Stéphan Jourdain, Franco Dragone, Bernard Tapie : trois procédures remarquées. En 2015, les laminoirs de Longtain ont enchaîné deux PRJ. En 2016, le parquet ouvrait une information judiciaire en lien avec la PRJ des Productions du dragon. Fin janvier 2018, le tribunal de commerce de Bruxelles déclarait irrecevables les PRJ introduites pour les sociétés belges de l'homme d'affaires français, au bord de la faillite. Pieter Jan Vanstockstraeten/photo news - ERIC LALMAND, imago/belgaimage © Pieter Jan Vanstockstraeten/photo news - ERIC LALMAND, imago/belgaimage

Les failles de la loi sur les procédures en réorganisation judiciaire

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Le 1er mai prochain, la loi sur les procédures en réorganisation judiciaire (PRJ) sera modifiée. Surtout à la marge : les failles que contient ce texte ne seront pas colmatées. Une minorité d’entrepreneurs semble utiliser cette voie non pas pour garantir la continuité de leur société en difficulté, mais pour se débarrasser de certaines dettes ou s’offrir un avantage concurrentiel.

ENQUETE EDITION DU LIVRE – DROIT DE REPONSE DE M. Alain Van Gelderen et de la société Renaissance SA

Etre à l’origine d’une loi, tout le monde ne peut s’en vanter. Et peut-être vaut-il mieux, parfois, ne pas le revendiquer. Alain Van Gelderen a eu ce privilège ou ce déplaisir, c’est selon. L’affaire remonte à 2009. L’entrepreneur n’était, à ce moment, pas encore administrateur délégué de la maison d’édition Renaissance du livre, mais faisait dans la carte routière, chez De Rouck Geomatics. La société cumulait alors tellement de dettes que le patron avait sollicité une procédure en réorganisation judiciaire (PRJ). Une toute nouvelle réglementation, entrée en vigueur la même année, qui permet à une firme de se mettre temporairement à l’abri de ses créanciers. Pour redresser la barre, elle peut non seulement étaler le paiement de son dû, mais aussi le réduire, sans limite à l’époque. Pourvu que la majorité des créanciers soient d’accord. Et ils le furent.

Trois ans après cette première PRJ, quasi jour pour jour au terme du délai légal, l’entreprise en sollicita une deuxième. Et reprit, parmi ses créances, celles qu’elle n’avait pas encore fini d’honorer depuis 2009. Dont celles envers le SPF Finances et l’ONSS, qui n’apprécièrent guère. Raboter une seconde fois des montants qui l’avaient déjà été ! L’Etat belge attaqua en justice, perdit par deux fois, alla en cassation. Et, entre-temps, changea la loi. Plus question d’autoriser les  » PRJ sur PRJ « , comme on les surnomme dans le monde judiciaire. Le texte du 25 avril 2014 interdit de  » remettre en cause les acquis des créanciers obtenus lors de la procédure antérieure « .

De Rouck Geomatics n’était évidemment pas la première entreprise à profiter de ce point faible législatif, mais c’est en tout cas après avoir été débouté en appel dans ce dossier, en 2013, que l’Etat rectifia le tir. Alain Van Gelderen, quant à lui, continua à approfondir sa connaissance de la PRJ. Toutes les sociétés qu’il a dirigées sont passées par là. Dix autres procédures au total. De nombreux créanciers lésés l’accusent de se servir des failles de la loi pour se débarrasser de ses dettes (lire  » Les drôles de comptes de l’éditeur « , dans Le Vif/L’Express du 1er février et le droit de réponse de M. Van Gelderen et Renaissance dans le Vif/l’Express du 15 février 2018).

« Nous sommes parfois démunis »

Au-delà de ce cas particulier, ces failles sont bien réelles, selon les juges et avocats interrogés.  » Il existe plusieurs garde-fous, précise ce magistrat. Mais il est certain que quelques débiteurs connaissent très bien cette loi et l’utilisent à leur avantage. Nous sommes parfois démunis.  »  » Notre métier n’est pas de rendre justice, mais de faire appliquer la loi « , soupire un juge délégué. Les dossiers borderline ne se comptent pas par milliers. Mais lorsqu’ils se présentent, ils concernent souvent des créances dites  » intercos « , entre filiales d’un même groupe.  » Si une entreprise présente de l’endettement à l’égard de sociétés apparentées, elle a la capacité de se ménager des votes favorables « , résume Pierre Ramquet, avocat spécialisé en droit des sociétés au sein du cabinet Actéo.

