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Les 7 critères que devra remplir l’élu(e) de demain

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Les scandales ont sapé la confiance entre citoyens et élus. Il faut tout changer, scande-t-on. Recomposer. Et d’autres dirigeants. Mais, concrètement, à quoi doit ressembler l’homme politique nouveau ? Quels critères doit-il remplir ? Quelle rétribution ? Quels mandats ? Pendant combien de temps ? Suivez le guide.

 » Je sais que votre thèse consiste à croire que nous sommes ici 186 petits dieux plus au courant des intérêts du pays que n’importe qui ! Que nous avons tous des qualités extraordinaires, que nous avons la science infuse ! […] C’est là une fiction : c’est la fiction du régime représentatif, fiction nécessaire, je le reconnais, mais il faut cependant bien avouer que ce n’est tout de même qu’une fiction. […] Il est utile que, souvent, nous allions voir au sein de la nation ce qu’elle pense, ce qu’elle dit, quel est son sentiment, quels sont ses intérêts.  » Il y a des paroles politiques agréables à entendre. Merci, Léon Troclet. Ne cherchez pas : il n’est ni un (arrière-petit-) fils de, ni un obscur député. Juste l’un des instigateurs du suffrage universel (masculin, il fallait quand même pas rêver à l’égalité des sexes en 1921). Sonnez hautbois, résonnez musettes ! La Belgique était entrée dans l’ère démocratique.

L’histoire se répète : chaque fois qu’un régime autoritaire tombe, quelque part dans le monde, le pays ne sera remis sur les rails qu’après l’organisation d’un scrutin.  » Ce lien entre démocratie et élections semble naturel et universel. Or, c’est quelque chose de récent, qui apparaît au xviiie siècle « , observe Sébastien Laoureux, professeur de philosophie à l’université de Namur. Loin de lui l’idée de remettre en cause l’élection. Mais de montrer que la démocratie doit aussi se manifester à d’autres moments, sous d’autres formes.

Anne-Emmanuelle Bourgaux, constitutionnaliste à l’Ecole de droit UMons-ULB, a également questionné  » cette vision héroïque des manuels d’histoire « . Pour réaliser qu’en 1921, déjà, les élus se rendaient compte qu’un scrutin tous les quatre ou cinq ans ne suffisait pas. La nécessité d’instaurer des référendums était discutée à l’époque, comme la possibilité d’organiser des consultations populaires, qui ne sera pas adoptée… à quatre voix près.

Puis, le suffrage universel a petit à petit oublié ses lacunes. Affaibli par la Seconde Guerre mondiale, renforcé par le vote des femmes de 1948, assoupi par les Trente Glorieuses.  » Ensuite, le débat démocratique est devenu celui sur le fédéralisme, on a cru qu’on améliorerait le système via des réformes institutionnelles « , pointe Anne-Emmanuelle Bourgaux. Jusqu’à aujourd’hui. Le pays est devenu une usine à gaz. Par ailleurs, 87 % des Belges estiment que les partis sont corrompus, selon Transparency International ; en 2014, 1,2 million d’électeurs inscrits ont voté blanc, nul ou ne se sont tout simplement pas rendus aux urnes ; les partis traditionnels, longtemps courroies de transmission entre élus et population, se vident de leurs affiliés comme des ballons de baudruche percés ; les initiatives antisystème gonflent ; et les scandales pullulent tels les symptômes d’une longue maladie que personne n’a osé soigner.

Bref, l’homme politique nouveau doit naître. Voici à quoi il devrait ressembler. Un portrait-robot dressé sur la base de multiples avis et analyses que nous avons suscités et recueillis.  » En démocratie, la politique restera toujours un joyeux foutoir car elle est forcément conflictuelle, rappelle Sébastien Laoureux. Mais ça n’empêche pas d’essayer de l’améliorer.  » Chiche ?

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1. Il/Elle sera dans la mêlée

Nul ne pourrait deviner qu’il se retient de regarder sa montre. Sérieux, concentré, quelques notes gribouillées. Pourtant, ce bourgmestre se serait bien passé de cette interpellation citoyenne à l’entame de son conseil communal.  » Si vous saviez comme ça m’emmerde ! Comme si nos séances n’étaient pas assez longues comme ça « , se lamente-t-il, en off.  » La dictature, c’est « ferme ta gueule ». La démocratie, c’est « cause toujours », raille cette citation à la paternité contestée (Coluche ? Jean-Louis Barrault ?). Les moyens d’interpeller les politiques ne manquent pas. Ils sont même de plus en plus nombreux. La Région wallonne ne va-t-elle pas instaurer la consultation populaire régionale ?

