« Les mendiants ne sont pas des fausses notes escamotables »

À quelques jours de la haute saison, le bourgmestre de Blankenberge a l’intention de chasser un maximum de mendiants de sa commune. Pour dégager une impression de qualité. « Une erreur, monsieur le bourgmestre », écrit notre consoeur de Knack Ann Peuteman. « Ce sont vos mendiants, et vous ne pouvez les escamoter tout l’été. »

Je ne sais toujours pas quel regard prendre quand je suis en voiture devant un feu rouge et que je vois arriver un mendiant, généralement appuyé sur une paire de béquilles usées ou avec un bébé d’une propreté douteuse dans les bras. La plupart du temps, je suis gênée. Et donc je détourne le regard, je fais semblant de consulter mon téléphone, ou j’augmente le volume de ma radio. Tout est mieux que de le regarder et de lui faire signer que non. Parfois, je baisse ma vitre et je laisse tomber quelques euros dans son gobelet cabossé, mais souvent, j’ai encore plus honte. De ma voiture de société confortable, de mes vêtements propres, de mon fils bien nourri sur le siège passager. Je suis toujours soulagée quand le feu passe au vert, quand le mendiant clopine vers le bas-côté et que je peux continuer.

Quelqu’un qui tend la main vers vous parce qu’il sait que vous êtes beaucoup mieux loti. C’est presque insupportable. Que vous soyez arrêté au feu rouge, à la Gare Centrale à Bruxelles ou à la plage à Ostende. Mais cela ne signifie pas que j’attends de l’état qu’il cueille tous les mendiants manu militari. Pourtant, c’est ce que veulent faire de plus en plus d’administrations communales pour épargner une rencontre déplaisante à leurs habitants et invités. Elles ne se laissent pas arrêter par le fait que la mendicité est autorisée. Il existe en effet une échappatoire : les communes peuvent proscrire certaines zones de leur territoire. Anvers et Louvain s’en sont déjà servi et à présent c’est au tour de Blankenberge. Bientôt, on ne pourra plus demander l’aumône – tenez-vous bien – dans le centre, dans un périmètre de cent mètres autour de la gare, près des écoles, des supermarchés, des églises et tous les autres bâtiments publics. Blankenberge souhaite effectivement dégager une impression de qualité (suis-je la seule que cela fait ricaner). La commune souhaite attirer les touristes qui n’ont pas seulement les moyens de se payer une glace et un tour en cuistax, mais aussi une assiette de croquettes aux crevettes et une bouteille de cava. Imaginez-vous qu’ils s’en aillent à Knokke ou à Coxyde parce qu’ils doivent constamment repousser les mendiants.

Bien entendu, il est tout à fait normal qu’une ville veuille se montrer sous son meilleur jour, particulièrement lors de la saison touristique ou quand il y a des festivités. Les musiciens de rue doivent passer une audition et les équipes de nettoyage interviennent plusieurs fois par jour pour entretenir les rues, les places et les digues. Mais les mendiants ne sont ni des emballages de bonbons, ni des cannettes de coca vides, ni des fausses notes.

Si de plus en plus de gens mendient dans vos avenues aux boutiques brillantes, ce n’est pas une tache qu’il faut escamoter, c’est le symptôme d’une politique défaillante

« C’est bien beau tout ça, mais il y en a de plus en plus! Il faut donc faire quelque chose », répond-on. Généralement, ce genre de politicien n’a aucune idée d’où vient le fléau. Et quand il se dit au courant, il aime renvoyer la balle à une autre ville, un autre pays ou un autre continent. Erreur, monsieur le bourgmestre, ce sont vos mendiants. Qu’il y en ait de plus en plus, c’est parce que les politiciens regardent de moins en moins derrière eux pour voir si tout le monde suit. Si de plus en plus de gens mendient dans vos avenues de shopping brillantes, ce n’est pas une tache qu’il faut escamoter, mais le symptôme d’une politique défaillante. Je me moque que le mendiant soit né en Belgique, en Roumanie, en Syrie ou à Tombouctou. Et vous aussi vous devriez vous en moquer. Ce sont tous des mendiants. Nos mendiants. Et ils ne disparaîtront pas parce que vous les escamotez en été ou que vous les envoyez en banlieue. Vous pourriez, par exemple, mener une politique de lutte contre la pauvreté décente.

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