Montasser AlDe'emeh et Dyab Abou Jahjah © Francky Verdickt

Les musulmans doivent-ils s’en prendre à eux-mêmes pour expliquer leur intégration difficile ?

Le Vif

Les musulmans doivent-ils s’en prendre à eux-mêmes pour expliquer leur intégration difficile ? L’incitation du spécialiste du jihad Montasser Alde’emeh a touché une corde sensible. Rarement, une opinion a été autant partagée. La réponse du président du Movement X Dyab Abou Jahjah n’est pas passée inaperçue non plus : pour lui, ce ne sont pas les musulmans qui doivent s’en prendre à eux-mêmes, mais Alde’emeh qui ressemble à un Oncle Tom (NDLR : un terme dénigrant attribué aux Noirs américains soumis aux Blancs). Nos confrères de Knack ont interrogé les deux hommes séparément.

Votre appel émotionnel à l’autocritique est paru trois semaines après les attentats de Bruxelles. Pourquoi ce timing ?

MONTASSER ALDE’EMEH : J’ai écrit cet article immédiatement après les attentats, tard dans la nuit. Je n’arrivais pas à dormir, je devais exprimer mes émotions. Après, je me suis retiré une semaine en Croatie et en Bosnie, pour me calmer et réfléchir. Quand j’ai relu mon texte le lendemain de mon retour, j’étais toujours animé par les mêmes sentiments. Je l’ai publié sur Knack, pleinement conscient qu’il provoquerait des remous. Mais pourquoi me retenir encore plus longtemps ? Ces dernières années, j’ai fait des recherches sur le terrain en Syrie, en Jordanie et en Tunisie. Je m’y suis notamment entretenu avec des combattants de l’EI. À présent, j’ai rassemblé suffisamment d’informations pour mon doctorat sur les combattants occidentaux partis en Syrie. C’est pour cette raison aussi que j’ai attendu longtemps : si j’avais dit certaines choses plus tôt, des ponts auraient été coupés, et mon doctorat aurait été compromis.

N’avez-vous pas coupé d’autres ponts, à savoir celui qui vous lie à la communauté musulmane belge que vous appelez collectivement à balayer devant sa porte ?

Pas du tout. À Molenbeek, où j’habite, ils ont également lu l’article, généralement la traduction française parue sur Le Vif. On m’en parle dans mon quartier, y compris des hommes plus âgés barbus et vêtus de vêtements traditionnels qui me donnent tout à fait raison. Nous devons faire preuve de reconnaissance à l’égard de la Belgique, nous avons eu beaucoup plus de chances qu’on n’aurait jamais eues au Maroc. : sur le plan du logement, de l’enseignement, de la liberté. Ils en ont également assez que leurs enfants se font passer pour des victimes, ce qui ne fait que ranimer l’islamophobie. Ces manifestations de soutien me font du bien, elles prouvent qu’il ne faut pas surestimer l’influence d’Abou Jahjah et de ses fidèles. Évidemment, les réactions sont parfois négatives, elles viennent souvent de gens qui parlent au nom d’une organisation subventionnée par l’état. C’est un comble, je trouve.

Dyab Abou Jahjah et d’autres porte-parole du Movement X vous traitent de valet de la N-VA. Cela ne vous dérange pas ?

J’ai encaissé d’autres insultes de ces gens-là, ma boîte aux lettres électronique et ma page Facebook débordent de messages haineux. Jahjah cite Malcolm X et me traite d’Oncle Tom, d’autres me qualifient d’allochtone professionnel. On a ouvert tous les registres. Mais certaines activités affirment que je lèche le cul de Bart De Wever et Jan Jambon. C’est ridicule, j’essaie seulement de donner mon avis. Ne transformez pas la N-VA en bourreau, les véritables problèmes des musulmans sont ailleurs.

Que pensez-vous du « nombre significatif de musulmans dansants » que le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) a cru entrevoir après les attentats de Bruxelles ?