Sauf que les interpellations citoyennes au conseil communal, autorisées depuis 2013, tombent souvent dans l’oreille de sourds. Les consultations populaires locales, réformées en 2012, sont fréquemment sabordées par les élus (Namur, Louvain-la-Neuve, Huy…). Le droit de pétition, automatisé en 2015, n’est accessible en ligne qu’à la condition de s’inscrire via un lecteur de carte d’identité électronique, que tout un chacun possède, évidemment. Après chaque ouverture, des cadenassages. Les citoyens se méfient de leurs représentants. Et inversement.

 » Faire semblant est pire que de ne rien faire !, lance Anne-Emmanuelle Bourgaux. L’homme politique idéal sera celui qui descendra de son piédestal et redeviendra un électeur comme un autre. Pour ça, il faut urgemment comprendre que renouer le cordon avec l’électeur n’est pas une menace, mais que cela va sauver la démocratie et donc les élus eux-mêmes.  » Renouer, donc (vraiment) écouter.  » Oui aux marchés et aux permanences ! poursuit-elle. Mais pas seulement en période électorale ni à des fins clientélistes.  »

Oui, aussi, aux consultations populaires et aux référendums, deux procédés déjà débattus lors de l’instauration du suffrage universel en 1921.  » Qui doivent être précédés de réels débats et d’information « , insiste Vincent Jacquet, docteur en sciences politiques à l’UCL. D’autres solutions sont aujourd’hui évoquées, comme les panels citoyens, qui seraient chargés de réfléchir sur des thématiques puis de remettre des recommandations aux édiles. Le parlement de Wallonie l’a d’ailleurs expérimenté en avril dernier, sur la thématique du vieillissement de la population. Autre variante : la commission mixte, composée à la fois d’élus et de quidams, qui a fait ses preuves en Irlande, en 2013. Soixante-six personnes avaient travaillé avec 33 politiques et certaines de leurs propositions avaient été soumises à un référendum. Ainsi, le mariage homosexuel avait été approuvé à 62,1 % dans un pays pourtant hypercatho.

Pierre Delvenne, chercheur FNRS en sciences politiques à l’ULg, a imaginé la création d’un  » institut d’évaluation des choix technologiques « , qui se prononcerait  » sur les décisions politiques qui engagent la société sur le long terme « , composée selon les thèmes de citoyens, d’experts, de syndicats ou de représentants de la société civile. Il avait contribué à un projet de décret lors de la législature wallonne précédente, qui s’est depuis perdu dans les limbes parlementaires.

 » Ces différentes formes de dialogue peuvent apporter deux choses, résume Vincent Jacquet. D’abord, faire remonter des idées. Ensuite, le dialogue parlementaire est parfois stérile, donc rajouter des personnes qui ne sont pas en prise avec ces jeux partisans permettrait d’amener un souffle nouveau.  » Simple aide à la décision ou avis populaire contraignant ? Les réponses ne sont pas unanimes.  » Si une participation citoyenne est instrumentalisée ou rendue inutile parce que la décision est déjà prise en amont, il faut évidemment le dénoncer, avance Pierre Delvenne. Mais nos représentants sont élus pour trancher. Il peut arriver, pour un tas de raisons, qu’un avis ne puisse pas être respecté. Mais le politique doit alors justifier pourquoi il a pris une décision différente.  »

2. Il/Elle sera tirée au sort

Entre le Vlan et le dépliant du Lidl, une enveloppe suspecte a atterri dans la boîte aux lettres. Le logo officiel communal/ régional/fédéral ne dit rien qui vaille. Encore une redevance ?  » Félicitations ! Vous avez été tiré au sort !  » Ainsi seraient constitués les panels citoyens et leurs déclinaisons évoqués précédemment, à la manière des jurys populaires dans les cours d’assises (ceux-là mêmes que le politique entend supprimer…).