Il n’est pas rare que la PRJ soit utilisée comme joker alors que la faillite semble inévitable

Car, pour être approuvée, une PRJ doit recueillir la double majorité : du nombre de créanciers et du montant. Obtenir l’une mais pas l’autre ne permet pas au plan de passer. Pour protéger ses arrières, la tentation peut être grande d’impliquer d’autres entreprises liées, voire de ne pas payer volontairement une partie des notes de frais à son personnel, pour s’assurer de votes favorables. Un entrepreneur a même déjà tenté le coup avec ses parents et d’autres membres de sa famille. La loi ne l’interdit pas noir sur blanc, mais le tribunal avait tout de même considéré qu’une telle tactique était contraire à l’ordre public et avait refusé l’homologation.

La FEB (Fédération des entreprises de Belgique) s’était par ailleurs déjà interrogée quant à la possibilité d’utiliser la PRJ pour s’offrir un avantage concurrentiel. Par exemple, en diminuant fortement ses prix durant la période de sursis, lors de laquelle la société est mise à l’abri de ses créanciers et ne doit rien payer. Au contraire de ses compétiteurs, qui peuvent alors se retrouver en difficulté. Puis, une firme autorisée à ne pas honorer une partie de ses dettes aura toujours un avantage par rapport à sa rivale qui, elle, devra toutes les assumer…

Habiller la mariée

Durant ce sursis, l’entreprise peut aussi continuer à vendre certains de ses actifs, pour se renflouer. Mais rien ne l’oblige à utiliser ces sommes pour apurer les dettes reprises dans le plan.  » Cela peut être très frustrant, de voir de l’argent rentrer et de ne rien recevoir, pointe Gil Knops, avocat spécialisé en droit commercial. Cette période peut aussi être utilisée pour habiller la mariée en cas de revente ultérieure, ou pour faire rentrer de la trésorerie avant la mise en faillite.  »

D’ailleurs, il n’est pas rare que la PRJ soit utilisée comme joker alors que la faillite semble inévitable. Ce qui fait pester ce magistrat.  » Le contrôle à l’ouverture d’une procédure est assez marginal. Il y a certes des critères de recevabilité, mais si tous les éléments sont là, nous devons y consacrer autant de temps que pour d’autres dossiers, même si l’on sait très bien que ça ne va pas marcher.  » Autre élément d’irritation : les comptes courants à l’actif.  » Soit quand l’entrepreneur a emprunté de l’argent à sa société. Il en a le droit, bien sûr, mais parfois cette somme permettrait de rembourser les créanciers. Peut-être faudrait-il que la procédure ne soit possible que si les comptes courants ont été remboursés.  »

Le 1er mai prochain, de nouvelles modifications de la loi sur les PRJ entreront en vigueur. Essentiellement d’ordre technique, comme l’introduction d’une procédure électronique, le renforcement des tentatives de conciliation à l’amiable, diverses adaptations à la jurisprudence… Mais rien qui tenterait de colmater les failles dans lesquelles certains entrepreneurs semblent s’engouffrer.

Au moins, les créanciers lésés recouvreront à l’avenir (un peu) plus d’argent. Le seuil d’abattement, inexistant en 2009 et fixé à maximum 85 % en 2013, sera relevé à 80 % à partir du 1er mai. Cinq pourcents en plus, c’est déjà ça. Et ce n’est sans doute pas l’Etat belge qui s’en plaindra. En près de neuf ans, le SPF Finances estime qu’environ 60 000 dettes en contributions directes et en TVA ont été reprises dans des PRJ. Pour la première catégorie (les statistiques TVA ne sont pas disponibles), seuls 30 % des montants ont été récupérés.

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