Le gouvernement wallon s'apprête à diminuer certaines dotations. Ainsi, le Forem devra puiser 25 millions sur ses propres comptes. © Bruno Fahy/Belgaimage

Les millions tant convoités des organismes publics wallons

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Chaque année, le gouvernement octroie un budget de fonctionnement à ses organismes publics. Chaque année, Forem, Spaque et compagnie ne dépensent pas tout. Leurs réserves de trésorerie réunies atteignent donc 1,5 milliard d’euros. Excessif et indécent, juge l’exécutif MR-CDH, qui entend en rapatrier une partie. Excessif, peut-être. Mais pas si indécent que ça.

L’homopoliticus se caractérise par l’acuité de son flair. Tel un cochon truffier ou un chien pisteur, son nez est entraîné à dénicher de l’argent. Il aime renifler les poches de ses congénères électeurs. Pas trop non plus, il faut séduction garder. Alors il est obligé de humer ailleurs, à tout va. Depuis 2015, en Wallonie, le taux de dépenses croît plus vite que celui des recettes. Une situation qui  » aboutit à des déficits budgétaires récurrents  » (583,6 millions d’euros en 2016), ce qui génère des  » besoins de financement subséquents « . Soit  » 1,74 milliard d’euros  » pour l’année 2017 (Cour des comptes, Etat des lieux des finances wallonnes, présenté en octobre dernier).

Christophe Lacroix, ex-ministre (PS) du Budget et de l'Energie, fut le premier à sentir le
Christophe Lacroix, ex-ministre (PS) du Budget et de l’Energie, fut le premier à sentir le  » fumet « .© THIERRY ROGE/belgaimage

A force, il finit par tomber sur une piste bien odorante. Comme ces 1 445 848 910 euros de trésorerie appartenant aux  » unités d’administration publique  » (UAP), nouvelle appellation pour désigner les  » organismes d’intérêt public  » (OIP), complexe dénomination pour parler des Forem, Société wallonne du logement (SWL), Ifapme (Institut wallon de formation en alternance et des indépendants et petites et moyennes entreprises), TEC et autre Awex (Agence wallonne à l’exportation) ou Crac (Centre régional d’aide aux communes). Soit 29 structures publiques dont les comptes sont centralisés au niveau wallon (il en existe bien plus, surtout des  » financières « , mais qui n’entrent pas dans ce périmètre) et sur lesquels il restait, au 31 décembre 2016, près d’1,5 milliard non dépensé. L’équivalent de près de quinze ans de redevance télé ! Un alléchant fumet…

Le premier à l’avoir senti fut Christophe Lacroix (PS), ministre régional du Budget et de l’Energie jusqu’au dégommage estival par le MR et le CDH. Lacroix était chargé de désamorcer la bombe photovoltaïque : 540 millions à débusquer d’ici à 2022 pour parvenir à mettre au frigo les certificats verts et éviter que la bulle n’explose. Le socialiste s’était rendu compte que les trésoreries faisant partie du périmètre wallon avaient quasi triplé en dix ans.  » Avec cet effet paradoxal que plus les sommes sont importantes, plus les banques peuvent appliquer des taux d’intérêt négatif. J’ai donc voulu voir avec certaines UAP ce qu’il leur serait possible de remettre dans un pot commun, pour le dire simplement.  »

Le montage est plus complexe : l’Awac (Agence wallonne de l’air et du climat) était autorisée à descendre en négatif sur son compte, tandis que l’équivalent du montant serait bloqué en garantie chez certaines UAP. Les heureuses (hum, hum ! ) contributrices annoncées étaient celles disposant de plus de 50 millions d’euros d' » épargne « , à savoir le Crac, la SWL, la Sogepa (Société wallonne de gestion et de participations), le Forem, la Spaque (assainissement des sols) et la SWCS (Société wallonne du crédit social).

Pas au courant

Un putsch politique plus tard, le nouveau ministre MR du Budget et de l’Energie, Jean-Luc Crucke, a repris l’idée à son compte. Malgré qu’il l’ait abondamment critiquée lorsqu’il siégeait dans l’opposition, déclarant en substance que ce placard puait  » le cadavre  » (le flair, décidément). Sans doute est-ce pour ne point renier ses positions passées qu’il a promis de revoir le dossier, ultérieurement. En attendant, il a racheté en septembre dernier pour 220 millions de certificats verts. Sauf que les six organismes censés garantir le mécanisme… ne sont pas au courant. Le Crac, le Forem, la SWL et la Spaque n’ont assisté qu’à une seule réunion informative et n’ont plus de nouvelles. La Sogepa affirme n’avoir finalement pas été sollicitée. La SWCS confirme que le dossier lui a été présenté, mais que l’horizon d’investissement ne lui correspondait pas.

Disposer d’une trésorerie est le signe d’une bonne santé financière

Jean-Luc Crucke a-t-il tuyauté une autre solution ? Il n’a pas souhaité s’exprimer avant le vote sur le budget wallon, qui doit être débattu au parlement régional à partir de ce 27 novembre. En tout cas, ses narines ont aussi frémi à l’odeur du fameux milliard et demi.  » Si vous venez me demander de l’argent et que je sais que vous en avez déjà sur votre compte en banque, qui plus est de manière importante, alors je trouve que vous n’êtes pas correct par rapport à l’intérêt général qui exige que l’argent soit dépensé là où on en a le plus besoin « , exposait le libéral à un député lors d’une commission parlementaire, le 25 septembre dernier. Bref le ministre a décidé de donner moins à ces structures qui semblent avoir trop.  » Il n’est que justice que l’on utilise les réserves qui sont là plutôt que d’aller dans la poche de nos concitoyens « , abondait ce jour-là le député CDH Dimitri Fourny.