Mais le courrier pourrait se révéler plus surprenant encore.  » Félicitations ! Vous allez devenir député.  » Certains partisans de la sélection au hasard soutiennent l’avènement d’une  » lotocratie « , où le tirage au sort permettrait de désigner directement des édiles. Qui peupleraient par exemple le Sénat, une partie de la Chambre ou du parlement de Wallonie, voire une nouvelle assemblée spécialement créée. Les interrogations fusent, d’emblée : le Sénat, vu son déclin décisionnel, ne risque-t-il pas d’être perçu comme un lot de consolation ? Une nouvelle assemblée n’opposerait-elle pas les pros aux novices ? Un  » mélange  » est-il compatible ? Comment respecter la diversité dans la société ?  » Si le poids des tirés au sort est faible, quel serait l’intérêt ? questionne Jean Faniel, directeur du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). A l’inverse, s’il est trop important, le risque serait de ne pas se sentir représenté.  »

Fin mai dernier, la députée wallonne socialiste Christie Morreale sortait du bois : et si les votes blancs – qui expriment une forme de rejet à l’égard de l’offre politique proposée – étaient utilisés pour tirer des députés au sort ? Une idée intéressante, pour Pierre Delvenne.  » Il ne faut certainement pas aller au « tout citoyen », mais le tirage au sort permettrait de réinstaurer de la mixité sociale et notamment une représentation des personnes plus défavorisées.  »

Aujourd’hui, les partis représentent surtout l’avis des cadres qui les composent

On entend déjà les protestations des élus. La politique serait une chose complexe, peu accessible au premier venu, seuls eux seraient capables de la gérer (et il faut les croire sur parole, car aucun n’a jamais passé d’examen d’aptitude). Toujours ces mêmes arguments d’irresponsabilité et d’incompétence… déjà servis en 1921 pour en rester confortablement au scrutin censitaire, tout comme en 1948 pour empêcher le vote des femmes.  » La démocratie parie sur la rationalité et la compétence du peuple, elle ne le redoute pas « , rappelle Anne- Emmanuelle Bourgaux. L’argumentaire tient d’autant moins la route que le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur n’a jamais été aussi élevé et que l’analphabétisation n’est plus la règle, comme à l’aube du xxe siècle, mais l’exception.

Mais il ne suffit pas de critiquer. Encore faut-il être prêt à s’impliquer, ce que monsieur et madame Tout-le-Monde sont rarement prêts à faire. Lors de l’organisation de panels ou de consultations, 97 % des personnes sollicitées refusent d’y prendre part. Vincent Jacquet en a étudié les causes :  » Les gens ont l’idée que ce n’est pas leur rôle, ils ont peur de parler en public et ils craignent le manque d’impact, énumère-t-il. Il faut réapprendre à s’investir.  » Recréer une culture participative. Et tout ce qui va avec : instauration d’un  » congé politique  » qui donnerait la possibilité de retrouver son emploi après la législature, rémunération égale à celle des élus ou salaire garanti, prise en charge des frais de transport comme pour les jurés populaires…  » Tant que le citoyen est considéré comme du bétail électoral, il se comporte comme du bétail électoral. Dès qu’il est traité en adulte, il se comporte en adulte « , disait l’historien et écrivain David Van Reybrouck, auteur de l’ouvrage Contre les élections et co-initiateur du G1000, organisé en 2011 à Bruxelles.

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3. Il/Elle sera sous contrôle permanent

La nouvelle star, c’est lui ! Cédric Halin, l’homme par qui le scandale Publifin est arrivé, ne doit finalement sa notoriété qu’au fait d’avoir accompli consciencieusement son job. Il fait des émules : le conseiller communal PS Jean-François Mitsch (Ores), le député bruxellois Ecolo Alain Maron (Samusocial)… Tous pourraient décrire les informations inaccessibles, les pressions, les tentatives de découragement… Contrôler la vie politique devrait être élémentaire, et non un parcours du combattant.

Réinjecter une dose de citoyenneté, via les panels, les consultations, le tirage au sort, devrait faciliter cette nécessité de contrôle. Puisque des quidams auraient un droit de présence, de regard, un pouvoir de proposition, les cachotteries seraient moins simples. Un pas plus loin : Anne-Emmanuelle Bourgaux imagine la création d’assemblées publiques, constituées de personnes tirées au sort devant qui les élus viendraient rendre des comptes à intervalles réguliers. Pour quelles raisons ils ont voté telles lois (ou pas), sur quels dossiers ils ont travaillé, quels objectifs ils poursuivent…  » On pourrait utiliser les nouvelles technologies, inventer un outil informatique de rencontre citoyenne « , propose-t-elle.

