Stef/Stouf Liberski et Fred/Froud Jannin. © DR

« Le Vif/L’Express lâche les chiens » : Froud & Stouf, un numéro d’humour mordant

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Fred Jannin et Stefan Liberski redonnent vie et vigueur à Froud & Stouf, leur duo de cabots (un peu) philosophes via un beau livre et une exposition. L’occasion de les laisser frétiller de la queue et du verbe dans nos pages.

Discuter avec Fred et Stef, c’est un peu forcément comme regarder une séquence de Froud & Stouf, tant il y a des uns dans les autres : le même goût du dialogue, le même regard un peu distancié sur les choses de la vie, le même humour pas bête qui fait sourire plutôt que de se plier en deux. Ne manquent que l’écuelle, les colliers et le poil bleu, mais pour le reste, ces deux-là se renvoient la baballe pile-poil comme les deux autres. Exemple, quand on leur demande comment définir l’humour et l’humeur de leurs cabots, nés en animation en 1995 dans JAADTOLY (comme  » J’aime autant de t’ouvrir les yeux « ) qui succéda aux Snuls sur Canal+ Belgique, diffusés ensuite sur Club RTL, déclinés en albums BD et en fresque murale à Bruxelles :

Stef : C’est un autre support, des personnages différents de tous les autres, comme les  » Allô c’est moi  » ou  » Mon cher monsieur « .

Fred : Des chiens philosophes. Un peu philosophes.

Stef : Des observateurs. Qui ont des considérations sur le monde, avec une certaine tonalité, mais toujours dans un réservoir très belge.

Fred : Ils profitent de leur condition canine pour dire des trucs que les humains n’osent pas dire. C’est pas nous !

Stef : Eux, ils soulèvent même ce fait que les humains n’osent pas toujours tout dire !

Fred : Ce sont des philosophes du quotidien.

Stef : Qui aiment dialoguer. Ou monologuer ?

Fred : Ils ne sont jamais opposés. Ils aiment surenchérir.

Stef : Voilà. Ils tiennent des monologues de surenchère.

Des dialogues comme ceux-là, Froud & Stouf en ont déjà tenu des centaines, et Fred Jannin et Stefan Liberski des milliers depuis leur rencontre comico-artistique au sein des Snuls en 1989. Dans la bande, ces deux-là se connaissaient le moins bien ; ils ne se quitteront plus. Dès 1994, après l’aventure Snuls, le duo invente le concept de  » télévision pauvre  » dans JAADTOLY en y faisant tout eux-mêmes, sans aucun moyen.  » C’est comme ça qu’on en est venu à inventer Froud & Stouf, explique le duo. On voulait changer de support, ne pas toujours montrer notre tête, changer de texture, utiliser des marionnettes, de la pâte à modeler… Faire du pauvre qui ait l’air riche, dans un pur esprit « Do it yourself ». Et on a découvert, à l’époque, un petit logiciel qui permettait de faire un dessin animé sans devoir faire appel à un studio au Japon. Mais dans un cadre très strict, pour un humour qui tient avant tout dans les dialogues : tout ce qu’on aime ! Les dialogues, et parfois les silences. On joue beaucoup là-dessus, en BD également. Ça nous amuse beaucoup.  »

Quant à la couleur bleue immédiatement reconnaissable de leur pelage, et désormais de leur beau livre qui vient de sortir ( » 190 pages avec une couverture cartonnée matelassée, cousu, rougi sur tranche… de la belle ouvrage ! « ) (1) :  » On était dans la période bleue de JAADTOLY, on mettait du bleu partout, dans la typo, les lettrages, pour changer un peu. Même chose pour nos chiens.  » Restait à trouver les mots à mettre dans leur gueule :  » On se voit, on mange une glace, on papote, on cherche, mais certains sujets se prêtent mieux à certains personnages qu’à d’autres, c’est plutôt dans ce sens-là que ça se passe. Et on en a créé assez, des personnages, pour ne pas avoir de manque, on couvre bien désormais tout le champ de notre humour commun. Un humour qui est nourri par l’actualité, mais avec une distance. Froud & Stouf réagissent à l’air du temps plus qu’à l’actu. Et ils ne nomment jamais personne directement, c’est une règle que l’on s’est fixée dès les Snuls. On ne fait pas du Kroll, on navigue beaucoup plus dans la fiction, dans un esprit plus proche des Monty Python que des humoristes d’aujourd’hui.  »

Amuseurs pas humoristes

S’ils sont nés il y a plus de vingt ans, et si Fred/Froud et Stef/Stouf n’ont jamais souffert du syndrome de la page blanche, ils ont effectivement un peu de mal à se reconnaître  » humoristes « , surtout à l’heure actuelle :  » Notre truc, c’est l’air du temps, mais c’est clair que l’air du temps a beaucoup changé en vingt ans, le second degré aussi. Nous, on s’est toujours beaucoup accroché à ça : on dit des conneries, mais on compte beaucoup sur l’intelligence de ceux qui les entendent pour se rendre compte que ça en est, des conneries ! Mais c’est devenu plus compliqué aujourd’hui, car les humoristes parlent en leur propre nom. « Je me suis levé, et j’ai pensé que… » Ce sont les nouveaux penseurs ! Des penseurs un peu sentencieux et souvent bien-pensants. Et puis, les humoristes, ils sont accros à la vanne, les pros s’en vendent, s’en achètent. Nous, ce n’est pas possible. Le délicieux piège dans lequel on est tombé, ce n’est d’écrire que pour nous, des choses qu’on ne peut jouer que nous-mêmes. Le mot clé, le seul, c’est la liberté. Mais on assume notre boulot de… de gentils. D’amuseurs. « 

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Le Vif/L'Express lâche les chiens

Fred Jannin et Stefan Liberski redonnent vie à Froud & Stouf…

Geplaatst door Le Vif op Woensdag 17 oktober 2018

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Des amuseurs-bosseurs, qu’on peut donc retrouver deux fois par semaine le matin sur La Première, dans ce beau livre modestement baptisé Chefs-d’oeuvre, dans une expo qui se tient pour dix jours à Ixelles (2), bientôt dans un spectacle – JAADTOLY Causerie, le 10 décembre, au théâtre des Riches-Claires, à Bruxelles, qui affiche déjà complet – et, dès tout de suite, là, dans Le Vif/L’Express, que le duo de cabots a illustré d’un bout à l’autre, quasiment en direct. De quoi rester encore longtemps dans l’univers culturel et l’inconscient collectif de beaucoup de Belges, même si la reconnaissance, pour ces deux artistes aux mille activités parfois très différentes (Jannin entre autres dans la BD, Liberski entre autres au cinéma et dans la littérature), reste parfois embarrassante :  » On me reconnaît surtout pour la voix de Devos Lemmens, ça permet de relativiser « , déclare le premier.  » Moi, on me demande si je fais la mayonnaise, alors que je ne suis même pas dedans !  » s’esclaffe le second.

(1) Froud & Stouf. Chefs-d’oeuvre, par Frédéric Jannin et Stefan Liberski, éd. CFC, 192 p.

(2) Froud & Stouf font le beau (livre) : à la galerie ArtWeCare, 18, rue de Praetere, à Ixelles, du 19 au 26 octobre.

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