Les bords du monde

La manipulation des profondeurs de champ, les reflets acidulés et les indices dispersés, induisent une temporalité hors de portée. Inquiétante même.

Au loin, dans le flou, le lieu où « cela » se passe. A gauche, la longue voiture rouge indique l’Amérique des années 1960. A droite, au loin, on devine des maisons. Au centre, la lumière illumine un large chemin arboré sur lequel un enfant roule à bicyclette. La lumière et les ombres portées suggèrent une douceur de fin d’après-midi paisible. La scène principale occupe le plan médian même si la mise au point opérée par le peintre ne couvre que l’espace du premier plan, le ruisseau. Les deux fillettes ont installé une table et jouent aux adultes en pique-nique. On voit à leur attitude, à leurs accoutrements festifs que ce rôle n’est qu’en partie respecté. Les enfants vivent ici un présent qui se moque bien de la vraisemblance. Ils sont dans l’imaginaire et c’est là, leur seule et merveilleuse réalité. Le ruisseau (« les bords du monde » indique le titre de l’oeuvre) est un océan sur lequel navires et voiliers emportent des équipages les plus divers. Alors, que nous enseigne cette image du Français Frédéric Duprun (°1968)? Si elle doit à une certaine nostalgie et s’est construite à partir d’une photographie ancienne, le peintre use des possibilités de son métier pour faire crisser les teintes. L’invraisemblable s’insinue. Du coup, l’instant photographié vire de bord grâce au pinceau et se transforme en une méditation. L’instant béni de l’image photographique cède sa place à autre chose. L’émerveillement gagne d’autres étages. La manipulation des profondeurs de champ, les reflets acidulés et les indices dispersés, induisent une temporalité hors de portée. Inquiétante même.