Le contrôle est l’un des chapitres examinés par le groupe de travail  » renouveau politique  » à la Chambre, qui doit rendre ses conclusions courant juin. Il paraît que les discussions s’embourbent, mais l’une des pistes évoquées est de mieux surveiller le travail parlementaire, quitte à lier la rémunération à l’activité. Reste à déterminer sur quels paramètres se baser. La présence ? L’activité en commissions ? La force de propositions ? Le nombre de questions posées ?  » Pas simple, reconnaît Geoffrey Grandjean, professeur de sciences politiques à l’ULg, actuellement professeur invité à Sciences Po Paris. Rendre des comptes trop souvent me semble compliqué, car on en arriverait vite à une logique de réélection.  »

Peut-être suffit-il parfois d’exploiter ce qui existe. John Pitseys, chercheur au Crisp, cite l’exemple du Ceta.  » Le processus était vraiment intéressant en lui-même, avec une volonté de reprise en main du pouvoir, mais cela a été vu comme quelque chose d’exceptionnel alors que l’assemblée a en réalité fait son boulot.  » Comme Cédric Halin et les autres.

4. Il/Elle sera décumulard(e)

Il en avait déjà marre des parvenus. Voilà qu’il ne peut plus voir les cumulards en peinture.  » Nous défendons le décumul intégral. Et si, d’ici à la fin de la législature, les groupes de travail dans les deux parlements (NDRL : wallon et fédéral) n’aboutissent pas, à la prochaine législature, nous déposerons des textes légaux pour y parvenir « , annonçait sur Bel RTL Elio Di Rupo, le 2 juin. Le même qui occupe à la fois un poste de député fédéral, est bourgmestre de Mons et président du PS et détient huit autres mandats non rémunérés. Dommage, vraiment, qu’il n’ait finalement pas du tout été suivi sur ce point par ses militants.

Charité bien ordonnée… ou pas :  » Est-il vraiment sage de mettre fin au cumul ? « , se demandait Sigfried Bracke, président de la Chambre (N-VA) sur les ondes de La Première, le 30 mai dernier.  » Je n’ai jamais caché que la combinaison entre, par exemple, être bourgmestre d’une ville importante et député parlementaire, pouvait être intéressante.  »  » Les arguments procumul sont vraiment très mauvais !  » soupire John Pitseys.  » Le politique dit que ça lui permet d’être proche des gens. S’il a besoin de ça, c’est qu’il y a vraiment un problème ! tacle Vincent Jacquet. C’est une réutilisation des critiques des citoyens.  » Il n’y a que les cumulards pour croire qu’il est humainement et temporellement possible d’assumer correctement une ribambelle de postes à la fois.

Un homme, un mandat (exécutif) et basta ! L’élu idéal devrait s’en limiter à ça. La Wallonie s’en rapproche, elle qui a déjà partiellement imposé à 75 % de ses députés de ne plus siéger comme bourgmestre (et bien mal lui en a pris, en novembre 2016, de vouloir faire marche arrière). Sans doute serait-elle bien inspirée de mettre fin aux faux-semblants (Coucou, Paul Magnette ! Coucou, Maxime Prévot !) et de passer à 100 %, comme l’a fait le parlement germanophone en 2016. Quant à la Chambre,  » elle n’est pas l’assemblée la plus à la pointe là-dessus, note Jean Faniel. Avec l’effet pervers que certains s’y présentent pour garder un autre poste.  »

 » Il faudrait aussi clarifier la distinction entre mandats publics et privés « , enchaîne-t-il. Soit cette échappatoire malsaine permettant à certains de jurer, main sur le coeur, que le poste (généralement rétribué) qu’ils occupent dans une structure publique ou privée est à titre personnel. Rien à voir avec leur statut d’élu ni avec la volonté de dépasser le plafond de rémunération, bien sûr ! Il n’y a plus qu’eux pour faire semblant d’y croire.

