Pierre-Yves Dermagne, ministre des Pouvoirs locaux, avait laissé une grande liberté aux auteurs du cadastre des intercommunales. Tout en leur demandant de ne pas trop insister sur les rémunérations. © DANNY GYS/REPORTERS

Les intercommunales (nous) coûtent-elles trop cher ?

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

8 106 706, 55 euros : au centime près, le montant qui a été dépensé en 2016 pour rémunérer les élus siégeant dans les intercommunales wallonnes. Trop ? En 2017, ce sera en tout cas moins. Plusieurs structures ont d’initiative raboté leurs frais. Merci Publifin.

Il était attendu. Comme peuvent l’être des résultats d’examens de fin d’année, une boule au ventre bien que les dés soient jetés. Le cadastre des intercommunales a d’ailleurs des airs de bulletin, avec ses  » clignotants  » rouges et ses bons points verts.  » Je m’attendais à voir des monstruosités partout, mais ce n’est pas le cas « , reconnaît Philippe Barzin, administrateur délégué de la société BSB Management qui a réalisé l’analyse avec quatre professeurs d’université. Qui, au départ, auraient préféré ne pas être sollicités. Pourquoi devraient-ils, eux, débroussailler des structures où l’administration et les ministres successifs n’avaient jamais osé s’aventurer ? Sans le scandale Publifin, Pierre-Yves Dermagne (PS) – en charge des Pouvoirs locaux – n’aurait jamais commandé cet audit, entrepris à la hâte en février dernier et présenté le 29 juin dernier.

Depuis, les 77 intercommunales découvrent, analysent et s’irritent parfois d’erreurs de retranscription, d’éléments incompris ou d’analyses contestables. Les auteurs avaient prévenu : vu la quantité de données récoltées (plus de 400 000) et le timing serré, le résultat ne pouvait être irréprochable. Noyé dans cette masse, un chiffre est passé inaperçu. Irréfutable : 8 106 706,55 euros. Soit le montant global déboursé en 2016 pour rétribuer les mandats (2 126, selon nos calculs) exercés par des élus dans des intercommunales wallonnes. Le cadastre n’a pas passé en revue d’autres types de structures (asbl, invests publics…)

Les auteurs ont légèrement désobéi. Il leur avait été demandé de ne pas trop insister sur la partie  » gros sous « . Dans le climat actuel, ce que gagnent les élus semble toujours trop. Excessifs, ces 8 millions ? En 2017, en tout cas, le même calcul donnera lieu à une somme inférieure.

Francy Dupont (PS) touche 3 270 euros brut par mois pour présider la CILE. Un bon complément de retraite.
Francy Dupont (PS) touche 3 270 euros brut par mois pour présider la CILE. Un bon complément de retraite.© NICOLAS LAMBERT/BELGAIMAGE

Les généreuses

D’abord grâce à la suppression des comités de secteur chez Publifin. Ah, si le cadastre avait existé plus tôt… Peut-être la tutelle se serait-elle inquiétée de ce  » clignotant  » rouge vif : 712 849 euros de coût global, record wallon absolu ! Le scandale liégeois aura au moins incité d’autres structures à faire le ménage. Coup de balai sur les frais ! Surtout chez les plus généreuses. Ores Assets ? Comités de secteur et leurs 96 mandats à la trappe. Ne reste plus qu’un conseil d’administration de 30 membres. Le jeton de présence passe de 538 à 163 euros. Les président et vice-présidents n’en toucheront plus, mais leur salaire fixe a été revalorisé (respectivement à 24 996 et 18 747 euros).  » Les 126 mandats rémunérés en 2016 (avant, il y en avait 330) représentaient pour nos clients 0,40 euro sur la facture annuelle. Désormais, ce sera 0,04 euro « , détaille le porte-parole d’Ores, Jean-Michel Brébant.

