Mischaël Modrikamen s'est placé au coeur d'un réseau politique international, raflant au passage d'intéressantes subventions du Parlement européen. © Belga Image

Les bons comptes de Modrikamen pour obtenir des subventions européennes

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le Parti populaire profite, politiquement et économiquement, de son alliance avec d’autres partis de la droite eurosceptique dans l’Alliance pour la démocratie directe en Europe. En approchant dangereusement les limites de la légalité.

Un parti politique est affaire d’idéaux, de convictions et de combats. Mais c’est aussi un idéal d’affaires, une entreprise qui doit trouver un capital qui n’est pas qu’électoral, et qui doit le faire fructifier. Un avocat d’affaires qui préside un parti le sait mieux que quiconque. De fait, Mischaël Modrikamen a composé, autour et à partir de son Parti populaire (PP), un ingénieux mécanisme politique. Et économique. Un des carburants de sa machine, eurosceptique depuis quelques années déjà, est d’une essence européenne. L’Alliance pour la démocratie directe en Europe (ADDE) et l’Institut pour la démocratie directe en Europe (IDDE), deux asbl de droit belge, sont des catalyseurs de subventions européennes, et une société coopérative à responsabilité limitée, le Freedom Media Group, en est le réservoir belge. D’autres formations de la droite eurosceptique, parmi lesquelles l’Ukip du bouillant britannique Nigel Farage, Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, les Démocrates suédois, ainsi que des Tchèques, des Lituaniens, des Polonais, et même une eurodéputée de l’Alternative pour l’Allemagne, en profitent également. Mais c’est le petit Parti populaire qui est au volant.

Pour comprendre comment ces forces de droite pompent une partie de leurs ressources de l’institution qu’ils honnissent, il faut passer par le quartier européen de Bruxelles. Par le square de Meeûs plus précisément, juste à mi-chemin entre la station de métro Trône et la gare de Bruxelles-Luxembourg. Et il faut voir un des gris bâtiments qui ceignent ce petit parc sans la moindre personnalité, celui qui abrite le siège de l’ADDE et de l’IDDE. Mais contrairement aux autres fédérations européennes, les quartiers généraux de la formation paneuropéenne et de sa fondation font peine à voir. Ou plutôt à ne pas voir, puisqu’ils ne comptent que quelques mètres carrés, dans un immeuble loué à une société immobilière spécialisée dans les bureaux clé sur porte. Ce siège, en fait, n’est qu’une boîte aux lettres. Car l’ADDE et l’IDDE sont dirigés depuis le domicile de Mischaël Modrikamen, à Boitsfort, avenue du Houx. Yasmine Dehaene, son épouse, en est la secrétaire générale. A leur fondation en septembre 2014, c’est la propriété boitsfortoise du couple qui en est le siège social. Mais c’est aussi dans la grande villa de l’avenue du Houx que sont notamment localisées deux autres sociétés, la fondation privée Fondation populaire, constituée le 13 décembre 2010, et l’asbl Financement public du PP. Et, explique lui-même le président Modrikamen,  » un parti européen ne peut avoir le même siège qu’une des formations nationales qui le composent « .

Comme d'autres formations eurosceptiques, l'Ukip de Nigel Farage profite aussi des subventions européennes.
Comme d’autres formations eurosceptiques, l’Ukip de Nigel Farage profite aussi des subventions européennes.© WIKTOR DABKOWSKI/REPORTERS

C’est pourquoi, dès les semaines qui suivent leur création, ADDE et IDDE ont dû se trouver un domicile compatible avec leur ambition.  » Il y a des gens qui y passent, des collaborateurs de nos partis lorsqu’ils sont à Bruxelles et qu’ils ont besoin d’un local l’utilisent « , précise Mischaël Modrikamen.  » Mais c’est vrai que ce sont deux structures assez légères, qui emploient surtout des profils très spécifiques, pour des missions précises, le plus souvent sous statut d’indépendant. C’est aussi en conformité avec nos valeurs : le PPE ou le PSE, eux, ne luttent pas contre la bureaucratie… Et quand nous avons une réunion à organiser, il est souvent plus facile de la tenir dans une des salles du Parlement, que ce soit à Bruxelles ou à Strasbourg. On reprocheaux milieux européens d’avoir des sièges luxueux, des voitures avec chauffeurs, etc. Nous, on a des gens qui travaillent de chez eux. Où est le problème ?  »

Pourquoi deux millions annuels de subsides ?

En effet, l’Union finance les partis paneuropéens et la fondation qui peut leur être attachée dès lors qu’ils souscrivent à certains critères formels : participer aux élections européennes, disposer de parlementaires européens, nationaux ou régionaux, dans au moins un quart des pays de l’Union, et donc, ne pas partager son siège avec un parti national.

Nous, on a des gens qui travaillent de chez eux. Où est le problème ?

Lorsque Mischaël Modrikamen et ses camarades, à l’automne 2014, fondent l’ADDE, ces critères sont remplis, et celui du quartier général, on l’a vu, est vite réglé. L’avocat des petits actionnaires de Fortis a patiemment rameuté des parlementaires de toute la droite européenne, fédérés par un idéal conservateur, certes, mais unis, aussi, par la perspective de percevoir d’intéressantes subventions du Parlement européen. C’est un joli coup de Mischaël Modrikamen, qui se place ainsi au coeur d’un réseau politique international, et qui lui permettra de discourir aux quatre coins du monde, de Jérusalem à Paris, et de Moscou, où il se prévaut d’amitiés poutiniennes, à la prestigieuse et ultraconservatrice Heritage Foundation de Washington. Au prix d’une certaine réorientation idéologique : à sa naissance en effet, en novembre 2009, le PP se voulait libéral, atlantiste et européiste. Aujourd’hui, il est conservateur et eurosceptique, et soutient l’isolationnisme de Donald Trump et l’expansionnisme de Vladimir Poutine.