Une déclaration imprudente qui montre surtout que le cabinet de Jambon n’a pas de conseiller qui connaît la communauté musulmane de l’intérieur. Et je ne postule pas pour ce poste, comme le prétendent les méchantes langues. Je trouve que la plainte d’Abou Jahjah est absurde. C’est bon pour se profiler, mais c’est un coup dans l’eau.

N’a-t-il pas raison quand il dit que vos critiques récentes s’adressent unilatéralement à la communauté musulmane et qu’elles confirment certains préjugés chéris par le Monsieur-Tout-le-Monde flamand ?

Mon père a travaillé dur ici toute sa vie. Jamais je ne l’ai entendu se plaindre de la Belgique, il ne lui venait pas à l’esprit de se considérer lui-même ou ses enfants comme des victimes. Au contraire, il était reconnaissant et fier que je puisse étudier à l’université. Oui, le racisme et la discrimination existent, je sais de quoi je parle. Mais on ne peut pas se laisser arrêter par ça. Étudiez, travaillez, inspirez-vous des success-stories de plus en plus nombreuses. Mais Jahjah ne veut pas entendre cela, ça ne correspond pas à sa vision du monde polarisée.

L’opinion de Montasser Alde’emeh a été aimé presque 30 000 fois. A-t-il touché une corde sensible en appelant les musulmans à balayer devant leur porte ?

DYAB ABOU JAHJAH: Oui, mais ce n’est pas difficile quand on accorde son message à un certain public. Un appel à la mortification par un musulman : ça passe très facilement. Certainement en Flandre où il y a un courant sous-jacent de droite. Additionnez les scores des dernières élections, et cela en dit assez sur la société flamande. Il est logique aussi que la N-VA acclame cette opinion, elle aurait pu l’écrire elle-même. Attention, il y a beaucoup d’indignation aussi, et pas seulement parmi les jeunes musulmans. Toute la Flandre progressive de gauche a craché sur cette opinion.

Vous traitez Montasser Alde’emeh d’Oncle Tom, un terme américain utilisé pour un noir qui fait preuve de soumission à l’égard des blancs. Faut-il vraiment vous montrer aussi blessant ?

J’ai toujours été clair et dur dans les discussions, j’utilise le même ton contre les figures de proue de la N-VA comme Jambon ou De Wever. Vous n’allez pas me dire de modérer mes propos parce que Montasser est musulman ? Voilà qui serait du communautarisme, ce que je reproche d’ailleurs à Montasser. Dans son appel, il met tous les musulmans dans le même sac, comme s’il y avait une communauté musulmane homogène. C’est absurde, les musulmans sont des individus aux opinions différentes comme tout le monde. Je refuse de passer pour le porte-parole de la communauté musulmane. Je suis un citoyen qui observe la société et surtout la politique d’un oeil critique.

Selon Alde’emeh, les musulmans doivent cesser d’incriminer la société pour leur échec. Ce ne sont pas le racisme et la discrimination qui freinent leurs chances de développement, mais la culture d’apitoiement sur soi-même et d’isolation qu’ils ont choisie. Vous n’êtes pas d’accord ?

Non, en Belgique c’est la politique qui est défaillante. Tous les rapports internationaux en disent long. Enseignement, logement, emploi : nulle part l’écart entre les autochtones et les personnes issues de l’immigration n’est plus important qu’en Belgique. Neuf fois sur dix, un Marocain de la deuxième génération à Rotterdam, à La Haye, à Cologne possède un diplôme et un emploi, il habite une maison convenable et se compte dans la classe moyenne.

Son cousin à Anvers n’a ni diplôme, ni emploi ni avenir, alors que son père a émigré du même village à la même période. C’est la réalité et alors Montasser prétend que les musulmans doivent balayer devant leur porte. Non, il faut nous poser les bonnes questions en tant qu’individu. Suis-je un citoyen engagé qui participe activement au débat politique et qui lutte pour une véritable égalité ? Voilà la question pertinente.

Erik Raspoet

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