Nettoyage également chez Brutélé. Les deux présidentes, Nathalie Gilson (MR) et Anne-Marie Boeckaert (PS), échevines à Ixelles et Charleroi, ont diminué leur salaire (mais ne précisent pas de combien), tout comme les vice-présidents. Le  » fixe  » des administrateurs, experts et commissaires a été supprimé. Ceux-ci se contenteront de jetons de présence. Le coût du CA descend à 150 000 euros brut par an, soit 0,125 % du chiffre d’affaires, contre 0,5 % précédemment.

Ce sont surtout les président et vice-présidents qui coûtent le plus

Chez les autres membres du  » top 10 « , point de dégraissage. Rien ne les y oblige. Tous respectent les critères établis par le Code de la démocratie locale, un savant mélange entre chiffre d’affaires, personnel occupé et population des communes associées. Si les montants paraissent trop élevés, c’est donc à la réglementation wallonne qu’il faut le reprocher…

Ce sont surtout les présidents et vice-présidents qui coûtent le plus. Par exemple, chez Igretec, à Charleroi, Philippe Van Cauwenberghe (PS) a gagné 34 805 euros brut à la présidence en 2016, les trois vice-présidents Philippe Knaepen (MR), Jean-Marc Poullain (CDH) et Philippe Tison (PS) respectivement 22 418 euros, là où un  » simple  » administrateur a empoché 150 euros par réunion. En tant qu’échevin à Charleroi, Philippe Van Cauwenberghe touche déjà 97 000 euros brut. Philippe Knaepen, député wallon, gagne autour de 6 000 euros brut par mois. Jean-Marc Poullain, conseiller communal à Momignies, est gérant de quatre sociétés et était, jusqu’en février dernier, conseiller au cabinet de Maxime Prévot. Philippe Tison, pour sa part, reçoit 59 000 euros comme bourgmestre d’Anderlues et travaillait au cabinet de Paul Furlan avant sa démission. En plus de son activité de courtier en assurances.

Autre casting, mêmes questions. Maggy Yerna chez Isosl et échevine à Liège (97 000 euros), Cyprien Devilers chez Ores et échevin à Charleroi (idem), Nicolas Tzanetatos à l’ISPPC et député wallon, Karl De Vos à l’IPFH et bourgmestre de Chapelle-lez-Herlaimont (59 000 euros)… Où trouvent-ils le temps ? Doivent-ils être (autant) payés pour une activité qui pourrait être considérée comme liée à leur fonction ? Si le décumul financier ou intégral se confirme, la réponse s’imposera d’elle-même.

Activez le mode « plein écran » pour découvrir le cadastre des principales intercommunales wallonnes en 2016.

Les déviantes

Si le cadastre n’a rien d’un catalogue des horreurs, il souligne quelques anomalies. Comme des mandats rémunérés dans des organes non décisionnels, ce qui n’est pas conforme au code de la démocratie locale. Rien de l’ampleur de Publifin. Vingt experts (des fonctionnaires communaux) qui assistent aux conseils d’administration de Brutélé en touchant un jeton de présence (et auparavant une part fixe). Deux mandataires qui recevaient indûment un jeton de présence au Centre hospitalier universitaire de Mons-Borinage, mais qui ont démissionné début 2017. L’ISPPC est épinglée pour 27 mandats, mais les dirigeants de l’hôpital carolo n’ont pas souhaité s’en expliquer, tant qu’ils n’avaient  » pas reçu officiellement le rapport de la part du ministre des Pouvoirs locaux  » (et bien que ce rapport soit en libre accès sur le Net). Les scandales n’inculquent apparemment pas la transparence.