Reste les mandats induits par l’exercice du pouvoir. Implication dans une intercommunale, une association, une fondation, une zone de police…  » J’y vois un moindre mal, mais il faudrait réfléchir à en limiter le nombre « , estime Geoffrey Grandjean. Et les exercer à titre gratuit…  » La plupart des politiques affirment qu’ils ne font pas ça pour l’argent, relate Jean Faniel. Qu’ils le prouvent !  »

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5. Sa carrière sera limitée

Le point commun entre Donald Trump, Emmanuel Macron et Raoul Hedebouw ? Leur succès est conditionné à leur (nouvelle) tête. Ni  » fils de « , ni réélus quinze fois. De la chair fraîche, plus ou moins au goût de chacun. Mais fraîche. Faut-il instaurer un nombre limité de mandats pour éviter de revoir sans cesse les mêmes têtes ? C’est le deuxième aspect du décumul, temporel cette fois.

Les avis s’entrechoquent.  » Il faut parfois se montrer un peu dur : un seul mandat par personne, soumet Geoffrey Grandjean. Mais avec la possibilité d’exercer des fonctions différentes. Une fois bourgmestre, une fois échevin, une fois député… Peut-être que ça pousserait à prendre des mesures réalistes et à ne pas uniquement se préoccuper de sa réélection.  »  » Mais on risque alors de perdre l’aspect le plus démocratique de l’élection : sanctionner « , contredit Vincent Jacquet.  » On reproche déjà aux politiques d’être court-termistes… « , glisse Pierre Delvenne.

Deux mandats consécutifs, alors ? A l’américaine ? Les élus eux-mêmes considèrent que deux législatures sont nécessaires : la première pour comprendre les rouages, la deuxième pour les maîtriser. Dans son programme, Emmanuel Macron mettait la limite à trois. Qui dit mieux ? Le principal avantage du décumul temporel serait de favoriser le renouvellement, donc d’éviter que certains ne fassent de la politique leur carrière professionnelle. Même si les apparences sont parfois trompeuses. Une étude réalisée par le chercheur Jérémy Dodeigne (ULg/UCL) montre qu’un tiers des députés ont une carrière très longue, supérieure à douze ans. Mais un autre tiers a pour sa part une longévité très restreinte, de quarante-deux mois en moyenne.

Les nouvelles têtes existent donc, sans doute sont-elles plus discrètes.  » Le système des listes électorales, avec les suppléances, permet aussi de faire monter des techniciens moins connus, remarque John Pitseys. Un même système peut provoquer deux effets différents.  »

6. Il/Elle sera bien payé(e)

Des paroles. Puis des actes. Ecolo a beau prôner le décumul total, tous ses élus ne l’appliquent pas à la lettre. Ainsi Jean-Michel Javaux n’est-il pas à la fois mayeur d’Amay et président de l’invest public liégeois Meusinvest ?  » Oui, mais ce poste-là n’est pas exécutif « , défend en substance le parti.  » Puis, bourgmestre d’une petite commune, ce n’est pas un temps plein et c’est insuffisant pour gagner sa vie !  » Insuffisant, c’est-à-dire 2 800 euros net par mois (5 000 euros brut), qu’il complète donc avec 1 400 euros de rémunération chez Meusinvest (moins les 10 à 30 % qu’il rétrocède à sa formation politique).

Insuffisant : faudrait-il revoir à la hausse les salaires des élus pour ne pas les soumettre à la tentation d’arrondir leurs fins de mois en multipliant les mandats ? Aucun expert ne s’aventure jusque-là. Même si la question mériterait peut-être d’être posée pour certaines fonctions peu valorisées, comme celle de conseiller communal. Personne ne se risque non plus du côté de la baisse des rémunérations, pourtant dans l’air du temps. Sauf cas exceptionnels :  » 17 000 euros par mois pour le président de la Chambre, je ne suis pas sûr que ce soit indispensable « , épingle Jean Faniel. Idem pour les 16 000 euros de la présidente du Sénat.

Pour le reste (environ 6 000 euros net pour un député),  » je serais d’avis de ne pas dévaloriser les salaires, estime Geoffrey Grandjean. Car la politique reste une fonction noble, où des personnes s’engagent pour gérer la société.  » Pas de raison de les sous-payer. Historiquement, des rétributions confortables avaient été instaurées pour que tout le monde puisse s’engager, et pas uniquement les plus nantis. Ainsi que pour éviter la corruption. Deux arguments qui valent encore aujourd’hui.

