sondage à usage interne indique une nouvelle baisse de popularité que le petit De Croo, après avoir eu la stupidité de provoquer des élections anticipées, change brusquement son fusil d’épaule et se dit disposé à entrer dans un gouvernement fédéral ! Ce ne sont que calculs de pouvoir.

Comment De Wever peut-il déjouer cette manoeuvre ?

Il aimerait pouvoir rester au balcon. Mais les autres partis ne vont pas le laisser faire. Le tort de De Wever, c’est d’être un éternel hésitant. Il ne sait pas décider. C’est lui qui tourne autour du pot. Un moment, il faut dire ce que l’on veut.

Son parti et son score électoral lui en laissent-ils le choix ?

C’est bien son problème. Le fonds de commerce électoral de la N-VA tourne autour des 5 %. De Wever le sait. Mais doit-il plutôt agir en fonction des 20 % d’électeurs qui ont rejoint la N-VA, non pas pour réclamer le séparatisme mais un système socio-économique de droite ?

Comment pourrait se dessiner le début de la fin du phénomène De Wever ?

Le temps joue contre lui. On se met à murmurer au sein même du parti. Un livre va s’écrire sur la direction de la N-VA, par un ancien collaborateur du parti en rupture et ex-compagnon de l’ancienne sénatrice N-VA Kim Gijbels [NDLR : forcée de démissionner pour une affaire de drogue en Thaïlande]. Certains groupes d’intérêts opportunistes vont finir par le lâcher. Les organisations patronales flamandes, le Voka et l’Unizo, sont aussi venues frapper à la porte de la LDD. Avant qu’elles ne sentent le vent tourner.

Changement de nom du parti, votre retour à la présidence. L’électorat versatile vous donne-t-il l’espoir de rebondir ?

Bien sûr ! Le nom change [NDLR : Libertair, Direct, Democratisch] mais pas les initiales. J’y crois, des gens reviennent vers moi, entre autres des gens qui avaient cru en Bart De Wever. Il fut un temps où la N-VA ne comptait qu’un député, où les verts flamands avaient perdu toute représentation parlementaire. Je ne crois pas non plus que le Vlaams Belang soit fini.

Votre avenir politique pourrait-il se conjuguer avec celui de la N-VA de Bart De Wever ? Le CD&V n’est plus sur votre route…

J’ai beaucoup de respect pour Bart De Wever malgré ce que j’ai subi. Ensemble, on aurait dû… [hésitations]. Mais bon, c’est de l’histoire ancienne. Il a mangé mon programme : les collaborateurs qui travaillent sur les propositions de loi N-VA relatives à l’asile et à l’immigration viennent de mon parti. On peut toujours me séduire. Rien n’est jamais définitif en politique.

ENTRETIEN : PIERRE HAVAUX

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