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Les partis politiques ne connaissent pas la crise, la N-VA encore moins

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

En état de grâce depuis 2008, la N-VA écrase de son hyperpuissance financière les trésoreries de ses rivaux directs. Au sud, le PS gère et assure, Ecolo se fait du souci, le MR se remplume.

Les nationalistes flamands ne se refusent plus rien. Pas même un signe extérieur de leur nouvelle richesse. En s’offrant un QG au coeur de Bruxelles, rue… Royale, à deux pas des parlements flamand et fédéral, la N-VA n’a pas seulement cassé sa tirelire. D’une traite, elle a enrichi en 2015 de 19 millions d’euros un patrimoine immobilier encore déclaré nul dans les comptes du parti un an plus tôt. « Cette acquisition est en partie financée par un crédit d’investissement », commente laconiquement le réviseur d’entreprise du parti. De fait, l’endettement jusqu’alors anecdotique de la N-VA s’en ressent : il décolle pour dépasser la barre des 20,5 millions.

Sous l’ère N-VA, trésorier de parti devient un métier plutôt pénible en Flandre.

Caprice de nouveau riche ? Plutôt nécessité d’assumer un statut de premier parti du pays. Et volonté au passage d’investir dans la brique pour mieux s’installer dans la durée. La N-VA en a largement les moyens, à force d’avoir pu mettre de côté. La formation de Bart De Wever écrase désormais la concurrence de son hyperpuissance financière bâtie en un temps record. Comme quoi un divorce peut faire un bien fou et conduire à faire fortune. Depuis qu’ils se sont séparés du CD&V en 2008, les nationalistes flamands décrochent la timbale et le jackpot à chaque passage par les urnes (2009, 2010, 2014). Et ils ne cessent de creuser l’écart avec leurs rivaux.

L’échappée du parti affole tous les compteurs. L’argent public auquel ses 85 parlementaires lui donnent droit coule à flots : 13,380 millions engrangés en 2015, six fois plus qu’en 2009 (2,3 millions). C’est plus qu’il n’en faut pour doper un boni, supérieur à 4,6 millions en 2015, qui a quadruplé en un an. C’est plus qu’il n’en faut pour gonfler inexorablement un trésor de guerre : la barre des 4,5 millions a été franchie en 2008, celle des 7 millions frôlée en 2010, le cap des 12 millions est dépassé en 2012, celui des 16 millions plus qu’atteint en 2014. Depuis l’an dernier, la N-VA est assise sur un matelas de 22,5 millions d’euros, placements de trésorerie et liquidités confondus. Un pactole quintuplé en huit ans à peine. C’est Byzance au plat pays.

Open VLD, CD&V, Vlaams Belang : la N-VA en laisse de moins en moins aux autres

Le PS a connu des années plus fortes, mais le parti en garde sous la pédale.
Le PS a connu des années plus fortes, mais le parti en garde sous la pédale.© Fred Guerdin

Les bonheurs électoraux de la N-VA font plus d’un malheur financier. « Gagner ou perdre aux élections signifie aussi un gain ou des pertes financières », rappelle Jef Smulders, politologue à la KUL, spécialiste des finances des partis. Au fil des scrutins et de leur glorieuse incertitude, des trésors fondent comme neige au soleil, des trains de vie sont revus à la baisse. La N-VA rafle, amasse et en laisse de moins en moins aux autres : elle a capté l’an dernier 33 % des dotations publiques allouées aux six partis flamands en lice et 35 % de la totalité du trésor de guerre en Flandre.

Largué, le peloton tire la langue. CD&V, Vlaams Belang et surtout Open VLD sont à la peine. Le VB, un temps le parti le plus riche du pays et dont la force de frappe financière culminait encore à 13,8 millions en 2011, repasse sous le niveau de richesse qu’il connaissait en 2008 (7,3 millions en 2015). Le CD&V garde certes près de 11 millions sous le coude, mais il a tout de même perdu 7 % de sa cagnotte en huit ans. Ces revers de fortune sont sans commune mesure avec la descente aux enfers des libéraux flamands, délestés de plus de la moitié de leur capital en placements et liquidités, lequel frôlait encore les 15 millions en 2008 et ne s’élève plus qu’à 7,2 millions. « Les libéraux flamands sont même devenus plus pauvres qu’Ecolo », notent les politologues Bart Maddens et Jef Smulders (KUL), spécialistes du financement des partis.

Au milieu de ce champ de bataille, certains résistent tout de même plutôt bien : c’est le cas des socialistes du SP.A, deuxième parti le plus riche de Flandre avec 13,3 millions disponibles, et des verts de Groen qui ont joliment regarni leur portefeuille depuis 2008 (3,2 millions en caisse en 2015).

Les partis politiques ne connaissent pas la crise, la N-VA encore moins
© Chambre, Rapports financiers des partis, exercices 2008 à 2015

Sous l’ère N-VA, trésorier de parti devient un métier plutôt pénible en Flandre. Il n’est pas non plus forcément de tout repos au sud du pays. Quoique l’absence d’une domination financière outrageuse cause moins de ravages sur le marché politique francophone.

Ecolo, les verts bien dans le rouge

La bataille électorale se gagne aussi avec de l’argent.

Le mâle dominant tient la distance. Le PS a certes connu des années plus fastes, comme en 2012 et 2013 lorsque sa puissance financière dépassait les 13 millions d’euros. Mais avec 11,4 millions placés ou disponibles en cash, les camarades en gardent sous la pédale. Il reste cette zone rouge qui fait tache dans le bilan et dont le parti aimerait s’extraire, lui qui a clôturé l’exercice 2015 sur une nouvelle perte de 157 000 euros, moindre que celle de 835 000 comptabilisée un an plus tôt. Le Boulevard de l’Empereur se passerait volontiers du statut de parti déficitaire, triste privilège qu’il partage, à l’échelle du pays, avec une autre formation francophone : Ecolo.