N’y a-t-il pas suffisamment de chômeurs pour que le Forem ne dépense pas 98,4 millions ? La pénurie de logements sociaux n’est-elle pas assez criante pour que la SWL conserve 240,6 millions ? Les terres wallonnes ne sont-elles pas abondamment polluées pour que la Spaque thésaurise 102 millions ? A écouter la nouvelle majorité MR-CDH, les UAP seraient assises sur un épais matelas sans autre but que le confort de leur sommeil. Alors, le gouvernement s’apprête à diminuer certaines dotations. Ainsi le Forem devra puiser 25 millions sur ses propres comptes. Il a été demandé à la Spaque de  » rapatrier  » 10 millions d’euros. L’Ifapme devra probablement payer un nouveau bâtiment de sa poche plutôt que via un subside. Le Crac attend des précisions.

« Rien d’anormal »

Jean-Luc Crucke, actuel ministre (MR) du Budget et de l'Energie, trouve juste d'utiliser les réserves qui sont là.
Jean-Luc Crucke, actuel ministre (MR) du Budget et de l’Energie, trouve juste d’utiliser les réserves qui sont là.© ERIC LALMAND/belgaimage

Une injustice réparée. Ou pas. Car ce bas de laine n’est pas dormant. Ni écoeurant.  » Disposer d’une trésorerie n’a rien d’anormal, considère Giuseppe Pagano, professeur de finances publiques à l’université de Mons. Il est même souhaitable d’en avoir une, c’est le signe d’une bonne santé financière, sinon il faut emprunter. Mais je me mets aussi à la place du gouvernement, ce sont les subsides qu’il distribue qui constituent ces réserves, qui donc ne lui reviennent pas.  »

Initialement, les organismes devaient rendre leur  » non-consommé  » au gouvernement wallon. Dans les années 1990, le Forem s’était retrouvé avec d’importantes sommes non dépensées à la suite d’un problème de remboursement de cotisations sociales non perçues. Il avait été autorisé à les conserver. Petit à petit, l’exception est devenue la règle pour tous.  » Nous ne cherchons pas à faire des économies. Nous essayons de dépenser intégralement ce qu’on reçoit, assure Marie-Kristine Vanbockestal, administratrice général du Forem. Par contre, garder des réserves est une opportunité de pouvoir les affecter à des projets.  » Et de citer l’achat de matériel informatique, la création des centres de compétences, l’entretien de ses 250 bâtiments… En moyenne, par année, 20 millions ne sont pas utilisés, soit moins de 1 % du budget global de 2,5 milliards.

Les UAP mettent donc de côté pour investir plus tard, mais aussi pour  » couvrir les risques  » éventuels, comme le détaille l’Ifapme. Par exemple des fonds structurels européens qui permettent de financer des collaborateurs, mais dont la reconduction n’est pas garantie. Certaines structures, surtout financières, ont parfois besoin de fonds rapidement.  » Comme dans le dossier Arcelor, qui comportait un volet investissement de 136 millions. Si nous n’avions pas eu de trésorerie, nous n’aurions pas pu intervenir « , fait valoir la Sogepa. La Spaque garantit que les sommes dont elle dispose sont  » uniquement destinées à financer les réhabilitations que nous effectuons « . Les 152 millions de la SWCS, qui octroie des crédits hypothécaires, sont liés au contexte actuel de baisse des taux.  » De nombreux clients ont saisi cette opportunité pour refinancer leur prêt à un taux inférieur, généralement dans une autre banque, ce qui nous a laissé avec d’abondantes liquidités « , justifie Philippe Steufken, adjoint à la direction des ressources financières. Quant au Crac, le  » champion  » aux 378 millions (voir tableau), sa directrice générale Isabelle Nemery explique qu’il ne s’agit pas d’un trop-plein de subsides de fonctionnement mais de fonds pour le financement de subsides alternatifs, une mission confiée par le gouvernement wallon.

Les millions tant convoités des organismes publics wallons

One shot

 » Autant la trésorerie a une utilité, autant 1,5 milliard me semble excessif, il faut rééquilibrer « , estime Stéphane Hazée, chef de groupe Ecolo au parlement wallon. Reste à savoir qui possède trop… Et à quoi servira l’argent récupéré par le gouvernement. A financer des dépenses courantes, comme les premières explications de Jean-Luc Crucke le laissent penser ? Pour le député,  » ça n’aurait aucun sens, car c’est une politique ponctuelle, pas conjoncturelle « . L’année prochaine, il faudra à nouveau trouver de l’argent et le puits des UAP n’est pas sans fond… Pierre-Yves Dermagne, chef de file PS, souligne que l’opération n’aura aucun impact sur l’amélioration du déficit au regard des normes dites  » SEC « , que le gouvernement doit absolument respecter pour rester dans les clous européens. Benoît Bayenet, professeur de finances publiques à l’ULB et vice-président de la Sogepa, abonde et prolonge :  » Il est curieux de sanctionner les bons gestionnaires. Le risque, c’est qu’en réaction, tout le monde se mette exprès à tout dépenser.  »

Puisque les effets positifs sont limités, tout comme finalement le nombre de millions rapatriés, pourquoi le gouvernement en fait-il l’une de ses mesures phares ? Pour la symbolique, peut-être. Pour – comme le suppose un élu –  » casser les jouets de Jean-Claude Marcourt « , l’ancien ministre socialiste de l’Economie chez qui les dirigeants des UAP ont souvent fait leurs armes. Pour les remettre au pas. Car toucher aux réserves de trésorerie des organismes, c’est finalement aussi toucher à leur autonomie…

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