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Les Frères musulmans font leur foire

Discrète en Belgique, la mouvance des Frères musulmans va s’extérioriser à Bruxelles lors d’une foire commerciale et religieuse. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ?

Du 28 septembre au 1er octobre, le site de Tours & Taxis accueillera la première foire musulmane de Bruxelles. Selon les estimations peut-être trop optimistes des organisateurs, 25 000 visiteurs sont attendus au détour de 100 à 150 stands à connotation islamique ou moyen-orientale : services financiers, littérature, nourriture, mode, déco, etc. Un but de sortie en soi, mais pas seulement.

Comme son aînée française qui se tient chaque printemps au Bourget, près de Paris, l’événement est organisé par la société Gedis. Celle-ci dépend de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), cataloguée Frères musulmans. Dans la partie « forum », les conférenciers ont été choisis par la Ligue des musulmans de Belgique, également d’obédience FM. Son vice-président, Karim Azzouzi, refuse pourtant d’assumer l’étiquette de son organisation. Peur de la légende noire des FM ? « Les musulmans se considèrent comme des citoyens normaux, ils veulent s’impliquer dans la société en mettant en avant les valeurs de solidarité, de liberté et d’égalité, tout en maintenant toujours le rapport à Dieu, à la foi, à la spiritualité. Il y a plusieurs courants chez les musulmans. Certains ont une lecture très rigoriste des textes. D’autres, comme le Conseil européen des avis juridiques [NDLR : fatwa] et de la recherche, cherchent à relire les textes à la lumière du contexte. »

Le coming out de l’islamologue Michaël Privot, directeur de l’Enar (lobby antiraciste européen) reste donc une exception. Il vient de faire le chemin inverse. Sous le titre de Getting out, il a annoncé sur son blog qu’il mettait « fin à tous ses liens avec la mouvance des Frères musulmans européens ». Trop lourd à porter. La nébuleuse FM est cependant loin d’être monolithique, tiraillée entre courants et obédiences nationales ou internationalistes (cette dernière tendance est coordonnée en Egypte, où la confrérie est née en 1928). Le printemps arabe a brouillé les repères. Certains FM, réfugiés en Belgique comme opposants, sont retournés dans leur pays sous l’habit d’hommes politiques. Ainsi, l’ancien n° 2 d’Ennahda en Europe, Walid Bennani, est devenu député en Tunisie après avoir longtemps vécu en région liégeoise. D’autres se sentent pousser des ailes, tel Bassem Hatahet. Il occupe la scène européenne au nom de l’opposition syrienne en exil. Les voilà soudain moins disponibles. Les organisateurs de la foire appar- tiennent, eux, au courant internationaliste. Ils sont destinés à rester.

Les Frères d’aujourd’hui – tout au plus quelques dizaines en Belgique, à bonne source – ont mûri. Ils ont eu des divergences, ont beaucoup débattu entre eux, peu recruté mais ils finissent par occuper le terrain à force d’entregent et de discours habiles (pas toujours les mêmes en privé qu’en public). Concurrencés auprès des jeunes des quartiers par les salafistes, ils peuvent s’appuyer sur leur réseau d’associations amies (peu de mosquées) et sur leurs connexions internationales. D’après le sociologue français Samir Amghar, on dénombre près de 500 regroupements liés aux Frères musulmans dans 28 pays européens ainsi qu’aux Etats-Unis et au Canada. Particularité : ils ne se reconnaissent pas comme une organisation orientée idéologiquement (conservatrice) et datée historiquement (l’influence totalitaire des années 1930). Ils sont les musulmans comme autrefois le Parti communiste se voulait l’avant-garde éclairée du prolétariat. A ce titre, ils recherchent l’exclusivité de la représentation des musulmans auprès des autorités, du niveau communal à l’Union européenne.

Les Frères musulmans, qu’ils soient adoubés ou sympathisants, sont-ils un frein à l’intégration des musulmans ? La réponse est affaire de timing dans la mesure où, minoritaires, ils défendent l’identité musulmane mais sans rejeter les élections ni la citoyenneté. A plus long terme, c’est une énigme. L’entrisme dans le milieu politique ou les instances de la société civile est l’un de leurs péchés mignons. Suite à des échecs individuels ici ou là, certains militants considèrent qu’ils arriveraient mieux à leurs fins par l’économie. D’où l’essor du halal, qui, de fait, sépare les musulmans des non-musulmans.

Le petit-fils du fondateur de la confrérie, Tariq Ramadan, est l’un des invités vedettes de la journée du 29 septembre. Il débattra du thème « Musulman entre texte et contexte », en duo avec le cheikh Issam Al Bachir. Ce dernier, théologien très prestigieux, a été ministre dans un gouvernement Frères musulmans au Soudan. Comme un autre FM célèbre, le cheikh Youssef Al Qaradaoui, il a justifié les attentats-martyrs dans les pays où l’islam était attaqué : Palestine, Irak, Afghanistan, etc. Aujourd’hui, Issam Al Bachir est membre du Conseil européen de la fatwa et de la recherche (CEFR) basé à Dublin (Irlande). Deux autres membres du CEFR sont annoncés à Bruxelles : son vice-président, le théologien mauritanien Abdallah Ben Biyya, et le théologien tunisien Ahmed Jaballah, président de l’UOIF et vice-président de la Fédération des organisations islamiques en Europe, lui aussi partisan des attentats-martyrs. Les intervenants plus locaux sont les prédicateurs Yacob Mahi (Présence musulmane), Mustafa Kastit (mosquée du Cinquantenaire, de tendance salafiste mais proche des Frères) et le Français Hassan Iquioussen, conférencier de la mouvance FM très présent en Belgique.

La tonalité générale de la première foire musulmane de Bruxelles (ou de Belgique, selon les ambitions) est donc connotée islamiste. Sera-t-elle l’occasion de discours politiques ? Parmi les sujets d’actualité figure l’institutionnalisation de l’islam, toujours en panne suite aux divisions de l’Exécutif des musulmans de Belgique. « Les musulmans ont le droit de savoir ce qui s’y passe », affirme Karim Azzouzi, vice-président de la Ligue des musulmans de Belgique. Sans compter la récente affaire du film L’Innocence des musulmans qui risque de s’inviter dans les débats. Pour ces raisons, cette première édition de la foire fera date.

MARIE-CÉCILE ROYEN

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