Là, c’est autrement plus sérieux. Les verts ont électoralement dégusté en 2014. Et leurs comptes 2015 témoignent de l’ampleur du plongeon. Rentrées financières : 900 000 euros de moins en dotations publiques. Trésor de guerre : 2,5 millions, en chute de 44 % en un an, de 60 % depuis 2013. Pertes : plus d’un million. Ecolo est aux abois, obligé de puiser dans ses réserves pour faire face à un plan social qui fait exploser ses charges de personnel à 3,1 millions euros. Ceinture. Et coup dur : éreinté par un gros revers électoral en 2003, Ecolo avait su rebondir et doubler son pactole depuis 2007. Preuve que le parti peut s’en remettre, pour peu que la mauvaise passe ne se prolonge pas.

Et tandis que le CDH passe miraculeusement entre les gouttes au fil des scrutins et garde financièrement la tête hors de l’eau sans faire de vagues, tandis que le défunt FDF continue sous sa nouvelle appellation de DéFI à jouer petits bras et à se stabiliser vaille que vaille avec un capital financier qui perd des plumes (passé de 450 000 euros en 2013 à 332 000 en 2015) et des frais administratifs qui constituent 40 % de ses dépenses, c’est à l’avenue de la Toison d’or, au siège du MR, qu’il faut se rendre pour entendre les bouchons sauter.

Après la débacle électorale de 2014, sous Olivier Deleuze et Emily Hoyos, les finances d'Ecolo sont au plus mal.
Après la débacle électorale de 2014, sous Olivier Deleuze et Emily Hoyos, les finances d’Ecolo sont au plus mal.© Virginie Lefour/Belgaimage

Champagne chez les bleus, qui ont vécu un très bon cru 2015 consécutif à une bonne tenue électorale en 2014. Les voyants du parti sont au vert : redressement remarqué de la situation financière qui permet de nettement tourner le dos au résultat négatif enregistré en 2014, cagnotte supérieure à 5,2 millions euros (du jamais-vu depuis 2008 au moins), dotations publiques en hausse (8,1 millions), réduction constante de l’endettement (3,2 millions en 2015). Les libéraux sont les gros bénéficiaires du côté francophone.

Regarnir les bourses pour repartir au combat électoral

Pas question de se reposer sur ses lauriers, inutile de larmoyer sur son infortune. Un parti, c’est d’abord fait pour gagner des élections. Scrutin communal et provincial en 2018, fédéral/ régional en 2019 : la compétition ne s’arrête jamais. Et la bataille se gagne ou se perd aussi avec de l’argent, nerf de la guerre électorale. Repartir au combat, c’est d’abord recharger ses batteries. Chacun selon ses moyens.

La course aux provisions pour propagande électorale est relancée : tous partis confondus, elle a récolté 17,6 millions d’euros en 2015, 70 % de plus qu’en 2014, année électorale qui avait saigné les budgets. Le SP.A et le CD&V mènent le bal, au coude à coude (3,3 millions mis de côté chacun), suivis du CDH, de la N-VA et du PS (autour des 2,5 millions), bien devant les libéraux francophones et flamands. Mal en point, Ecolo n’a encore pu que provisionner 355 000 euros, le Vlaams Belang 200 000, le PTB/PvDA 75 000. Quant à DéFI, pas encore un rond de provisions.

Sur ce terrain-là, l’aisance financière de la N-VA lui assure aussi de précieuses longueurs d’avance sur ses adversaires. « Cela a non seulement permis au parti d’investir sans cesse plus de moyens dans des campagnes permanentes et de communiquer de manière régulière avec l’électeur mais aussi d’alimenter son trésor de guerre », relève Jef Smulders. Le succès appelle le succès.

Toujours plus nantis

Le financement massivement public des partis est une affaire qui roule. La success- story ne se dément pas : en 2015, les treize formations politiques pourvues d’une représentation parlementaire ont accumulé 89,6 millions d’euros en placements ou sur des comptes d’épargne. Le bas de laine s’est enflé de 12,8 millions depuis 2008, alimenté par une croissance des recettes plus soutenue que la hausse des dépenses. Les partis y veillent, par une gestion prudente qui bannit toute stratégie financière téméraire et vise à se protéger des lendemains qui peuvent déchanter.

Jusqu’où ce cercle vertueux pourrait-il mener la puissance financière des partis ? Les politologues de la KUL Bart Maddens et Jef Smulders ont sorti leurs calculettes pour se livrer à des simulations d’ici à 2018, période sans échéances électorales qui devrait être mise à profit par les formations politiques, les unes pour doper, les autres pour renflouer leurs caisses.

La N-VA pourrait ainsi aborder le rendez-vous avec les urnes, programmé en 2019 aux échelons fédéral et régionaux, à la tête d’un trésor de guerre de 43 millions, plus que doublé en cinq ans à peine. Le PS pourrait disposer de plus de 28 millions, le MR frôlerait les 18 millions en avoirs, le CDH tutoierait les 8 millions, même Ecolo, en posture délicate, tirerait son épingle du jeu. Seul le Vlaams Belang pourrait faire du surplace. Et le duo de politologues de s’attendre à ce que N-VA et PS, chacun sur leur terrain de chasse, confortent plus que jamais leur titre de parti le plus riche.

Hoe rijk zijn onze partijen ?, par Jef Smulders et Bart Maddens, Samenleving en Politiek, 12/2014.

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