 » Mon approche, dit-il, est plus mesurée par rapport à l’Union européenne que chez certains de nos partenaires, c’est vrai. Je veux plus de souveraineté pour les Etats membres, mais je ne suis pas antieuropéen. Ce n’est pas de l’opportunisme ! L’Europe est en faillite, une faillite totale encourue ces deux dernières années avec la crise des réfugiés. Tous les sondages montrent que le rejet de l’UE est massif. Mais je n’appelle pas la Belgique à quitter l’Union européenne…  »

Le bénéfice, pour Mischaël Modrikamen, est donc d’abord politique.  » Je peux m’exprimer partout dans le monde, sauf en Belgique, maintenant « , s’amuse-t-il. Mais il est aussi, ne lui en déplaise, véconomique. Pour l’exercice 2016, l’ADDE et l’IDDE percevront respectivement 1 403 000 et 835 000 euros de subventions du Parlement européen.

Or, que font ces deux institutions de ces deux millions d’euros annuels, à part louer un petit local au square de Meeûs ? C’est ici que ça se complique.

Car il n’y a pas que les critères formels, pour se voir subventionner par le Parlement européen. Il y a aussi le fond. Un parti paneuropéen a certes le droit de professer son euroscepticisme. Mais il ne peut en aucun cas le faire en dehors de toute coordination continentale. Critiquer l’Europe avec de l’argent européen, d’accord. Mais pas chacun dans son coin. Un règlement européen de 2003 interdit  » les dépenses de campagne pour les référendums et les élections nationales  » et  » le financement direct ou indirect de partis nationaux, de candidats électoraux ou de fondations politiques aussi bien au niveau national que communautaire « .

Or, l’ADDE et l’IDDE ne semblent pas se caractériser par la vigueur de leurs initiatives. Leurs sites Internet, uniquement consultables en français et en anglais, sont très peu documentés (cinq  » publications  » et cinq  » articles  » en un an sur le site anglophone de l’IDDE, et autant en français, dont une manifestement plagiée de… doctissimo.fr). En revanche, il apparaît que certains de leurs investissements servent assez directement à financer des opérations menées par le seul Parti populaire sur le seul échiquier belge francophone. Et chaque parti membre semblerait bien pouvoir utiliser de la sorte la part qui lui revient sur ces deux millions d’euros annuels.

Ainsi par exemple et pour l’anecdote les  » verre de l’amitié et sandwiches offerts par l’ADDE « , au congrès national du Parti populaire sur l’immigration, le 24 octobre 2015.

Ainsi par exemple et significativement l’étude, présentée à ce même congrès, sur les  » coûts et contributions de l’immigration intra et extraeuropéenne en Belgique « . Les 110 pages de ce gros travail sont éditées par l’IDDE, et présentées comme une de ses recherches. Mais, comme l’indique leur intitulé, elles ne concernent que la Belgique. Elles n’ont été publiées qu’en français. Et on ne les retrouve ni sur le site de l’IDDE ni sur celui de l’ADDE. Mais bien sur celui du Parti populaire et de son organe, Le Peuple.

Ainsi par exemple également les services que preste la Scrl Freedom Media Group pour l’ADDE et l’IDDE. Des services de type audiovisuel, des reportages et des interviews mis en ligne sur les différents sites de la galaxie eurocritique. Quelle est cette société à qui l’ADDE et l’IDDE que dirige l’épouse du président du Parti populaire donnent l’argent reçu du Parlement européen ? Une scrl que l’on pourrait difficilement qualifier autrement que liée au Parti populaire puisque constituée, fin janvier 2014, par deux personnes physiques, Mischaël Modrikamen et son fils Nathan, et par une personne morale : la Fondation populaire. Le siège social de Freedom Media Group se situe à l’avenue du Houx. Elle gère également le site Internet du Peuple, pour qui elle se charge aussi de trouver des annonceurs. La législation belge interdit aux partis politiques de recevoir des dons de sociétés, quelles qu’elles soient, mais pas aux sociétés fondées par les fondateurs de partis politiques pour promouvoir leur formation…

 » Si Freedom Media Group preste des services pour l’ADDE, c’est après des appels d’offres, et nous les avons gagnés parce que nous étions moins chers, c’est tout. On est à 6 % dans les sondages, presque autant que le PTB, que DéFI, ou que le CDH, et la seule raison pour laquelle on m’interroge, c’est pour voir si nous occupons bien les bureaux que nous louons… « , s’énerve Mischaël Modrikamen.

Il n’a pas tort, au fond. Mais il semble bien employer certains fonds à tort. Or, les gendarmes de l’Union sont très sourcilleux sur la manière dont on utilise leur argent. Aux dernières législatives britanniques, puis dans les semaines précédant le référendum sur le Brexit, des eurodéputés Ukip l’ont appris à leurs dépens après que plusieurs de leurs assistants parlementaires bruxello-strasbourgeois avaient participé à leur campagne électorale.

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