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Les Diables rouges, sauveurs au sud, managers au nord

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Oui, les Diables Rouges ont une dimension politique ! Ils sont aussi le miroir du fossé qui se creuse entre francophones et Flamands.

« Les équipes nationales constituent des objets politiques à part entière. » C’est la leçon principale de l’ouvrage collectif édité par Jean-Michel De Waele, professeur de sciences politiques de l’ULB, consacré aux supporters nationaux (1). « Plus que jamais, l’équipe nationale est un miroir déformant de la façon dont une nation se voit. »

Dans le cas de la Belgique, cette dimension politique a pris de l’ampleur ces dernières années. En raison de la qualité retrouvée des Diables Rouges et de la stratégie marketing offensive de l’Union belge. Mais c’est, aussi, un révélateur de notre malaise existentiel. « La montée du nationalisme en Flandre et la situation politique tendue que la Belgique traverse depuis une décennie ont sans doute joué un rôle catalyseur dans l’euphorie généralisée qui a envahi le pays, et persiste, à chaque rencontre des Diables », écrivent Jean-Michel De Waele et Grégory Sterck, dans le chapitre qui leur est consacré.

« Notre équipe nationale a été convoquée par une partie de l’opinion publique pour sauver le pays, prolonge pour nous le professeur de l’ULB. C’est un phénomène inédit ! Cette politisation des Diables Rouges s’est faite en partie malgré eux, mais l’attitude belgicaine de l’entraîneur Marc Wilmots et du capitaine Vincent Kompany y a aussi contribué. »

Une perception à deux vitesses

Rien n’est toutefois simple dans notre pays. Flamands et francophones ont une perception des Diables à deux vitesses. « Chacun y projette ses propres aspirations, explique Jean-Michel De Waele. Au sud, ils ont été investis d’un rôle de sauveurs de la nation, qui les dépasse. On voit en eux la preuve d’une intégration réussie, avec des valeurs humanistes… Au nord, ce sont plutôt des jeunes qui gagnent de l’argent et partent à l’étranger, qui réussissent, des managers… »

A la veille de cet Euro français, l’engouement semble toutefois moins prononcé. « Parce que nous avons peur qu’ils se fassent éliminer rapidement et que ça pourrait ne pas nous plaire ? » s’interroge le politologue. C’est, aussi, l’effet du retour manqué du Brésil, il y a deux ans. Les joueurs avaient un temps ignoré la ferveur populaire qui avait accompagné leur parcours en Coupe du monde, frustrant les supporters, avant que des affaires financières n’éclatent. Un début de désamour.

Partout, la politique s’invite dans le football. C’est le cas en France, depuis un moment : « A travers le foot, on a senti la haine des banlieues monter, dit le coordinateur du livre. On est passé de l’équipe black-blanc-beur championne du monde de 1998 aux « gamins de merde » du bus de la Coupe de monde 2010. C’est le reflet de l’hyperconservatisme des Français. » En Allemagne, par contre, le métissage est une fête. « Le football a cessé d’y être monolithique et la Mannschaft y a gagné énormément. Cette nouvelle Allemagne est sympathique. »

Mais les équipes nationales deviennent elles aussi des marques commerciales. « C’est la même évolution que les clubs : de plus en plus de supporters adoptent un pays étranger en plus du leur », conclut Jean-Michel De Waele. Ces identités croisées coloreront-elles le monde de demain ?

(1) Soutenir l’équipe nationale de football. Enjeux politique et identitaire, édité par Jean-Michel De Waele et Frédéric Louault, Les Editions de l’université de Bruxelles, 196 p.

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