Chez BEP Environnement, à Namur, 38 bourgmestres et échevins des communes associées participaient à un comité d’avis, deux ou trois fois par an, et recevaient 75 euros brut.  » Ça existe depuis longtemps et la tutelle ne nous a jamais fait de remarque. Je lui avais même écrit à ce sujet en janvier dernier, sans réponse, expose Renaud Degueldre, directeur général. Mais puisque les auteurs du cadastre interprètent ça comme illégal, je vais proposer au prochain CA de supprimer les jetons, à titre de précaution.  »

A l’Inasep (épuration des eaux) aussi, des rémunérations ont été sacrifiées : 200 euros brut alloués à 92 échevins ou fonctionnaires (ou leurs suppléants) qui assistaient à des comités de contrôle, maximum deux fois par an.  » C’est fini depuis janvier, puisque c’était en contradiction avec le code, clarifie Didier Hellin, directeur général. Mais je crains que cela pose problème aux échevins de petites communes, qui ne sont pas payés comme dans les grandes villes, et qui doivent prendre congé pour assister aux réunions. Certains ont déjà annoncé qu’ils ne pourraient plus venir.  »

Nicolas Tzanetatos (MR), président de l'ISPPC, n'explique pas à quoi correspondent 27 mandats potentiellement indûment rémunérés.
Nicolas Tzanetatos (MR), président de l’ISPPC, n’explique pas à quoi correspondent 27 mandats potentiellement indûment rémunérés.© ERIC LALMAND/BELGAIMAGE

Les douteuses

Air entendu à plusieurs reprises :  » Chez nous, tout est en ordre. Mais des intercos qui paient 50 personnes et qui font un chiffre d’affaires de 50 millions, ça c’est un gros clignotant rouge ! Et il y en a…  » Une, en réalité : bienvenue à l’IILE, intercommunale d’incendie de Liège et environs. Partout ailleurs en Belgique, les services d’incendie s’organisent autour d’un conseil de sécurité, où les bourgmestres de la zone couverte siègent gratuitement. Mais à l’IILE, 249 846 euros servent à rétribuer 46 mandats. Cette exception liégeoise avait été dénoncée dans la presse dans la foulée de Publifin. Le bourgmestre de la Cité ardente, Willy Demeyer (PS) n’était  » pas fermé  » à une évolution. Qui devra se faire sur base volontaire : les zones de secours dépendant du fédéral, la tutelle wallonne ne pourra pas contredire la sacro-sainte  » autonomie communale « .

Le cadastre pointe d’autres cas discutables : des structures qui n’ont que quelques équivalents temps plein à leur service (voire aucun), mais qui rétribuent leurs administrateurs.  » C’est lié à notre objet, qui est financier, justifie Jean-Pierre Hupkens, président d’Ecetia (collectivités, intercommunale et finances). Nous n’avons pas besoin de beaucoup de personnel. Et les rémunérations sont encore sous le plafond wallon.  » Chez Finimo, holding créé pour gérer le refinancement des parts à Electrabel, il n’y a qu’un employé à Ÿ temps pour 47 760 euros distribués à 16 mandataires. Pour le président, cela est tout à fait justifié.  » Il y a du travail derrière et des prises de responsabilité. Je ne prendrais pas ces engagements à titre gratuit.  »

Les bénévoles

Elles sont rares : 5 sur 77. Mais l’Académie intercommunale de musique de Court-Saint-Etienne, l’ISLSH Piscine de Chimay, AISDE (eau) dans le Condroz, le Centre de santé des Fagnes et l’intercommunale des sports et loisirs du sud Hainaut ne distribuent aucun jeton.  » Une question de moyens, mais pas seulement, déclare le président de la dernière structure, Florent Thonet, conseiller communal à Chimay. Nous, élus, sommes là pour travailler, pas pour s’en mettre plein les poches. Dès la première réunion, il a été décidé que personne ne serait payé et ça n’a pas posé problème. Nous avons de gros projets (rénovation d’une piscine, d’un centre sportif…), ça représente peut-être 20 heures d’investissement personnel par semaine. Mais, pour moi, la politique est une passion et une passion ne doit pas être rémunérée.  » Ainsi soit-il.

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