 » Mais il faut limiter drastiquement les salaires payés ailleurs « , continue le politologue. Ces fameux jetons de présence, mandats parallèles voire privés, derrière lesquels bon nombre d’élus courent comme des abeilles attirées par le miel.  » Très longtemps, on a considéré que l’action politique devait inclure un minimum de corruption, sans que cela ne soit gênant « , décrypte Serge Deruette, politologue à l’UMons. Et de citer la justification amenée par l’ancienne CDH Anne Delvaux, épinglée par le scandale Publifin, qui estimait n’avoir rien fait de mal parce qu’il s’agissait de pratiques courantes en politique.  » Ces privilèges, cette corruptibilité, ça ne fonctionne plus. Il faut en revenir à davantage de modération.  » Bref, un homme, un mandat toujours bien payé, mais plus d’à-côtés. Est-ce trop demander ?

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7. Il/Elle sera membre d’un parti (ou quelque chose comme ça)

Cette décision-là, elle avait décidé de ne pas la voter. Le fond du dossier la mettait mal à l’aise, pas envie de le cautionner, quitte à sécher la séance au Parlement. Son manque d’entrain était remonté aux oreilles de son président.  » Tu vas y aller ! Sinon…  »  » Ce sont des menaces ?  »  » Oui !  » Elle avait fini par voter (histoire vraie). Les partis politiques font parfois cet effet-là. Contraignant. Etouffant. Hiérarchisant. A l’heure où Macron fait sensation, ils paraîtraient même ringards.

 » Je m’interroge sur leur place, concède Geoffrey Grandjean. Est-ce qu’un élu qui se détacherait des affectations partisanes ne serait pas une piste ? Car les partis ont des effets positifs, mais ils constituent aussi des freins démocratiques en empêchant l’expression d’idées conflictuelles.  » Il fut un temps où les formations jouaient encore un rôle de  » matelas  » entre les citoyens et les élus. Aujourd’hui, dépeuplés comme ils sont, les partis représentent surtout l’avis des cadres qui les composent. Mais s’ils sont toujours plus contestés, personne n’a encore trouvé comment les remplacer. Les alternatives politiques récentes, comme la N-VA ou le PTB, développent une organisation très classique. Même En Marche ! d’Emmanuel Macron ne serait pas si différent d’une structure traditionnelle. Et puis, ceux qui conspuent les partis sont aussi ceux qui les chérissent.  » Paradoxalement, rappelle Vincent Jacquet, même si la méfiance à leur égard est croissante, on voit dans toutes les enquêtes que les gens y restent attachés, en tant que « rassembleurs » d’idées.  »

Peut-être devraient-ils (re)commencer par-là : les idées.  » Il faut en faire rentrer de nouvelles, pense Pierre Delvenne. On a l’impression que les formations politiques subissent les choses, qu’elles se concentrent sur la protection de ce qui est démantelé ou qu’elles démantèlent. Mais il n’y a plus beaucoup de propositions qui fassent rêver. Le débat d’idées a disparu.  »  » Je crois que les partis sont indispensables à la démocratie, parce qu’il faut organiser la multitude, observe Anne-Emmanuelle Bourgaux. Mais la manière dont ils fonctionnent à l’heure actuelle n’est plus tenable.  » Et de proposer une refonte où chaque formation devrait respecter des obligations d’animation du débat public, de participation citoyenne (par exemple pour l’élaboration des listes électorales), de transparence, de représentativité…  » Et si tous ces critères n’étaient pas respectés, pas d’argent public !  » En 2015, 29,2 millions d’euros ont été crédités pour subventionner les partis. Pour la constitutionnaliste, ce n’est pas tant le montant qui pose problème ( » il faut continuer à bien les financer, sinon l’argent viendra d’ailleurs « ), mais les critères d’attribution, aujourd’hui basés sur le poids électoral.  » Il faut que les montants qui leur sont attribués servent à faire des choses concrètes et précises !  »

Réaliste ? Nécessaire ? Souhaitable ? Ces questions s’appliquent à toutes les pistes tracées dans ce dossier.  » Gouverner, c’est toujours choisir entre deux mauvaises solutions, paraphrase John Pitseys. Il n’y a pas se système parfait. Mais il faut se demander quels sont les avantages que l’on veut poursuivre et les problèmes que l’on veut bien supporter.  » Message reçu ? Tant au niveau politique qu’à l’échelon citoyen ?

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