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Les mooks, valeur refuge ?

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Entre revue récurrente et livre qui se conserve, le mook a trouvé sa (petite) place sur le marché des périodiques : la niche est désormais pérenne, plus que ses seuls occupants.

Le musée royal de Mariemont, et la 11e édition de son marché du livre consacré à la petite édition et à la création littéraire (1), propose un stand particulièrement bien fourni et qui devrait retenir l’attention : le Comptoir du livre, petite librairie très indé et liégeoise y présente des ouvrages qui ne sont ni tout à fait des livres (que l’on conserve), ni vraiment des revues (que l’on jette rapidement après les avoir lues), mais un mélange des deux, une production hybride qui fait figure depuis quelques années de phénomène éditorial : le « mook », mot-valise entre « magazine » et « book », est en effet devenu tendance dans les librairies – plutôt celles qui vendent des livres que celles qui vendent des journaux.

Techniquement, le mook désigne une revue plus luxueuse que les autres périodiques et plus proche du livre – meilleur papier, dos carré, pas ou peu de pub -, avec une périodicité au minimum trimestrielle, généralement semestrielle, et souvent incertaine. Le mook use volontiers de la fiction, du dessin, de la photo, de la bande dessinée et plus globalement d’un « slow journalisme » qui se veut plus distant de l’actualité chaude, et surtout une réponse à l’infobésité qui caractérise nos sociétés. Face au tout-à-l’info immédiat et omniprésent proposé par le Net et les réseaux sociaux, le mook semble avoir trouvé sa place de l’autre côté du spectre, en proposant des sujets lents et fouillés, et une véritable respiration. Une place presque homéopathique et réellement miraculeuse dans un secteur de la presse papier où les quotidiens, hebdomadaires et mensuels ont souffert et souffrent encore de la révolution numérique. Mais si l’espace est désormais assuré, ceux qui l’occupent restent d’une extrême fragilité.

Le trompe-l’oeil XXI

La Crypte tonique, Cuistax, La Gazette du rock, Papier machine, Revue bâtarde, Dérivations, Monstre, Racine, Terrain, Topo, Médor, XXI, 24h01, Georges, Charles, La Revue dessinée, Schnock, Sept, L’Eléphant, Wilfried ou Feuilleton… Les exemples, en France, en Suisse et en Belgique, ne manquent pas. Mais si les créations ont été nombreuses ces dernières années, les disparitions ont suivi le même rythme. C’est que l’économie du mook reste très aléatoire, et pâtit finalement de la succes story de XXI, l’énorme arbre qui cache une forêt d’arbustes.

Créée à coup de millions en 2008 par Patrick de Saint-Exupéry, Laurent Beccaria et les éditions Gallimard (alors propriétaires à 20 %, parts revendues depuis), la revue dédiée aux grands reportages a imposé d’emblée sa plastique luxueuse et ses manières hors normes, tant éditoriales (un format à l’italienne, une large place aux dessins et photos, une version francophone du narrative writing anglo-saxon) qu’au niveau de sa distribution : XXI a fait une croix sur les kiosques et les réseaux de librairie de presse pour privilégier les abonnements et les librairies, livres ou BD. Un positionnement malin pour se distinguer des autres périodiques, mais aussi bien calculé en matière de coûts de distribution et de frais de retour : les marges des intermédiaires sont de 15 à 30 % plus faibles en librairies qu’en kiosques. Encore faut-il, pour réussir l’équation, atteindre un nombre minimum de ventes par numéro. XXI carbure aujourd’hui à une moyenne de 50 000 exemplaires en France, là où le seuil de rentabilité se situe autour des 15 000 – en Belgique francophone, on estime généralement qu’un mook, avec ses frais élevés de fabrication, n’est pas rentable en dessous des 5 000 exemplaires. Or XXI est le seul à faire un tel score. Une poignée seulement, comme Schnock (dédié à la culture populaire des trentenaires et quadras), Feuilleton (voué à la fiction et aux traductions de grands reportages) ou Usbek & Rica, (fondé sur la prospective et le journalisme de récit) passent la tête au-dessus du seuil. Tous les autres ont du mal, et n’ont, pour la plupart, aucun partenaire financier.

Médor, encore

En Belgique, 24h01, Wilfried et Médor frappent immédiatement les esprits. 24h01 parce qu’il fut le premier, en 2013, à s’afficher « mook », belge et dédié aux grands reportages, et lorgnant clairement vers le succès de XXI sans en avoir les moyens. Après des premiers numéros assurés par un financement participatif enthousiaste, 24h01 n’a jamais atteint les 2 600 ventes par numéro qu’il estimait nécessaire à sa viabilité (son 7e numéro s’est écoulé dans un premier temps à moins de 2 000 exemplaires). Jusqu’à lancer, en juin dernier, un appel à l’aide inédit, qui en dit long sur la précarité du secteur et du titre : « Equipe motivée cherche bouée » affichait franchement la nouvelle campagne de crowdfunding lancée en urgence. Estimant ses coûts de fabrication à 46 000 euros et malgré une subvention de 11 000 euros, l’équipe a chiffré à 30 000 euros ses besoins en liquidité… Mais le miracle a eu lieu, et la revue a réussi à contracter 80 000 euros en dix jours, écoulant ses stocks, et assurant la sortie de son 8e numéro – en librairie depuis le 28 septembre dernier – et sa survie pour au moins deux ans. Le titre de ce dernier numéro en date est assez éloquent, évoquant notamment un dossier, à l’intérieur, sur les fossoyeurs et les cimetières de nos régions, et la « résurrection » du mook, qui paraissait condamné : « Debout les morts »…

Wilfried, qui ambitionne de raconter la politique comme on écrit un roman, est le dernier en date : premier numéro en juin de cette année, le deuxième attendu fin de ce mois d’octobre. Trop tôt donc pour lui prédire une longue vie ou un parcours de météorite. Mais le premier né de Wilfried s’est vendu à près de 8 000 exemplaires.

Médor, « magazine trimestriel belge et coopératif d’enquêtes et de récits » semble, lui, avoir fait le pari de la pérennité. Outre sa ligne graphique ambitieuse et une ligne éditoriale bien affirmée dans le titre – « Médor n’est pas un chien, mais aime quand même aller mettre son museau là où ça ne sent pas bon » – le trimestriel d’enquêtes se caractérise aussi, surtout, par une structure – la coopérative – et des fondations – une dizaine d’associés fondateurs, un crowdfunding de base qui avait rapporté 90 000 euros, dont 60 000 en abonnements, une grosse présence sur le terrain – qui lui assurent la sympathie, la transparence et une certaine sérénité. Médor estime son budget annuel à 230 000 euros, soit un minimum de 4 000 abonnés et une vente en librairies presque anecdotique ; Médor y est déjà, et peut-être pour longtemps.

(1) 11e marché du livre de Mariemont, au musée royal de Mariemont, à Morlanwelz, du 6 au 8 octobre. www.musee-mariemont.be

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