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« Les fraudeurs sont dans les mêmes circuits que les grands criminels »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le Groupe d’action financière (Gafi) a rendu son évaluation finale sur la politique belge de lutte contre le blanchiment. Résultat : très moyen. La Belgique peut mieux faire. Entretien exclusif avec Jean-Claude Delepière, le patron de la Cellule de traitement des informations financières.

Le Vif/L’Express : La Belgique reçoit-elle une bonne ou une mauvaise évaluation du Gafi ?

Jean-Claude Delepière : Le résultat est celui auquel on pouvait s’attendre. Sur onze points évalués, nous obtenons quatre résultats « significatifs » et sept « modérés » (1). C’est déjà un peu mieux – un « significatif » de plus – par rapport à l’évaluation provisoire avant discussion en séance plénière. A priori, cela ne paraît pas terrible. Mais il faut reconnaître que le blanchiment est devenu un phénomène transnational très complexe. Même chose pour le financement du terrorisme. Tout cela dans un contexte de crise où les Etats disposent de moins de moyens financiers. Par ailleurs, ce quatrième cycle d’évaluation est plus exigeant que les précédents puisqu’il mesure non plus seulement l’adéquation de notre législation mais aussi son effectivité, donc les résultats obtenus au bout de la chaîne. Au vu de tout cela, on savait que la Belgique ne reproduirait pas son excellent résultat de 2005.

Peut-on donner des chiffres permettant de se représenter le blanchiment en Belgique ?

En vingt années d’existence, la CTIF (Cellule de traitement des informations financières) a détecté 22 milliards d’euros dans des dossiers qu’elle a transmis aux autorités judiciaires. Soit, en moyenne, un bon milliard par an. La justice a récupéré, du moins dans les jugements prononcés, entre 3 et 5 % du montant. La moyenne globale au niveau mondial est de 1 % récupéré. La Belgique a néanmoins des progrès à faire, c’est évident. Il serait insensé de laisser les recommandations du Gafi sans suite.

L’impuissance de la justice pénale dans les dossiers financiers est aussi durement pointée par le Gafi. C’est un choix politique, cette impuissance ?

On a, en tout cas, laissé les choses tellement traîner que les autorités sont aujourd’hui clairement dépassées par la situation. On a péché par défaut de prévoyance. La mondialisation a permis à la criminalité financière de se développer de manière considérable. La vague nous submerge. La transaction pénale élargie est un bel exemple de l’abandon de la puissance publique, d’autant que chez nous cela ne fonctionne pas comme aux Etats-Unis. Le procureur belge qui négocie une transaction ne peut, lui, faire pression sur le prévenu en le menaçant d’un procès efficace et expéditif, puisque la justice pénale ne fonctionne pas. Les criminels payent donc juste le prix de leur confort. Bref, la question est de savoir comment reprendre du terrain, désormais. La lutte contre la criminalité financière n’a jamais été une priorité dans un plan national de sécurité…

Pour quelle raison ?

Parce que l’alibi fiscal déforce la lutte contre ce type de criminalité. Il y a toujours eu un consensus à considérer que la fraude fiscale n’est pas si grave. Or, finalement, les fraudeurs se retrouvent dans les mêmes circuits que les grands criminels. Les paradis fiscaux servent aussi aux trafiquants de drogue et à l’Etat islamique.

(1) Il y a quatre niveaux de résultats dans les évaluations du Gafi : élevé, significatif, modéré et bas.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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